La junte malienne invoque des «atteintes flagrantes à la souveraineté nationale» du pays pour justifier sa dénonciation des accords de défense conclus avec Paris et d’autres partenaires.
Entre le Mali et la France, la rupture est désormais scellée. Dans un communiqué publié lundi 2 mai, la junte au pouvoir à Bamako a annoncé dénoncer les accords de défense conclus avec Paris et ses partenaires européens, invoquant la «détérioration profonde de la coopération militaire avec la France» et ses «atteintes flagrantes à la souveraineté nationale du Mali ».
Trois textes sont concernés : l’accord de 2013 encadrant la présence des forces françaises et donc des militaires de l’opération antiterroriste «Barkhane», déployés depuis huit ans au Sahel ; le traité de défense signé en 2014 pour organiser la coopération militaire structurelle entre Paris et Bamako; et le protocole additionnel déterminant le statut des forces spéciales européennes engagées dans la «Task Force Takuba», qui opère dans le Nord depuis 2020, sous commandement français.
Les autorités dominées par les militaires arrivés au pouvoir après un double coup d’Etat – en août 2020 puis en mai 2021 – ont précisé que la dénonciation du traité de défense ne prendrait effet que dans six mois. En revanche, celle concernant «Barkhane» et «Takuba» a, selon elle, un «effet immédiat». En clair, sur le papier, Bamako considère désormais la présence des militaires français et européens sur son sol comme illégale.
«Nouveau coup de bluff?»
Concrètement, quelles en seront les répercussions ? La question reste en suspens. Elle s’était déjà posée en février, quand Emmanuel Macron avait acté le retrait militaire français du Mali, après des mois d’escalade des tensions. Bamako avait alors sommé la France de « retirer sans délai » ses soldats, tentant ainsi de contrecarrer le plan annoncé par le président français d’un retrait coordonné dans un délai de quatre à six mois.
Sur le terrain, les mots de la junte étaient restés sans incidence. Après avoir fermé ses bases de Kidal, Tessalit et Tombouctou, fin 2021, «Barkhane» avait continué, malgré le coup de semonce malien, à organiser comme prévu le départ de ses quelque 2.400 soldats encore présents sur le territoire. L’objectif : quitter ses dernières emprises, à savoir Gossi (dont la fermeture est effective depuis avril), Ménaka et enfin Gao, d’ici au mois d’août.
A Paris, la dénonciation des accords inquiète et questionne quant aux intentions réelles de la junte. « Est-ce une nouvelle gesticulation, un coup de bluff de plus ou un acte posé dans le but de provoquer un incident sécuritaire avec nos forces ?», s’interroge une source française, qui conteste les justifications apportées par les autorités de transition.
Dans son communiqué, le gouvernement malien invoque notamment de « multiples violations de l’espace aérien opérées par des aéronefs militaires français, malgré l’instauration d’une zone d’interdiction temporaire ». Une référence à peine cachée à un énième épisode de discorde entre Paris et Bamako qui remonte au 27 avril.
La junte avait accusé l’armée française d’«espionnage» et de «subversion», après la diffusion par l’état-major français de vidéos tournées par un drone. Celles-ci montraient, selon l’armée française, des mercenaires du groupe de sécurité privé russe Wagner en train d’enterrer des corps pour monter un faux charnier près de la base française de Gossi, et ce dans le but de mettre en cause Paris. Réfutant toute violation, l’état-major avait rappelé la liberté de circulation accordée aux forces françaises… par l’accord de 2013 que Bamako dénonce aujourd’hui.
La crainte d’un effet domino
Le bras de fer juridique entre les deux pays n’est pas nouveau. En décembre 2021, la junte avait déjà demandé à la France de réviser le traité de coopération en matière de défense. Les amendements demandés par la partie malienne touchaient, selon nos informations, à des questions plutôt subsidiaires telles que les exonérations de douanes et de visas octroyées aux coopérants français. Après des mois de silence, Paris a fini par envoyer sa réponse aux autorités maliennes, le 29 avril. Celle-ci a-t-elle déplu aux Maliens et pourrait-elle contribuer à expliquer la dénonciation annoncée ce 2 mai ?
En France, certains préfèrent voir, derrière cette nouvelle bataille juridique engagée par Bamako, la main des Russes et une réplique des mercenaires de Wagner à l’épisode du faux charnier de Gossi révélé par Paris et qu’«ils n’auraient pas digéré». «C’est la continuité de la stratégie de désinformation et de mensonges développée par les Russes depuis des mois au côté de la junte pour entretenir le feu sacré de la critique antifrançaise au Mali », fustige notre source française citée plus haut.
Quoi qu’il en soit, sur le plan juridique, la dénonciation de l’accord déterminant le statut du détachement français «risque de complexifier le départ de «Barkhane» du Mali et son redéploiement au Sahel, analyse Julien Antouly, doctorant en droit des conflits armés à l’université Paris-Nanterre. Les autorités maliennes pourraient remettre en cause les facilités accordées en termes de visa et de dédouanement, avec pour effet de ralentir les convois logistiques actuellement organisés par «Barkhane» pour quitter le pays. A l’avenir, la dénonciation empêchera aussi toute opération militaire française sur le sol malien, y compris des frappes aériennes menées depuis le Niger, par exemple».
Elle pourrait aussi avoir un effet domino et pousser d’autres forces internationales à plier bagage, isolant encore un peu plus le Mali. Le 11 avril, la mission européenne EUTM-M avait déjà annoncé « arrêter » ses missions de formation et d’entraînement militaires pour se concentrer sur des modules «sur les lois de la guerre », principalement en raison de la présence de Wagner, qui a déployé plus de 1.000 hommes depuis janvier. Dans la foulée, l’Allemagne avait émis des réserves sur le maintien de son important contingent (1.100 hommes), déployé au sein de la mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), dont le renouvellement doit être discuté au Conseil de sécurité, en juin.
Econews avec Le Monde Afrique