Après six mois d’enquête dans les profondeurs de la Gécamines (Générale des carrières et des mines), l’Inspection générale des finances (IGF) est arrivée à des conclusions qui démontrent le degré de prédation de ce qui a été jadis le fleuron de l’industrie minière congolaise. De ses 35 millions de tonnes de réserves en cuivre et plus de trois millions de tonnes de réserves en cobalt en 2000, la Gécamines n’en compte finalement qu’à peine neuf millions de tonnes de réserves de cuivre et 1,4 millions de tonnes de cobalt en 2021, fait observer l’IGF. Bref, le patrimoine minier de la Gécamines a été bradé dans divers contrats de joint-venture qui n’ont pas profité à l’entreprise. Pire, de tous ces partenariats qui ont généré, entre 2012 et 2020, environ 35 milliards de dollars US, la Gécamines en a tiré que la modique somme de 564 millions USD, note l’IGF. De tous les partenariats de la Gécamines, l’IGF indexe particulièrement celui conclu dans le cadre de Tenke Fungurume Mining. Depuis le Canadien Lundin Mining jusqu’à l’actuel propriétaire le Chinois CMOC, en passant par l’Américain Freeport Mc Morgan, TFM a fait l’objet d’une vrai razzia, dénonce l’IGF.
On savait déjà que le Code minier de 2002, inspiré par la Banque mondiale, est venu formaliser le démantèlement de la Gécamines (Générale des carrières et des mines), le nostalgique géant minier de la République Démocratique du Congo. On savait aussi que, depuis sa promulgation en 2002, le Code minier n’était nullement en faveur de la RDC.
Depuis toutes ces années, les dégâts ont été tels que la RDC a tenté de se rattraper avec la révision du Code minier révisé de 2018, mais le ver était déjà dans le fruit. Il a fallu donc attendre la publication de l’IGF (Inspection générale des finances) pour comprendre enfin la grande razzia dont a été victime la Gécamines.
Autrefois, fleuron de l’industrie minière congolaise, la Gécamines a été condamnée à une mort certaine. Bref, l’entreprise a été saignée à blanc au travers des partenariats – 24 au total signés entre 2000 et 2008 – dans lequel l’Etat congolais n’a bénéficié que de maigres revenus en termes d’impôts, droits, taxes et royalties.
Pour la seule période de 2012 à 2020, les partenariats de la Gécamines ont généré, révèle le rapport de l’IGF, des revenus d’environ 35 milliards Usd pour lesquels l’Etat congolais, via la Gécamines, n’aura encaissé qu’à peine 564 millions USD.
Le rapport de l’IGF épingle également d’énormes sommes en termes de pas-de-porte payés dans la conclusion de divers partenariats pour lesquels seule une portion congrue a pu être canalisée vers le compte général du Trésor.
Mais, le plus grand scandale que révèle ce rapport de l’IGF comme avec l’arrivée de l’Américain Freeport Mc Moran dans le capital de Tenke Fungurume Mining (TFM), après avoir hérité des actions du Canadien Lundin Mining.
Depuis lors, la Gécamines a été systématiquement dépouillée d’une bonne partie de sa part dans le capital de TFM. La descente aux enfers s’est poursuivie lorsqu’en 2016 l’Américain Freeport a cédé ses parts, pour plus de 2,6 milliards USD, au Chinois China Molybdenum Co. (CMOC).
A ce sujet, le rapport de l’IGF renseigne que la Gécamines, qui avait initialement 45% de parts en 1996 dans le capital social de la joint-venture créant TFM, s’est retrouvée en 2005 avec 17,5%, avant de remonter à 20% à l’occasion de la révisitation des contrats minirs de 2008, initiée par le Gouvernement d’Antoine Gizenga.
Bien plus, le rapport de l’IGF note qu’il n’y a pas eu de royalties en faveur de la Gécamines dans TFM, soit un manque à gagner estimé à plus de 300 millions USD. Entre 2012 et 2020, le rapport indique également que la Gécamines aurait perçu des dividendes insignifiants sur les 14 milliards USD générés sur la même période par TFM.
Tout compte fait, depuis sa prise de contrôle par l’Américain Freeport jusqu’ à l’arrivée du Chinois CMOC, TFM n’a aucunement bénéficié à la Gécamines. Bien au contraire, toutes les transactions ont été faites au détriment de l’opérateur national qui ne s’est contenté que de maigres revenus.
Selon un député national, cité par Stany Bujakera, journaliste à Jeune Afrique, « le dossier TFM est le plus gros scandale du rapport de l’IGF. La part de la Gécamines dans le partenariat avec TFM en 1996 a été réduite par influence de la Banque mondiale et de l’ambassade des Etats-Unis (via une conseillère) à 17,5 % en 2005 et remonté à 20% en 2009 ».
Décidément, la Banque mondiale, grand artisan du Code minier de 2002, a participé activement au démantèlement de la Gécamines, dépouillant l’Etat congolais de son potentiel minier.
La majorité de contrats signés entre 2000 et 2008 ont été signés sous l’impulsion de la Banque mondiale en créant un manque à gagner pour la Gécamines, via les apports en capitaux empruntés, une sous-traitance massive auprès de maison mère étrangère, générant d’importantes charges financières qui ont participé au rapatriement frauduleux des capitaux vers la maison-mère.
La même source, reprise par Stany Bujakera, fait également mention du « taux d’intérêt de plus de 16% fixé par TFM et suivi par les autres opérateurs ».
Pour toutes ces raisons, ce député national est convaincu que TFM a été «un mauvais exemple pour les autres». Comme conséquence, entre 2012 et 2020, à peine 564 millions USD ont été versés à la Gécamines sur les 35 milliards de chiffre d’affaires générés par ses divers partenariats. Un scandale qui traduit le degré de prédation de cette entreprise du Portefeuille de l’Etat jadis fleuron de l’industrie minière congolaise lorsqu’elle contribuait, au temps fort de son apogée dans les années 1980, à plus de 70% du budget national.
Silence dans les rangs des ONG
C’est tout de même curieux que le sulfureux rapport de l’IGF ne suscite pas l’engouement dans les rangs des ONG qui se montrent généralement aptes à réagir quand ces genres de scandale touche leur cible de prédilection, à savoir l’homme d’affaires israélien Dan Gertler. Parce que ce dernier n’est pas nommément épinglé par l’IGF, toutes ces ONG ont préféré se taire. Pas une réaction dans leurs rangs. Et quand le rapport de l’IGF indexe leur protégé, TFM, ces ONG sont embarrassées.
C’est normal que, depuis la publication de ce rapport de l’IGF, des ONG telles que Resourses Matters de la Belge Elisabeth Caessens ou, sa branche congolaise, le collectif «Congo n’est pas à vendre», brille par un silence complice. En réalité, elles ne trouvent pas intérêt à réagir à un sujet où Dan Gertler, leur proie idéale, n’est pas impliqué.
Aussi, ont-elles décidé de se taire pour ne pas gêner leurs intérets obscurs qui ne vont nullement dans le sens de la défense de la RDC et de son peuple.
Pourtant, depuis Lundin Mining jusqu’à CMOC, en passant par Freeport Mc Moran, le rapport de l’IGF souligne, avec des preuves évidentes, que la Gécamines a été flouée de bout en bout dans TFM.
A tout prendre, le rapport de l’IGF a l’avantage, même s’il ne cerne pas tous les problèmes, de mettre sur la place publique l’étendue de dégâts causés à la Gécamines, sous la bénédiction de la Banque mondiale qui a organisé et supervisé cette razzia.
Pour le cas spécifique de TFM, le rapport démontre que cette entreprise a toujours échappé au contrôle de l’Etat, depuis la présence de l’Américain Freeport Mc Moran jusqu’au Chinois CMOC qui en a pris possession en 2016. Bref, c’est un bien sans maître dans lequel l’Etat congolais n’a aucun droit de regard.
Cependant, l’IGF pense qu’il y a moyen de rétablir la Gécamines dans ses droits, convaincu que rien n’est encore perdu. C’est l’essentiel des recommandations qu’a formulées son patron, Jules Alingete Key, dans la lettre qu’il a adressée, le 3 juin 2022, à Mme la ministre d’Etat en charge du Portefeuille à l’attention de l’Assemblée générale et du Conseil d’administration de la Gécamines.
Parmi ses récomman-dations, l’IGF évoque la possibilité d’ « explorer les possibilités de révision du taux de royalties fixées dans les contrats d’amodiation, en tenant compte du caractère significatif de l’apport des gisements par la Gécamines S.A. »
Francis M.