L’annonce du retour en République Démocratique du Congo (RDC) de l’ancien président de la République Joseph Kabila par la «partie orientale » du pays sème l’inquiétude au sein du pouvoir et divise l’opinion publique congolais. Alors que des négociations entre Kinshasa et la coalition rebelle AFC/M23 se poursuivent à Doha (Qatar), cette déclaration ravive les suspicions d’un lien entre l’ex-chef d’État et les groupes armés, plongeant la capitale dans un climat de méfiance.
Joseph Kabila, président honoraire silencieux depuis sa passation de pouvoir en 2019 avec son successeur, a rompu son mutisme début 2024. Dans une tribune publiée depuis l’Afrique du Sud, puis lors d’un entretien à Jeune Afrique, il a évoqué un retour imminent en RDC via l’Est, sans préciser s’il visait une zone sous contrôle gouvernemental ou rebelle. Cette ambiguïté, entretenue par des apparitions médiatiques calculées, alimente les spéculations.
À Kinshasa, le pouvoir de Félix Tshisekedi y voit une manœuvre de déstabilisation, tandis que la population oscille entre défiance et indifférence.
Opinion publique divisée : entre droit et suspicions
Dans les rues de Kinshasa, les avis divergent. «En tant qu’ex-président de la République, il a le droit de revenir comme tout Congolais », tempère un habitant, rappelant la légitimité citoyenne de Kabila.
Un autre s’interroge : «Pourquoi choisir Goma, une région en crise ? Si les aéroports de l’Est sont contrôlés par des rebelles, son passage là-bas envoie un message trouble ». Certains soulignent son expérience : «Après 18 ans au pouvoir, personne ne maîtrise mieux les arcanes de l’État », glisse un Kinois.
Mais pour beaucoup, ce retour résonne comme un aveu implicite. «Sa femme s’est déjà rendue dans l’Est. Cela ne prouve rien, mais les doutes persistent», nuance un commerçant.
Depuis son départ pour l’étranger en janvier 2024, Kabila est dans le viseur de l’UDPS, le parti au pouvoir. Augustin Kabuya, secrétaire général du parti, l’accuse d’avoir fui le pays pour soutenir le M23 – une thèse fermement rejetée par le Front Commun pour le Congo (FCC), la coalition de Kabila. Aujourd’hui, l’UDPS voit dans son retour par l’Est une confirmation de ces allégations. «Il cherche à reprendre les rênes via un pantin. Mais les Congolais sont vigilants», assène Adolphe Amisi Makutano, cadre de l’UDPS, évoquant les souffrances de l’Est : «Nos morts, nos femmes violées, nos ressources pillées… Comment croire en ses intentions ? »
Contexte explosif
Cette annonce survient à un moment clé : une délégation congolaise rencontre celle de l’AFC/M23 à Doha pour des pourparlers directs, sous médiation qatarie. Objectif affiché : apaiser la crise dans l’Est congolais, où les rebelles, accusés de liens avec le Rwanda, contrôlent des territoires stratégiques. Le retour de Kabila en RDC par cette zone trouble pourrait compliquer les discussions, ravivant les craintes d’ingérence étrangère et de double jeu politique.
Si Kabila insiste sur son droit de circuler librement, son choix géopolitique interroge. Reviendrait-il en héros pour «sauver» l’Est sous occupation rebelle, ou en stratège pour renverser l’ordre établi ?
Les autorités redoutent une instrumentalisation de la rébellion à des fins de pouvoir. Pour l’heure, Kinshasa garde un œil sur Doha et un autre sur Goma, conscient que le retour de l’ancien président pourrait faire basculer l’équilibre précaire du pays.
Econews