Depuis l’annonce de la constitution de la force de la Communauté de l’Afrique de l’Est destinée à combattre les groupes armés non étatiques en Ituri, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, l’opinion commençait à montrer une certaine impatience. Et même à nourrir un doute. De New York ou il participait à la 77eme session de l’Assemblée générale de l’Onu, le chef de l’Etat vient de lever un coin du voile : la Force sera bien opérationnelle, même si la date de son déploiement reste encore imprécise. Avec une révélation de taille : le contingent kenyan entrera en RDC par… Bunagana.
On en sait un peu plus sur le déploiement annoncé de la force de la Communauté de l’Afrique de l’Est. Constituée des contingents du Soudan du Sud, de l’Ouganda, du Burundi, du Rwanda et du Kenya, elle est censée combattre groupes armés et rebellions qui écument et endeuillent principalement les provinces du Sud-Kivu, du Nord-Kivu et de l’Ituri depuis plus de deux décennies jusqu’à leur éradication totale. Lors de l’entretien qu’il a accordé à RFI au lendemain de son discours musclé devant l’Assemblée générale de l’Onu et le diner partagé avec son homologue rwandais à l’initiative du président français Emmanuel Macron, Félix Tshisekedi a apporté quelque lumière sur le processus de déploiement de la force est-africaine.
Sans toutefois trahir un secret d’état-major ou dévoiler les stratégies militaires d’ordinaire frappées du sceau du secret, Félix Tshisekedi a révélé que le contingent kenyan de la force de l’EAC entrera en Rd-Congo par Bunagana, localité congolaise du territoire de Rutshuru (Nord-Kivu) occupée depuis plus de trois mois par la rébellion du M23 appuyée par l’armée rwandaise, selon Kinshasa. Accusation corroborée par un rapport d’experts de l’Onu. Dans ce cas, a-t-il ajouté avec un brin menaçant : « Vous savez ce qui va arriver au M23 ». Il a reconnu néanmoins qu’a ce stade, le calendrier du déploiement de la force dont dépend le retrait du M23 n’est pas encore fixé avec précision.
Un scenario improbable
Pourtant, il suffit d’un simple regard sur la carte de l’Afrique orientale pour se rendre compte que le Kenya ne partage pas de frontière terrestre avec la République démocratique du Congo. Et que si le schéma du président congolais venait à être confirmé, cela suppose alors que le convoi militaire kenyan de la force régionale viendrait par la route après la traversée du territoire ougandais, prenant ainsi à revers le M23 et ses appuis rwandais. Et leur coupant toute voie de retraite vers le Rwanda, avec pour seule issue, leur redéploiement au sud-ouest en direction de Goma dans l’espoir de regagner le Rwanda par le district de Rubavu.
Un scénario plus qu’improbable, pour plusieurs raisons. La plus importante reste que ni la diplomatie congolaise, ni les stratèges de l’armée ne sont parvenus à ce jour à démêler l’écheveau du rôle véritable que joue Kampala dans la sphère géopolitique de la région des Grands Lacs.
Vers une mutualisation du pillage des ressources naturelles de la RDC
Au même moment que l’armée ougandaise (l’UPDF) est présente en RdCongo depuis le second semestre de 2021 aux côtes des FARDC dans le cadre de la traque des rebelles ougandais des ADF en Ituri, et que l’Ouganda s’apprête à rejoindre la force régionale de l’EAC, des informations persistantes font état d’une assistance ougandaise au M23 sans laquelle la prise de Bunagana ne se serait pas déroulée avec autant de facilite. Il en découle que l’Ouganda ne saurait entériner le risque d’une confrontation entre l’armée rwandaise et les militaires kenyans à sa frontière.
Le schéma présidentiel de l’entrée des Kenyans au Congo par la cité de Bunagana reste tout aussi improbable au regard des relations en dents de scie entre Kigali et Kampala. La première accusant régulièrement Museveni d’entretenir sur son sol ses opposants. Dans ces conditions, un feu vert de Kampala au transit du contingent kenyan viendrait jeter l’huile sur le feu dans des relations rwando-ougandaises déjà exécrables.
Des relations qui se sont tout de même quelque peu réchauffées au cours des derniers mois dans la perspective du profit à tirer de l’est congolais dans une mutualisation du pillage programmé des ressources naturelles dans une partie de la RDC où le retour de la paix doit rester hypothétique pour leurs intérêts communs.
Bunagana était un poste douanier important pour les recettes de la province du Nord-Kivu. La cité est située à plus de 100 km au nord-est de Goma, groupement de Jomba dans le territoire de Rutshuru, à la frontière avec l’Ouganda.