Mamadi Doumbouya, le président de la transition de Guinée, a accordé son premier entretien à un média international (RFI et France 24) depuis le coup d’État du 5 septembre dernier. Il est revenu notamment sur les récentes sanctions de la Cédéao et sur la nomination de son gouvernement, entièrement formé de technocrates et sans aucun ancien ministre. Il évoque aussi le sort de son prédécesseur Alpha Condé, qu’il remet entre les mains de la justice. Il a assuré qu’il n’y avait pas de crise dans son pays, capable de «régler (ses) problèmes» lui-même sans que l’organisation régionale ouest-africaine n’applique les mêmes mesures qu’au Mali.
En Guinée, le tombeur d’Alpha Condé se posi tionne comme rassembleur dans un pays qu’il dit déchiré après toutes les crises socio-politiques. A la tête du Conseil national de transition, le colonel Mamady Doumbouya, n’affiche pas les ambitions présidentielles.
«Je pense que j’ai été clair, et je vais l’être aujourd’hui encore avec vous : ni moi, ni aucun membre de cette transition ne sera candidat à quoi que ce soit. Nous allons mener la transition à bon port avec tous les Guinéens. Nous allons partir de la base au sommet par les communales, après les législatives, la présidentielle pour permettre au président qui viendra après ne soit pas là à vouloir s’éterniser, car le peuple n’acceptera plus jamais qu’on personnalise la chose publique », a-t-il dit, répondu à une question de la presse française.
Dans un entretien diffusé par la télévision nationale dimanche soir, celui qui s’est fait investir président de transition le 1er octobre, un mois après avoir renversé avec ses hommes le président Alpha Condé, s’est gardé de se prononcer sur la durée de la période précédant un retour des civils au pouvoir et s’est défendu de mener une «purge» dans les services de l’Etat.
Quant aux motivations de son coup d’Etat contre Alpha Condé, dont il était pourtant proche, le colonel Doumbouya se justifie en ces termes : «Depuis plusieurs années, nous avons eu des dysfonctionnements de nos institutions, liés souvent à la tension sociopolitique dans notre pays. Et les Guinéens ne se regardaient plus comme des frères. Ils se regardaient comme des adversaires politiques. La gabegie financière de notre pays nous a poussés à prendre nos responsabilités. Et la responsabilité qui est grande pour nous, d’abord je dis depuis le 5 septembre qu’il faut qu’on commence, et qu’on commence à s’aimer comme avant parce qu’on ne s’aimait plus».
La Communauté des Etats ouest-africains (CEDEAO), confrontée à un troisième putsch en un an après le double coup d’Etat au Mali, a suspendu la Guinée de ses instances et sanctionné individuellement les membres de la junte. Elle réclame la tenue d’élections dans un délai de six mois, ainsi que la libération de l’ex-président, détenu en un lieu gardé secret.
Envoyé spécial de la CEDEAO
Dans son premier entretien prolongé avec un média international (RFI et France 24), le colonel Mamady Doumbouya exprime son opposition à la récente nomination d’un envoyé spécial par l’organisation, ainsi qu’à un délai imparti par la CEDEAO.
«Je pense qu’on est assez intelligents pour régler nos problèmes ensemble entre nous. Ce n’est pas un pays qui est en crise, c’est un pays qui est en phase de prendre son destin en main (…) S’il y avait une crise ici, on pourrait envoyer un envoyé spécial. Nous voulons tout simplement régler nos problèmes (en) interne».
Depuis le putsch d’août 2020, la CEDEAO a aussi sanctionné le Mali, puis ses dirigeants, les poussant à accepter une transition limitée à 18 mois, et nommant un médiateur. Mais la junte malienne a signifié dernièrement qu’elle ne respecterait pas l’échéance prévue d’élections en février 2022. L’instance régionale a durci le ton contre la junte malienne lors d’un sommet le 7 novembre mais noté des avancées en Guinée, comme la formation d’un gouvernement.
Crise en Guinée
Le colonel Doumbouya a demandé « d’éviter la comparaison » entre Mali et Guinée. « Il n’y a pas de crise en Guinée (…) vouloir toujours donner les mêmes remèdes à deux maladies ou trois maladies différentes, je pense que ce n’est pas adapté ». La durée de la « transition » sera décidée par le « Conseil national de transition », censé tenir lieu d’organe législatif et en cours de constitution, a-t-il dit.
Quant à l’ex-président Alpha Condé, « nous lui réservons un traitement digne, et son intégrité physique et morale sont protégées », a-t-il dit en le rangeant parmi les « pères fondateurs » de la Guinée.
Il n’a pas exclu qu’Alpha Condé ait à rendre des comptes, mais la décision reviendra au ministère de la Justice, a-t-il dit. Il a aussi envisagé un « compromis » tout en signifiant que son sort serait décidé entre Guinéens.
Envisagerait-il de gracier l’ancien président Condé ? A cette question, Mamady Doumbouya botte en touche : «C’est tout ce qui nous a amené dans toutes ces déstabilisations, dans tous ces problèmes qu’on a, c’est la personnalisation de la chose publique. Je ne ferai pas le travail de la justice. Je suis président de la transition et non ministre de la Justice. Donc, la justice guinéenne aura toute son indépendance. Elle aura aussi tout mon accompagnement pour que ce peuple assoiffé de justice puisse vraiment se retrouver ».
Mise en garde
Il a adressé une ferme mise en garde aux anciens partisans d’Alpha Condé, aux anciens « barons » du régime, selon ses mots, et à ceux qui troubleraient ce qu’il appelle ses efforts de rassemblement : «Nous ne laisserons passer aucune, je dis bien aucune, attitude de nature à perturber cette atmosphère».
Quant à la mise à la retraite récente de centaines de gradés militaires, policiers ou douaniers, elle « n’est pas une purge ». Et de préciser : « Au contraire, c’est l’assainissement des effectifs de la fonction publique, des corps militaires et paramilitaires ».
Concernant les sanctions qui frappent les membres de la junte, dont celles imposées par la Cédéao, Doumbouya relativise : «Nous avons bien sûr besoin de nos partenaires, mais ce qui est pour nous non négociable, c’est la souveraineté nationale, parce que nous tenons à la liberté. Et la Cédéao, je pense, doit penser au mal qui gangrène nos pays. Et je pense que la Cédéao doit penser aux peuples africains de l’Ouest, parce que les peuples aussi ont besoin de la protection des institutions qui en leur nom sont censées aider nos pays et nos populations à sortir de l’injustice».
Econews avec AFP et RFI