Le président de la République Démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, a pris part au sommet sur les Bassins tropicaux (Congo, Amazonie, Bornéo-Mékong), tenu à Brazzaville du 27 au 28 octobre 2023. Lors de la séance de clôture et en sa qualité de coorganisateur de cette rencontre, Félix Tshisekedi a souhaité voir les résolutions arrêtées à Brazzaville lancer un nouveau départ pour la gestion durable des forêts, l’amélioration des conditions socio-économiques des populations pour une meilleure protection de la planète. Mais surtout, il s’est adressé en toute vérité à ses homologues qui font preuve d’une tiédeur à la limite de la complicité face à l’agression dont la République démocratique est l’objet de la part du Rwanda. Quand il s’agit de nommer le mal qui ronge le continent noir, Tshisekedi n’a pas hésité à parler sans gants. A Brazzaville, Félix Tshisekedi a tenu un discours – improvisé ailleurs – qui fera date. Un peu comme ce discours prononcé par le général Charles De Gaule, sur place à Brazzaville, qui servit, par après de déclic à l’indépendance de l’Afrique noire. Prémonitoire, Tshisekedi s’est inscrit dans le schéma du général De Gaule
Il était prévu qu’il ne parlât que de forêts et rien d’autre, lors de son intervention, samedi à Brazzaville, au Sommet sur les trois Bassins forestiers tropicaux.
Comme Patrice Lumumba, le 30 juin 1960 à Kinshasa devant le roi des Belges, Baudouin 1er, venu assister à la proclamation de l’indépendance du Congo belge, Félix Tshisekeid a pris au dépourvue, samedi à Brazzaville, son hôte, le président Denis Sassou N’Guesso de la République du Congo.
Sans aller par le dos de la cuillère, le Président Tshisekedi a nommé le virus qui ronge le continent noir. Il s’agit, selon lui, de l’hypocrisie de ses dirigeants qui ne travaillent pas pour le bien du continent et de son peuple.
Le mal est profond
Parmi la dizaine d’allocutions de circonstance de ses homologues africains, celle du Chef de l’Etat de la RDC a, à plus d’un titre, particulièrement retenu l’attention des participants et par-delà, celle des opinions africaines.
En effet, s’écartant de son texte, il a improvisé sur un ton ferme et dénoncé «l’hypocrisie» de certains pays voisins manifestée entre autres, par l’agression dont la RDC est victime de la part du Rwanda sous le couvert de la rébellion du M23.
«Nous sommes loin de la réalité », a-t-il martelé d’emblée. «Parce qu’en ce moment où nous parlons, la conservation de notre biodiversité, de nos forêts, eh bien, il se trouve actuellement dans le parc des Virunga, l’une des réserves naturelles au monde en forêts et en biodiversité, un activiste qui met à mal ces écosystèmes, qui les détruit. Et cela n’a pas été décidé à Washington, à Paris, à Bruxelles ou à Londres. Cela a été décidé en Afrique et plus précisément à Kigali. C’est l’œuvre d’un frère africain ».
TENTÉ DE CONSTRUIRE DES MURS
Invitant instamment ses homologues africains à bannir entre eux toute forme d’hypocrisie, il a ainsi déclaré qu’il serait tenté de construire des murs en lieu et place des ponts, a-t-il soutenu, pour protéger son peuple. « Parce que, j’en suis désolé, en tant que Président de la République Démocratique du Congo, et face à ce genre de comportement, je ne suis pas tenté de construire des ponts mais plutôt des murs pour sécuriser ma population […] Nous devons arrêter de rejeter les responsabilités sur des étrangers non-africains ».
Cette boutade n’est certainement pas tombée dans l’oreille d’un sourd, et particulièrement de Denis Sassou Ngueso, président du Congo-Brazzaville et hôte du sommet à qui tient à cœur le projet du pont rail-route projeté de longue date sur le fleuve Congo entre Brazzaville et Kinshasa et devant prolonger, dans le cadre du corridor ouest, la ligne de chemin de fer Congo-océan, laquelle, partant du port en eaux profondes de Pointe-Noire sur l’Atlantique, devrait, à terme, être connecté au réseau ferroviaire rd congolais.
L’idée de la construction d’un mur de séparation entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda n’est pas nouvelle. Elle est en effet régulièrement préconisée par l’opposant et ancien premier ministre (et candidat à l’élection présidentielle) Adolphe Muzito. L’édifice serait destiné, affirme-t-on, à contenir les incursions cycliques des armées de ces deux pays voisins dans les provinces de l’Est du Congo. Que Félix Tshisekedi la reprenne à son compte démontre à quel point le Chef de l’Etat congolais recherche une initiative radicale à même d’éradiquer une fois pour toutes les appétits expansionnistes de se voisins orientaux.
LE DOUBLE-JEU DES FRÈRES HYPOCRITES
« Nous devons avoir le courage de nous regarder entre Africains les yeux dans les yeux et nous dire qu’on ne peut pas s’appeler frères et se poignarder dans le dos en même temps », a averti le président congolais.
Les observateurs ont vite fait de jeter un regard et établi une relation entre les deux voisins de la RDC, la République centrafricaine et la République du Congo, (et dans une certaine mesure au Mozambique), ces deux pays où la holding rwandaise Crystal Venture Limited (CVL), propriété du Front patriotique rwandais, investit dans le secteur des mines, de l’agriculture et des infrastructures, alors qu’en RDC, les projets miniers ont été abandonnés après la rupture des relations entre Paul Kagame et Félix Tshisekedi.
Plus d’une fois, l’opinion congolaise a dénoncé et s’alarme régulièrement de la présence rwandaise à la frontière nord avec la RCA sur les bords de la rivière Oubangui, et en face de Kinshasa dans la province Brazza-congolaise du Pool les assimilant à une manœuvre d’encerclement qui menacerait la capitale, Kinshasa. Et le fait que «l’agresseur» Paul Kagame est régulièrement reçu avec pompe (voire décoré) tant à Brazzaville qu’à Bangui n’est pas de nature à raviver les relations d’amitié entre les peuples des trois pays.
Résolument optimiste, le président Tshisekedi a conclu son adresse sur une note d’espoir : « Le jour où nous mettrons fin à ce à quoi nous assistons aujourd’hui à l’Est de la RDC par exemple des voisins qui viennent semer la pagaille, la mort et la désolation uniquement dans le but de s’enrichir et de piller des ressources; le jour où nous mettrons fin à ce genre de comportement, alors là oui nous aurons compris ».
Annoncé avec pompe plusieurs semaines à l’avance, le Sommet qui aurait dû réunir les dirigeants des pays des bassins du Congo, de l’Amazonie et de la zone Bornéo-Mékong du 27 au 28 octobre à Brazzaville a bien connu la participation d’une dizaine de chefs d’Etat africains, tandis que les représentants de l’Indonésie et du Brésil ont brillé par leur absence. Même les plus «africain » d’entre les invités, le Français Emmanuel Macron n’a pas daigné faire le déplacement de la capitale de l’autre Congo. A l’exemple du Brésilien Lula, il s’est exprimé par visioconférence.
Econews