Depuis le début de l’imposition de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, le 6 mai dernier, jusqu’au 10 septembre 2021, «le nombre de civils tués dans des attaques est en grande partie resté inchangé», constatent l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) et le Groupe d’étude sur le Congo (GEC, basé à l’Université de New York). La justification du décret présidentiel instaurant cet état d’exception était de mettre fin aux massacres.
Malgré tout, à Kinshasa, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi portant 8ème autorisation de la prorogation de l’état de siège sur une partie du territoire national.
Selon le rapport de HRW et du GEC, «au moins 739 civils» ont été tués durant ces quatre derniers mois dans les deux provinces sous état de siège : 672 par des groupes armés «dont certains restent non identifiés », et 67 par les forces de sécurité congolaises.
Des militaires aussi
Le rapport note que «d’autres groupes armés et certains éléments de l’armée nationale congolaise ont également été impliqués dans des attaques dans la région».
Le rapport de HRW et du GEC souligne également que malgré les déclarations du gouverneur militaire du Nord-Kivu, le lieutenant-général Constant Ndima, qui assurait le mois dernier qu’«il y a un grand changement » dans la province grâce à l’action de l’armée, les données « ne montrent aucune indication que les forces congolaises ont intensifié leurs opérations militaires pour améliorer la protection des civils dans les zones les plus à risque ».
Ce rapport s’ajoute aux protestations des civils sur place. Le 12 août, le mouvement citoyen Lucha (Lutte pour le changement) avait appelé à mettre fin à l’état de siège, ce dernier n’ayant pas fait baisser le nombre de victimes civiles d’attaques armées et n’ayant servi qu’à restreindre considérablement les libertés.
Le 17 août, des élus provinciaux du Nord-Kivu évoquaient 440 civils tués et de nombreuses destructions de villages dans la province en demandant à l’Assemblée nationale de ne pas proroger l’état de siège dans les deux provinces de l’Est «sans tenir compte des réalités sur le terrain».
Ils avaient demandé la requalification de l’état de siège pour le rendre plus efficace, notamment en le limitant aux zones gravement affectées de la province et en concentrant l’action des militaires contre les groupes armés plutôt que de prendre pour « cibles » des « élus légitimes du peuple ».
Les élus provinciaux ciblés par l’armée
Le porte-parole du gouverneur militaire a, en effet, déclaré lors d’une émission de radio à Béni, que les députés provinciaux finançaient les groupes armés, a rapporté l’agence de presse congolaise APA, et averti que toute personne qui irait à l’encontre de l’état de siège serait déférée devant la justice militaire.
Le 23 août, le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’Onu avait déploré la « détérioration continue » de la protection des civils à Béni et dans le Masisi (Nord-Kivu). Et ces lundi et mardi, la population de Béni a organisé une « ville morte » pour rejeter l’état de siège et les exactions des militaires.
Les Forces démocratiques alliés (ADF), groupe armé d’origine ougandaise, est responsable de la majorité de ces exactions avec le groupe armé CODECO (Coopérative pour le développement du Congo) en Ituri.
Optimisme à Kinshasa, mais…
Malgré le nombre élevé de morts parmi les civils, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, en déplacement dans la province de l’Ituri le 21 août dernier, avait déclaré que les résultats découlant de l’état de siège étaient « très encourageants» à ce jour.
HRW ne partage pas cet optimisme et affirme que les données «ne montrent aucune indication que les forces congolaises ont intensifié leurs opérations militaires pour améliorer la protection des civils dans les zones les plus à risque ».
Plus de 100 groupes armés continuent d’opérer dans l’Est de la RDC. Une chance de les endiguer est réapparue en juillet dernier lorsque, l’administration Tshisekedi a lancé un nouveau programme de Désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (DDRC-S). Cependant, HRW et de nombreux activistes congolais ont publiquement fait part de leurs inquiétudes au sujet du coordinateur du programme, Tommy Tambwe, un ancien cadre de grands groupes rebelles soutenus par le Rwanda et responsables d’innombrables exactions au cours des vingt-cinq dernières années.
A la suite de cette nomination, HRW craint pour l’efficacité des actions sur le terrain. «Sa nomination compromet sérieusement les chances de succès du programme», note Human Rights Watch.
Alors que les opérations militaires menées dans le cadre de l’état de siège semblent s’enliser, c’est le moment qu’a choisi le président ougandais Yoweri Museveni d’annoncer son intention de dépêcher des troupes en RDC pour combattre les ADF. Prêt à franchir la frontière, il a dit n’attendre que le feu vert de Kinshasa qui tarde cependant à se prononcer sur le sujet.
Pour rappel, les ADF ont prêté allégeance à Daech en 2019, mais l’étendue des liens entre les deux groupes armés reste incertaine pour les Nations Unies.
Econews avec La Libre Belgique/Afrique