Entre le président de l’Assemblée provinciale et le Gouverneur de la ville de Kinshasa, c’est peu dire que le torchon brûle. C’est désormais la guerre ouverte entre les deux personnalités aux caractères bien trempés mais de surcroît, revendiquant la course en tête vers la réélection du chef de l’Etat. Tous deux membres éminents de l’Union sacrée de la Nation, ils se sont signalés depuis un certain temps par des prises de position contradictoires sur la gestion de la ville. Là où le gouverneur Ngobila proclame des succès dans sa croisade dans l’assainissement de la ville, le président de l’organe délibérant Godé Mpoy n’a de cesse de dénoncer la «mauvaise gestion» des finances de la ville et de solliciter le paiement dans leur totalité des arriérés des émoluments des élus provinciaux. L’échange récent des correspondances entre l’Hôtel de ville et l’Assemblée provinciale laisse présager l’imminence d’un bouleversement que les observateurs avaient prédit de longue date. En créant son propre parti politique (ACP) en juin 2022, Gentiny Ngobila se mettait en porte-à-faux avec l’UDPS qui lui avait déjà imposé Gérard « Gecoco » Mulumba comme vice-gouverneur. De là à envisager un mécanisme subtil destiné à le destituer, il n’y qu’un pas que les observateurs avisés n’ont pas manqué de franchir allègrement.
L’humeur de Godé Mpoy Kadima transparaît à travers deux correspondances adressées le même jour (31 mai 2023) et portant sur le même objet. La première, portant le n° 8039 a pour objet : «Etat des autorisations d’emprunts auprès des banques». «Au regard de l’opacité qui a caractérisé cette opération, je vous demande de me faire la situation des sommes qui ont été libérées ainsi que leurs utilisations; faute de quoi, je me réserve le droit de saisir toutes ces banques pour arrêter la procédure », peut-on lire dans la lette qui demande par la même occasion que soit transmis à l’Assemblée provinciale le Plan de décaissement déjà effectué en rapport avec le dossier du Marché central de Kinshasa dont Godé Mpoy affirme suivre «quotidiennement» l’évolution des travaux. La lettre est assortie d’un ultimatum de 48 heures.
Le Gouverneur Ngobila étudiait encore la correspondance qu’une seconde lettre tombait sur son bureau (n° 8041). Au style aussi acéré que la première, celle-ci a pour objet : «Protocole tripartite relatif aux engagements de l’Assemblée provinciale et des députés provinciaux auprès d’Afriland First Bank CD». Le président de l’Assemblée provincial de Kinshasa dit constater avec regret que son interlocuteur prend avec beaucoup de légèreté la question d’Afriland First Bank, alors que depuis 2019, il avait commencé, écrit-il, à alerter le gouvernement provincial sur le risque que couraient les députés provinciaux du fait du retard que l’Exécutif a emmagasiné dans le paiement de leurs émoluments. Ici aussi, un appel en forme d’ultimatum : « Je vous demande de me fixer avant le 15 juin 2023 quant au règlement définitif de ce litige en vue d’éviter des poursuites judiciaires par les députés provinciaux.
La correspondance du président de l’Assemblée provinciale adressée au gouverneur de la ville est datée du 31 mai dernier. Son objet ne laisse aucune équivoque protocole tripartite relatif aux engagements de l’Assemblée provinciale et des députés provinciaux auprès d’Afriland First Bank CD.
LES RÉSEAUX SOCIAUX S’ENFLAMMENT
Pendant que les deux personnalités échangent des amabilités à travers des correspondances au vitriol, elles ameutent leurs partisans sur les réseaux sociaux. Godé Mpoy est le premier à dégainer dans un appel à ses collègues députés provinciaux : «Chers collègues, je sais qu’on va vous donner l’argent pour me faire partir du bureau. Devant la mauvaise foi de l’Exécutif qui clochardise les députés. Pendant ce temps, l’argent de la ville est affecté aux intérêts d’une famille», écrit-il dans un post abondamment relayé par les internautes.
Godé Mpoy lève un coin du voile sur les crédits contractés par les élus provinciaux et qui ont servi à l’acquisition de biens immobiliers et en appelle à ses collègues : « Les fonctionnaires sont impayés (…) Ayant épuisé toutes les voies pacifiques, je décide aujourd’hui d’utiliser toutes les voies de droit à ma portée pour obtenir le paiement de tous les arriérés des députés et le règlement définitif du dossier Afriland. On nous endort pour que nous ne soyons pas réélus et qu’on ravisse des maisons aux députés par Afriland. Devant cette méchanceté et après une longue patience, je lève cette option».
Enfin, il lance un avertissement en forme de menace : «Si par malheur vous me sacrifiez à cause des miettes qu’on va vous proposer, je vous attendrais de pied ferme à cette plénière (avec ceux qui croient en moi) qui sera retransmise en direct par la RTNC».
L’UDPS EN EMBUSCADE
A la réflexion, la «guerre» ouverte entre Gentiny Ngobila et Godé Mpoy n’est que la partie émergée de l’iceberg, le véritable combat se déroule ailleurs. Le sort du gouverneur de la ville était d’ores et déjà scellé dès la nomination de Gérard «Gecoco» Mulumba en remplacement du vice-gouverneur Néron Mbungu. L’UDPS avait placé l’un de ses ténors parmi les plus radicaux dont la tache a consisté depuis à documenter les dérives de son supérieur hiérarchique devenu par trop indépendant en dépit d’un attachement affiché à la «vision» du Chef de l’Etat.
La création du parti politique ACP de Gentiny Ngobila, dont la sortie officielle avait rempli le stade des Martyrs en juin 2022, et la disparition le lendemain d’un demi-million de dollars américains des caisses de l’Hôtel de ville sont autant de griefs parmi d’autres que ne lui pardonne pas le parti présidentiel. Certains cadres de ce dernier jugeant que l’heure est venue pour l’UDPS de prendre les commandes de la capitale, à six mois de la Présidentielle.
Econews