Les pays européens ne sont pas d’accord sur la nature du conflit en Palestine.
Dans un signe de défense ferme d’Israël, le gouvernement allemand a rejeté «fermement et expressément» les allégations selon lesquelles Israël commettrait un «génocide» à Gaza, après que l’Afrique du Sud l’a accusé de violations de la Convention des Nations Unies sur le génocide.
L’Allemagne, qui a annoncé qu’elle interviendrait dans l’affaire soumise à la Cour internationale de justice (CIJ), a ainsi mis en garde contre une «instrumentalisation politique» de l’accusation.
Il est intéressant de constater que c’est le gouvernement sud-africain qui est à l’origine de cette affaire. L’été dernier, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a demandé à la Cour pénale internationale l’autorisation de ne pas arrêter le président russe Vladimir Poutine lors d’un sommet des BRICS, un mandat d’arrêt ayant été délivré à l’encontre de M. Poutine pour crime de guerre, accusé de la déportation d’enfants ukrainiens en Russie.
Pour parler juridiquement de «génocide», il faut prouver qu’Israël se livrerait à un massacre «intentionnel» de civils. Les Etats-Unis ont déjà fermement exclu cette possibilité, mais l’argument de l’ambassadrice d’Israël en Belgique, Idit Rosenzweig-Abu, mérite d’être rappelé. Elle a affirmé récemment ceci : «Si nous ne nous préoccupions pas de la population de Gaza, nous aurions pu mettre fin à ce conflit en une semaine. Israël dispose de la puissance de feu et de la supériorité aérienne nécessaires pour en finir avec le Hamas demain. Il ne le fait pas. Pourquoi ? Parce qu’une telle offensive augmenterait considérablement le nombre de morts parmi les habitants de Gaza qui ne sont pas liés au Hamas.»
Le procureur général adjoint d’Israël, Gilad Noam, a en outre averti que les déclarations de personnalités d’extrême droite appelant à blesser intentionnellement des civils à Gaza étaient non seulement contraires à la politique israélienne, mais constituaient également une infraction pénale.
Un débat complexe
Fondamentalement, il est difficile de faire de grandes déclarations lorsque tous les faits ne sont pas connus.
Le Hamas a affirmé qu’environ 23.000 personnes ont été tuées à Gaza depuis le début de la guerre, mais selon Israël, jusqu’à 9.000 combattants du Hamas ont été tués ou capturés. Quelle que soit l’affirmation qui est vraie, cela signifie dans les deux cas qu’une grande partie des victimes sont des terroristes du Hamas, dans un contexte où le Hamas utilise la population palestinienne de 2,3 millions d’habitants comme boucliers humains.
L’opinion publique, mais aussi les gouvernements européens, sont divisés sur la question. Alors que l’Allemagne et l’Autriche soutiennent fermement Israël, l’Espagne et la Belgique penchent nettement plus du côté palestinien, avec des réserves dans les deux cas.
Les récentes déclarations de la ministre belge de l’aide au développement, la sociale-démocrate Caroline Gennez sur le conflit ont également déclenché une querelle diplomatique avec l’Allemagne. Dans une interview, Mme Gennez reproche à l’Allemagne son manque de fermeté vis-à-vis d’Israël : «Ceci une question cruciale pour nos amis allemands : souhaitez-vous réellement vous trouver deux fois du mauvais côté de l’histoire ? »
Selon le gouvernement allemand, cela revient à mettre Israël sur un pied d’égalité avec l’Allemagne nazie. L’ambassadeur d’Allemagne en Belgique, Martin Kotthaus, a réagi vivement à ces propos en déclarant : «Les comparaisons entre la Shoah et ce qui se passe aujourd’hui ne sont pas appropriées.» Il a ajouté ceci : «Israël a le droit de se défendre contre la terreur du Hamas, mais doit en même temps faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger la population civile.»
Avant même l’attaque terroriste majeure du Hamas du 7 octobre, Mme Gennez s’était déjà fait connaître pour ses critiques envers Israël. L’ambassadrice belge en Israël a dû répondre d’une autre de ses déclarations en septembre, dans laquelle elle affirmait ceci : « Des villages entiers sont rayés de la carte par les Israéliens. » Mme Gennez faisait ici référence au départ de familles palestiniennes de villages situés dans la « zone C » de la Cisjordanie, contrôlée par Israël. Selon les Palestiniens, ces familles ont été forcées de partir en raison du harcèlement des colons israéliens, ce qui, d’après le gouvernement israélien, est faux. Les autorités israéliennes ne les obligent pas à se déplacer. Gennez se rallie donc assez facilement à la théorie selon laquelle les colons ont leur responsabilité, en ayant recours à l’expression ambiguë «les Israéliens»; mais il n’y a pas de consensus sur ce point, c’est le moins que l’on puisse dire.
Certains affirment que Mme Gennez fait de telles déclarations par simple opportunisme électoral – pour le «vote musulman» – et l’opposition belge l’accuse de se comporter comme une «activiste». Quoi qu’il en soit, il convient de noter que la ministre ne fait pas preuve du même zèle pour demander des éclaircissements sur les informations selon lesquelles 3 000 enseignants de Gaza payés par l’UNRWA, c’est-à-dire avec l’argent des contribuables occidentaux, auraient célébré le massacre du Hamas le 7 octobre sur le site de réseau social Telegram, saluant les tueurs et les violeurs comme des « héros » et glorifiant l’« éducation » que les terroristes ont reçue. Ils auraient partagé avec allégresse des photos d’Israéliens morts ou capturés, appelant également à l’exécution des otages.
Deux poids, deux mesures
S’il est un conflit qui échauffe les esprits, c’est bien celui qui oppose Israël aux Palestiniens. Ce faisant, même le plus vertueux des admirateurs d’Israël devra admettre que l’armée israélienne commet des erreurs, surtout dans un contexte de guerre. Et même le défenseur le plus fervent des Palestiniens peut admettre que le peuple n’est pas dirigé par les personnalités les plus exemplaires.
Si le sort des Africains chrétiens renversés par des Africains musulmans n’a guère retenu l’attention, Israël a fait l’objet d’une attention particulière; et c’est principalement dû au fait qu’Israël soit une démocratie occidentale. En effet, la colère contre Israël s’explique par le fait que les occidentaux attendent davantage d’un pays qui applique certaines normes en matière d’Etat de droit.
Mais l’obsession des militants d’extrême gauche pour le conflit israélo-palestinien s’explique aussi par le fait que la culture juive tend à valoriser la pensée critique et la perspicacité financière – comme en témoigne le nombre disproportionné de prix Nobel remportés par des Juifs.
Ce sont des choses qui ne sont généralement pas très appréciées par la gauche autoritaire, qui prône le collectivisme et, dans certains cas, la loi du plus grand nombre. Ironiquement, Israël a commencé par être un projet de gauche, avec ses kibboutzim, qui étaient à l’origine des communautés utopiques, une combinaison de socialisme et de sionisme. Cependant, le pays s’est finalement développé en optant pour une voie capitaliste.
Aller de l’avant
Si l’on examine l’histoire de ce conflit, on constate qu’il y a eu beaucoup d’injustices, tant du côté israélien que du côté palestinien. De nombreux Juifs ont honnêtement acheté des terres dans la région, lorsqu’elle était encore contrôlée par les Britanniques. Avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne dans les années 1930, il y avait déjà eu quatre vagues d’immigration juive dans la région, ce qui signifie qu’il ne s’agit pas non plus d’une simple conséquence de l’Holocauste.
Reste à savoir comment le conflit sera résolu. Une solution possible consiste à tenter de geler toutes les frontières actuelles de facto, dans l’espoir qu’elles puissent être acceptées par les deux parties d’ici un siècle environ. Hormis les Etats-Unis, qui soutiennent militairement Israël, les autres pays n’ont que très peu d’influence sur cette question. Les pays européens devraient donc s’assurer que leur aide financière aux Palestiniens ne soit pas utilisée à mauvais escient, ce qui pourrait leur donner plus de poids en Israël.
Pieter Cleppe (Chronique Agora)