L’archevêque anglican sud-africain Desmond Tutu, icône de la lutte contre l’apartheid, est décédé, dimanche, à l’âge de 90 ans. Surnommé « The Arch », il avait reçu le prix Nobel de la paix en 1984 pour sa contribution à apporter une solution et mettre fin au régime ségrégationniste en place en Afrique du Sud durant quatre décennies.
Il était un rire, une énergie et surtout une conscience. L’ancien archevêque sud-africain Desmond Tutu est décédé dimanche à 90 ans, au terme d’une vie de combat, d’abord contre l’apartheid, puis pour la réconciliation de son pays et la défense des droits de l’Homme.
La «Nation arc-en-ciel », c’est lui. Desmond Tutu a utilisé cette expression pour la première fois en 1993. Il était une icône de la lutte contre l’apartheid et avait pour cela reçu le prix Nobel de la paix en 1984.
Jusqu’à son dernier souffle, le prix Nobel de la paix a imposé sa petite silhouette ronde et son franc-parler légendaire pour dénoncer les injustices et écorner tous les pouvoirs, quels qu’ils soient.
Affaibli, depuis quelque temps, il ne parlait plus en public. Mais il saluait les journalistes, sourire ou regard malicieux, à chacune de ses sorties récentes, lors de son vaccin contre le Covid ou d’un office pour ses 90 ans.
«C’est un grand privilège, un honneur que les gens pensent que votre seul nom peut changer les choses», confiait à l’AFP le prêtre anglican en 2011.
S’ils ont inspiré les foules, les engagements de Desmond Tutu ont aussi beaucoup irrité.
Son église anglicane par exemple, quand il défendait les droits des homosexuels («je ne pourrais pas vénérer un Dieu homophobe») ou, plus récemment, le droit de mourir dignement. La Chine aussi, chaque fois qu’il prenait partie pour le Dalaï Lama. Ou encore les gouvernements sud-africains successifs, dont il a dénoncé les turpitudes.
Même son ami Nelson Mandela n’a pas échappé à ses foudres. A son arrivée au pouvoir en 1994, Tutu a reproché à son Congrès national africain (ANC) une mentalité de «profiteur».
Ses convictions étaient fermes, mais «the Arch», un de ses surnoms, les a toujours défendues avec une joyeuse exubérance.
Volontiers blagueur, y compris à ses dépens, il n’hésitait pas à agrémenter ses harangues de quelques pas de danse et d’un rire proche du gloussement devenu sa marque de fabrique.
Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a fait part, dans un communiqué, de «sa profonde tristesse suite au décès, ce dimanche», de cette figure essentielle de l’histoire du pays.
«Le décès de l’archevêque émérite Desmond Tutu est un nouveau chapitre de deuil dans l’adieu de notre nation à une génération de Sud-Africains exceptionnels qui nous ont légué une Afrique du Sud libérée », a ajouté le président.
«Nation arc-en-ciel»
Desmond Tutu a acquis sa notoriété aux pires heures du régime raciste de l’apartheid.
Alors prêtre, il organise des marches pacifiques contre la ségrégation et plaide pour des sanctions internationales contre le régime blanc de Pretoria.
Seule sa robe lui épargnera la prison. Son combat non-violent est couronné du prix Nobel de la paix en 1984.
A l’avènement de la démocratie dix ans plus tard, celui qui a donné à l’Afrique du Sud le surnom de « Nation arc-en-ciel » préside la Commission vérité et réconciliation (TRC) qui, espère-t-il, doit permettre au pays de tourner la page de la haine raciale.
«Je marche sur des nuages. C’est un sentiment incroyable, comme de tomber amoureux », confie-t-il. « Nous, Sud-Africains, allons devenir le peuple arc-en-ciel du monde».
Ses espoirs sont vite déçus. La majorité noire a acquis le droit de vote, mais reste largement pauvre.
Fidèle à ses engagements, le « curé » du Cap devient alors le pourfendeur des dérives du gouvernement de l’ANC, à commencer par les errements de l’ancien président Thabo Mbeki dans la lutte contre le sida.
En 2013, il promet même de ne plus jamais voter pour le parti qui a triomphé de l’apartheid. «Je n’ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d’autres qui pensent en être aussi», déplore Tutu.
«Témérité »
Inlassable militant de l’unité raciale, il ne craint pas en 2011 de proposer une taxe sur la richesse des seuls Blancs pour corriger les inégalités. «Ils ont profité de l’apartheid », plaide-t-il.
A l’étranger, on le voit aussi sur tous les théâtres de conflits, RDCongo, Soudan, Kenya ou Palestine. Il appelle à juger les dirigeants occidentaux pour la guerre en Irak.
Chemin faisant, il gagne le cœur de nombreuses personnalités.
Le Dalaï Lama en fait son « frère aîné spirituel », le président américain Barack Obama « un symbole de gentillesse et de paix ». Et le dernier président sud-africain blanc Frederik de Klerk confessait «un immense respect pour sa témérité ».
Nelson Mandela en faisait même un saint. «Dieu attend l’archevêque, il va l’accueillir à bras ouverts », écrit-il. «Si Desmond arrive au paradis et se voit refuser l’entrée, alors aucun de nous n’y entrera».
A l’inverse, l’ancien président zimbabwéen Robert Mugabe, dont il a étrillé la dérive dictatoriale, le taxait de « méchant petit homme en robe».
Quand on l’interrogeait sur sa célébrité, l’archevêque souriait. Et remerciait sa famille de l’aider à garder les pieds sur terre.
«Ma femme a mis une pancarte dans notre chambre, qui dit +tu as le droit d’avoir tes opinions erronées+», racontait-il. «Ils sont là pour dégonfler la haute opinion que j’ai de moi-même ! »
Vitalité stupéfiante
Desmond Tutu est né le 7 octobre 1931 dans l’anonymat de Klerksdorp, petite cité minière au sud-ouest de Johannesburg.
Enfant, il souffre de poliomyélite. Marqué par cette expérience, il veut devenir médecin mais y renonce faute de moyens. Il sera enseignant, avant de démissionner pour protester contre l’éducation de moindre qualité réservée aux Noirs et d’entrer au séminaire.
Ordonné prêtre à 30 ans, il étudie et enseigne au Royaume-Uni et au Lesotho, puis s’établit à Johannesburg en 1975. Avant d’être nommé archevêque du Cap et chef de la communauté anglicane de son pays.
Il était marié depuis 1955 à Leah, dont il a eu quatre enfants.
Malgré un cancer de la prostate diagnostiqué en 1997 et plusieurs séjours à l’hôpital, cet homme d’une vitalité stupéfiante ne s’est retiré que très progressivement de la vie publique, partageant un compte Twitter avec sa fille Mpho, qui dirige sa Fondation.
Jusqu’au bout, il s’est accroché à son rêve d’une Afrique du Sud multiraciale et égalitaire.
A la mort de Nelson Mandela en 2013, Desmond Tutu avait réveillé une cérémonie officielle bien ennuyeuse en faisant hurler un puissant «oui » à la foule après lui avoir lancé «nous promettons à Dieu que nous allons suivre l’exemple de Nelson Mandela !»
Econews avec Le Point Afrique