L’humeur à Davos, où se tient le Forum économique mondial (ou WEF, abrégé en anglais) est apparemment déprimée. Survol de Davos.
Les deux tiers des économistes en chef interrogés par le WEF pensent qu’il y aura probablement une récession mondiale en 2023, près d’un sur cinq affirme qu’il est extrêmement probable qu’elle se produise. Les chefs d’entreprise sont également anxieux : 73% des PDG du monde entier estiment que la croissance économique mondiale diminuera au cours des 12 prochains mois.
C’est la prévision la plus pessimiste depuis la première enquête du WEF, il y a 12 ans.
Le monde dit «libéral» est en crise. Comme dans les années 1930, il a peur des peuples, il cherche de nouvelles orientations pour «tenir» malgré tout et préserver l’ordre social qui convient aux grands de ce monde, ceux qui sont présents ou représentés à Davos.
Les risques du système
Le WEF a publié son Global Risk Report. Le rapport indique que «la prochaine décennie sera caractérisée par des crises environnementales et sociétales, entraînées par des tendances géopolitiques et économiques sous-jacentes ».
On ne vous en parle pas à la télé ou dans le Figaro, mais cette certitude de la crise est ce qui obsède les élites. Elles savent que ce n’est plus tenable.
La crise du coût de la vie est classée comme le risque mondial le plus grave au cours des deux prochaines années, avec un pic à court terme.
La perte de biodiversité et l’effondrement des écosystèmes sont considérés comme l’un des risques mondiaux qui va s’aggraver le plus rapidement au cours de la prochaine décennie, et les six risques environnementaux figurent parmi les dix principaux risques au cours des dix prochaines années.
Le rapport continue
«La poursuite de l’inflation tirée par l’offre pourrait conduire à une stagflation, dont les conséquences socio-économiques pourraient être graves, compte tenu d’une interaction sans précédent avec des niveaux historiquement élevés de dette publique […] La fragmentation économique mondiale, les tensions géopolitiques et une restructuration plus difficile pourraient contribuer à un surendettement généralisé au cours des 10 prochaines années».
Il note aussi que «la technologie va exacerber les inégalités; tandis que les efforts d’atténuation et d’adaptation au climat sont timidement mis en place». Et «les crises alimentaires, énergétiques et des coûts exacerbent la vulnérabilité sociétale tandis que la baisse des investissements dans le développement humain érode la résilience future».
Le risque d’une polycrise s’est exacerbé. C’est la fameuse polycrise chère à l’ami Adam Tooze !
Un autre capitalisme ?
D’abord, il faut poser un invariant : le système du capitalisme financier doit rester. Normal, c’est lui qui finance le WEF et paie ses penseurs.
Le WEF part de l’hypothèse que le capitalisme doit survivre, mais il faut le «façonner» à la marge pour qu’il réalise l’«inclusion de tous». Pour ce faire, il faut passer au «capitalisme des parties prenantes».
Karl Schwab, fondateur du WEF, explique que nous avons le choix entre trois modèles.
Le premier est le «capitalisme actionnarial», adopté par la plupart des entreprises occidentales, selon lequel l’objectif principal d’une entreprise devrait être de maximiser ses profits.
Le deuxième modèle est le «capitalisme d’Etat», qui confie au gouvernement le soin de définir la direction de l’économie, et qui a pris de l’importance dans de nombreux marchés émergents, notamment en Chine.
Mais, par rapport à ces deux options, la troisième doit être selon lui recommandée, et c’est le «capitalisme des parties prenantes».
Ecoutons Schwab : «C’est un modèle que j’ai proposé pour la première fois il y a un demi-siècle; il positionne les entreprises privées comme les fiduciaires de la société et est clairement la meilleure réponse aux défis sociaux et environnementaux d’aujourd’hui».
Selon ce principe, les grandes entreprises devraient être les «administrateurs de la société» et la force principale pour résoudre «les défis sociaux et environnementaux d’aujourd’hui». Il viendrait remplacer le «capitalisme actionnarial» où «l’accent est mis sur les profits», car, selon Schwab, «cette forme de capitalisme n’est plus durable».
Le capitalisme où l’accent n’est plus mis sur les profits, mais où la recherche du profit demeure le moteur de l’économie, c’est la fameuse Troisième Voie, la déclinaison du «ni droite ni gauche», la fin de la lutte des classes, la fin de l’histoire ou les antagonismes disparaissent.
En revanche, les grandes entreprises, en collaboration avec les gouvernements et les organisations multilatérales, peuvent plutôt développer le «capitalisme des parties prenantes», qui, selon Schwab, peut «rapprocher le monde de la réalisation d’objectifs communs».
Voilà, c’est simple ! Il suffisait d’y penser, pour résoudre tous les problèmes, sortir de la polycrise : il faut ôter le pouvoir – celui qui reste – aux masses, aux peuples, aux électeurs, et le confier aux entreprises privées, lesquelles en association et coopération avec les Etats feront… la pluie et le mauvais temps.
En lisant ces stupidités du WEF, je me prends à penser que déjà, le WEF a atteint son maximum, son apogée; il est passé de l’autre côté, sur le versant du déclin.
Il correspondait à une phase de la mondialisation, à une montée de la technologie, à l’émergence de nouvelles fortunes globales, à un état du monde qui, depuis la guerre en Ukraine, est dépassé. Il est inadapté, ringard, il sent déjà le rance. Davos c’est pour les has-been.
Avec Chronique Agora