Milvest, ce «monstre» que Nicolas Kazadi lègue à la République (Exclusivité Africanews et Ouragan)

Au Congo-Kinshasa, dans un paysage économique marqué par des dynamiques complexes, l’entreprise turque Milvest, dirigée par l’homme d’affaires turc Thuran Mildon, est apparue comme une étoile montante. Avec l’émergence fulgurante de Milvest, de nombreuses interrogations se posent sur la véritable nature de cette alliance entre le pouvoir en place et cet investisseur au parcours énigmatique.

Depuis son arrivée en République Démocratique du Congo, Milvest a su rafler des contrats juteux et, ce faisant, a considérablement réduit l’influence des partenaires traditionnels, notamment chinois. Pour le président Félix Tshisekedi, l’entrée de Thuran Mildon dans le paysage économique congolais représentait une opportunité en or pour réaliser son rêve de grandeur pour la RDC. Ce partenariat s’annonçait prometteur, jusqu’à ce qu’une ombre planante vienne assombrir le tableau : l’ancien ministre des Finances, Nicolas Kazadi.

Kazadi, figure clé ayant facilité l’accès de Milvest aux largesses financières de l’État, avait mis en place un cadre ultra-favorable pour l’entreprise. Avec près de 520 millions USD d’investissements d’État, Milvest s’est vu offrir des projets d’envergure tels que le Centre financier de Kinshasa, la Foire internationale de Kinshasa (Fikin), et Kin Arena, deux édifices emblématiques en cours de construction. Cependant, cette ascension fulgurante a fait la part belle à de nombreuses critiques sur la transparence des opérations et la gestion des fonds publics.

Le départ de Nicolas Kazadi du ministère des Finances a marqué un tournant décisif pour Milvest. Doudou Fwamba, son successeur, ne partage visiblement pas la même vision et a fermé les robinets, rendant l’entreprise turque le maître de plus en plus isolé. En conséquence, tous les chantiers de Milvest sont aujourd’hui à l’arrêt, une situation qui soulève des questions sur la viabilité à long terme de cette entreprise qui semblait, au premier abord, promise à un brillant avenir.

Une enquête conjointe d’Africanews et du journal Ouragan a tenté de percer le mystère entourant Milvest et son président, Thuran Mildon. Les révélations sont accablantes : elles mettent en lumière un réseau complexe de relations et de favoritismes qui ont permis à Milvest de prospérer aux dépens de nombreux autres investisseurs. L’enquête questionne également le rôle crucial que Nicolas Kazadi, alors Ministre des Finances, a joué dans cette affaire, présenté non seulement comme le bienfaiteur de l’homme d’affaires turc, mais aussi le principal  architecte d’un système opaque conçu autour de Milvest.

Les préoccupations concernant l’impact de cette alliance sur l’économie congolaise sont grandissantes. Les promesses de création d’emplois et de développement se sont évanouies, laissant place à une «sèche économique» qui touche non seulement Milvest, mais également les centaines de travailleurs et fournisseurs liés à ces projets.

Alors que la RDC aspire à se relever et à renforcer son économie, le cas de Milvest constitue un rappel frappant des dangers d’alliances politiques imprudentes et des processus d’investissement manquant de transparence. Les regards restent donc rivés sur Thuran Mildon et son entreprise, à la croisée des chemins, alors que la situation évolue dans un climat de suspicion et d’incertitude. L’avenir de Milvest et de ses projets en République Démocratique du Congo reste à écrire, mais les leçons tirées de cette expérience pourraient bien redéfinir les engagements futurs de l’État envers les investisseurs étrangers.

Africanews et Ouragan ont tenté de pénétrer le mystère de ce monstre, Milvest, que l’ex-argentier national, Nicolas Kazadi, a légué à la République. Enquête.

Econews

Les secrets derrière les contrats Milvest : zones d’ombre après l’interview exclusive de l’homme qui a tout raflé au nom de la République

Milvest, un nom ronflant depuis quelques années en RD-Congo. Méconnue de la population kino-congolaise au début des années 2020, l’entreprise turque a gagné plusieurs marchés publics ces trois dernières années… au nom de la République et d’une… certaine amitié. Du Centre financier à Kin Arena, en passant par l’aéroport international de N’Djili, le groupe dirigé par le milliardaire turc Thuran Mildon a tout raflé ou presque. Le 11 juillet, au cours d’une interview exclusive au duo Jeanric Umande et Achille Kadima représentant Ouragan et AfricaNews, le boss de Milvest en personne s’est livré : sa prédisposition à préfinancer elle-même grâce à des montages financiers pour se faire rembourser plus tard.

Mais il paraît n’avoir pas dit totalement la vérité tant de zones d’ombre, finalement éclairées après recoupements et consultations d’une série de correspondances, avec des responsables tenus à l’écart. Il reste encore beaucoup à dire, à découvrir sur les marchés Milvest. Après les premiers mystères percés, le constat est éloquent: aucun chantier n’est totalement achevé à ce jour, même pas le Centre financier dont une partie a été inaugurée en décembre dernier, en clôture de la campagne électorale. Thuran Mildon justifie l’arrêt des travaux par le blocage des containers des équipements et matériels par l’administration.

Seulement, les faits font mentir l’investisseur. D’abord, Milvest semble n’avoir pas financé les projets. Des documents confirment le décaissement de près de 520 millions de dollars du Trésor public au profit du groupe turc. Aussi, l’arrêt des travaux semble ne pas être dû aux raisons évoquées par le milliardaire turc. L’étrange coïncidence entre l’interruption des travaux dans les chantiers Milvest et le blocage de certains paiements en faveur de l’entreprise turque laisse planer le doute sur la version de Thuran Mildon. Interview.

Bonjour Monsieur Turhan Mildon, voudriez-vous présenter la société Milvest ?

Bonjour. La société Milvest s’est installée en République démocratique du Congo en 2021, après une rencontre que j’ai eue à Istanbul avec le président Félix Tshisekedi grâce au président de mon pays, Recep Tayyip Erdogan. J’ai pu présenter notre projet au président Tshisekedi au cours de cette rencontre. Milvest est une branche de notre société mère, Miller Holding, un groupe initialement spécialisé dans la construction, créé il y a 60 ans par mon grand-père, passé ensuite sous la gestion de mon père avant la mienne propre.

Nous sommes présents dans onze pays à travers le monde. Mais la République démocratique du Congo, où nous avons commencé par la construction, est la plus importante actuellement. C’est ici que nous avons fait notre plus gros investissement à travers 14 projets avec le gouvernement de la République, avec le soutien du président Tshisekedi. De tous ces projets, le Centre financier a un très grand impact et a récolté un grand succès. Après son inauguration en décembre 2023, j’ai personnellement reçu les messages de félicitations de sept chefs d’État.

Malgré la forte prédominance de la politique dans les débats économiques et les affaires, je suis depuis l’indépendance du pays le plus grand investisseur privé qui ait mis plus de mises directes dans les projets à caractère public. Nous avons financé et érigé le Centre financier, le Centre de congrès, le projet Arena. Nous sommes présents dans les projets routiers, des logements sociaux, de transport électrique et ou bientôt d’infrastructures aéroportuaires.

Faits : Selon nos informations, ce serait plutôt Monsieur Batshily qui aurait présenté Monsieur Turhan au président de la RD-Congo, lors d’une réunion dans laquelle se trouvait Nicolas Kazadi, à qui il aurait été demandé de suivre tous les projets Milvest. Milvest n’avait mis que 10 millions de dollars en équipements et ressources humaines pour démarrer avant que l’État ne commence à lui faire tous les paiements avérés et de se porter garant pour toutes les levées de fonds et crédits dans les banques locales, turques ou d’ailleurs.

Pourquoi dites-vous que la République Démocratique du Congo est la plus importante ?

Je l’ai dit tantôt. Depuis l’indépendance, aucun homme d’affaires n’a fait autant d’investissements directs que moi dans un temps aussi record. J’ai investi coup sur coup plus de 400 millions de dollars en attendant que l’État commence à rembourser, pour un total de 14 projets qui emploient 9.000 personnes dont la société assure les salaires, les soins médicaux et le logement.

Avec les projets déjà finis, l’État me doit 147 millions de dollars. J’ai investi 100 millions de dollars en machines et autres équipements. La centrale à béton, la carrière et autres m’ont coûté 150 millions de dollars. L’Arena a déjà englouti 68 millions de dollars contre plus de 100 millions de dollars dans l’immobilier. Tous ces financements sont documentés, donc traçables. En ce qui concerne le Centre financier, l’État a payé ses 15% d’avance comme stipulé dans le contrat mais, jusqu’à son inauguration en décembre dernier, je n’ai rien reçu en retour.

Faits : Ces chiffres ne sont confirmés par aucun officiel à part Nicolas Kazadi et aucune trace d’un quelconque virement des fonds de Miller Holding ou Milvest Extérieur vers le Congo, rien du tout qui représenterait 400 millions de dollars d’investissements. Quand un gouvernement vous signe un contrat et que vous anticipez sur base de ces contrats et des avances vous accordées, ce n’est pas un investissement.

C’est vous qui avez financé tous ces projets ou c’est le gouvernement de la République ?

C’est moi qui ai financé et j’attends que l’État commence à rembourser. Ce que je dis est vérifiable au ministère du Budget, au ministère des Finances et à la Banque centrale du Congo. J’ai financé parce que je crois en l’avenir de la République démocratique du Congo, parce que je crois au président Félix Tshisekedi. Je fais tout ça malgré la campagne des luttes politiques dont ma société est la cible. Mais ce qui arrive, est malheureux pour le pays. Le chien aboie, la caravane passe, dit l’adage. Je crois que les nouveaux projets continueront malgré tout.

Faits : Nous avons pu retracer, preuve à l’appui, que Milvest a reçu du Trésor congolais près de 420 millions de dollars et 120 millions de dollars américains tirés sur la banque TDB, que notre gouvernement doit rembourser.

Peut-on connaître la nature des montages financiers derrière tous ces projets ?

Alors que l’État éprouve encore des difficultés financières, j’ai pu, après d’âpres négociations avec les banques, obtenir des financements pour différents projets. Pour le Centre financier, par exemple, j’ai réussi à ramener à l’État un crédit d’une période de sept ans. L’État ne va rien payer les deux premières années et les cinq années suivantes seront payées grâce à la mise en location des appartements, bureaux et autres pièces du Centre financier qui reste donc la propriété de la République démocratique du Congo. C’est le même modèle pour le Centre des congrès et les autres projets.

Pour Arena, j’ai déjà payé 68 millions de dollars contre rien de la part de l’État. L’ouvrage devait être mis en service dans les délais mais le chantier a connu du retard à cause d’une certaine administration qui bloque du matériel et exige le paiement de certaines taxes alors qu’il s’agit d’un projet éminemment public. C’est paradoxal. C’est contreproductif. Ça dessert le pays et son dirigeant. À ce jour, 1300 containers sont bloqués au port de Matadi et un navire en mouillage avec 400 autres containers chargés, pourtant destinés à cet autre important chantier!

Faits : Tous les chantiers se retrouvent à l’arrêt pile au moment où l’IGF bloque tous les paiements à faire par le Trésor public en faveur de Milvest. Si cette entreprise était bien un investisseur, il aurait fait venir son argent pour terminer les chantiers. Certainement la preuve, outre les paiements reçus, que Milvest ne travaille qu’avec l’argent de l’État congolais.

Mais pourquoi avoir laissé la rumeur et les contrevérités s’amplifier face à toutes ces évidences ?

Milvest et sa maison mère ont 60 ans d’activités. Je n’ai personnellement pas l’habitude de parler dans la presse. Je n’ai jamais eu autant d’opportunités de m’exprimer comme je le fais en République démocratique du Congo. Je préfère faire parler le savoir-faire de nos sociétés, notre sérieux et la qualité de nos réalisations. Le reste ce n’est pas mon débat.

Faits : Milvest a une expertise impossible à nier, mais plusieurs autres compagnies dans le monde possèdent les mêmes expertises si pas mieux. Cependant, elles ne sont pas des investisseurs mais des exécutants de projets pour les gouvernements là où elles vont. Et tout Congolais pourrait ramener une société avec une belle expertise et gagner les mêmes marchés.

Mais les accusations de compromission se multiplient contre vous…

Je sais que le Congolais est humain. J’aime le pays et son peuple. Mais je mets un bémol. Tout ici est lié à la lutte politique et l’argent. Moi je n’ai pas ce temps-là. Je suis milliardaire avant de venir en République démocratique du Congo. Je n’ai pas de temps à perdre avec les conneries. C’est pourquoi je garde mon silence.

Faits : Un milliardaire qui n’a pas ramené d’argent au Congo et qui ne travaille que sur base des paiements reçus par le Trésor public de la RDC qu’il nie avoir reçus. Ça questionne. Des preuves rapportant des paiements allant jusqu’à près de 520 millions de dollars en deux ans ont été recensées.

Qu’est devenu le projet du nouvel aéroport international de Kinshasa ?

C’est un projet à part. La structure de départ a été faite sous le président honoraire Joseph Kabila pour 700 millions de dollars que l’État devrait entièrement financer. À ma première réunion avec le président Tshisekedi, je lui avais dit que j’avais tout aimé à Kinshasa à l’exception de la qualité de son aéroport international. Je lui avais soumis l’idée d’un nouveau projet dans lequel l’État n’allait rien dépenser mais entièrement financé à plus d’un milliard de dollars par les privés et dont le remboursement se ferait grâce aux revenus issus de l’exploitation après une échéance acceptée par les parties.

L’idée l’avait enchanté. Le gouvernement a recherché en vain ce financement privé. Je me suis finalement prononcé pour financer cet important projet. Le travail final initié avec le gouvernement Sama vient d’être présenté à la nouvelle équipe dirigée par la Première ministre Suminwa. Les travaux pourraient débuter au mois d’août de cette année.

Faits : Signer un contrat avec un pays qui s’engage à vous payer 1 milliard et utiliser ce contrat pour aller lever des fonds et financer le projet est un exercice que tous ceux qui sont avertis et qui sont crédibles dans leur pays, peuvent faire.

Mais il y aussi le projet Téléphérique de Kinshasa…

Il s’agit là d’un projet entre l’État et le groupe français POMA. Ce n’est pas un projet Milvest. POMA a pris l’initiative de nous contacter pour envisager de travailler ensemble parce qu’il n’a pas un personnel et des équipements sur place. Un contrat a été signé mais l’État et POMA n’ont pas pu faire avancer le projet. À ce stade, je ne peux rien faire à mon niveau parce que je n’en suis pas l’initiateur. Je sais que les discussions continuent. J’observe.

Quels sont vos rapports avec l’ancien ministre des Finances Nicolas Kazadi ?

J’ai rencontré pour la première fois le président Tshisekedi à Istanbul chez le président Erdogan. Je l’ai vu pour la deuxième fois à Kinshasa, à son invitation. J’ai également vu le même jour l’ancien ministre des Finances Nicolas Kazadi et mon frère Amadou Diaby, que je connais depuis longtemps en dehors de la République démocratique du Congo. Nous avons tous participé à une réunion autour du président de la République.

Petite anecdote: Nicolas Kazadi était quelque peu réticent après la présentation de mes projets. Mais, convaincu après notre rencontre grâce au président Erdogan, le président Tshisekedi m’a fait confiance et a demandé à Nicolas Kazadi de faire le suivi des projets Milvest et lui faire régulièrement rapport. Donc entre Nicolas Kazadi et moi, c’étaient des relations entre un investisseur et un membre du gouvernement en charge du secteur des finances.

Ça n’a jamais été une relation personnelle ou une relation d’argent au détriment de l’État. On a travaillé ensemble pour des projets d’intérêt public. Les gens de mauvaise foi nous ont soupçonnés sans preuve de gagner des millions ensemble dans ces projets. Et c’est ça l’origine de la vile campagne contre Milvest. On voit Nicolas dans tous les projets Milvest. Après lui, on verra certainement son successeur, le ministre Doudou Fwamba (Rires)…

Je n’ai pas encore gagné un seul dollar de mon énorme investissement en République démocratique du Congo et je n’ai donc pas un seul dollar à faire gagner à quiconque.

Faits : Ce serait plutôt Monsieur Batshily qui aurait présenté Monsieur Turhan au président de la RDC lors d’une réunion dans laquelle se trouvait Nicolas Kazadi qui a été chargé de suivre tous les projets Milvest.

Mais vous prêtiez régulièrement votre avion à Nicolas Kazadi ?

Je peux vous dire qu’il n’était pas le seul à avoir utilisé cet appareil. D’autres responsables politiques ont également recouru à ce jet sans émouvoir personne. En avril dernier, quand Nicolas Kazadi a été débarqué à Ndjili, il y avait quatre autres ministres à bord. Je suis aujourd’hui citoyen de la République démocratique du Congo de par mon investissement et mon amour pour le pays, j’aide juste tout le monde qui me le demande.

Faits : Cet acte pourrait justement être considéré comme de la corruption. Un privé qui cherche des contrats avec l’État congolais et qui met son jet à disposition de différents ministres, n’est pas un fait anodin dont il peut être fier. Il nous revient par nos contacts à la DGM que le ministre qui l’a le plus utilisé est l’ancien argentier national, pour aller à Paris, en Turquie, à Abu Dhabi, Mbujimayi, etc…

Êtes-vous sûr de pouvoir récupérer l’argent que vous investissez malgré les luttes politiques que vous évoquez ?

Je ne suis pas un politique. Ça ne m’intéresse pas. J’ai confiance en la République Démocratique du Congo, ses dirigeants et son peuple. Je fais confiance au président Tshisekedi et c’est ce qui justifie mon engagement et mon assurance. Je sais que ça ne sera pas facile mais le modèle de remboursement mis en place me permet de croire. J’ai un principe dans la vie : je vis pour mon honneur et l’honneur de mon pays, la Turquie. Quand je donne ma parole, je la tiens toujours. La République démocratique du Congo, aujourd’hui ma seconde patrie, peut compter sur moi. Je ne suis pas venu ici pour des actes compromettants.

Faits : Milvest a reçu à ce jour 520 millions de dollars sans achever les différents chantiers. Et même, des dépassements énormes ont été constatés sur les montants prévus initialement. C’est donc à l’État de récupérer tous ses chantiers terminés avec tout l’argent déjà investi et non le contraire.

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Avec Jeanric Umande et Achille Kadima