Les chefs d’état-major de la Cedeao devaient se réunir samedi. Mais la réunion a été reportée après des manifestations pro-militaires près de la base française. Paris s’est dit prêt à soutenir toute option levée par la Cédéao.
Des milliers de partisans du régime militaire au Niger ont manifesté, ce vendredi 11 août, près de la base française à Niamey, après le feu vert donné par des dirigeants ouest-africains à l’usage de la force pour rétablir le président Mohamed Bazoum, mais la réunion des chefs d’état-major de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), prévue samedi, a été repoussée sine die.
Cette réunion, qui devait initialement se tenir samedi à Accra, a été reportée pour « des raisons techniques », selon des sources militaires régionales, et aucune date n’a été dévoilée. Elle devait avoir lieu afin de faire part aux dirigeants de l’organisation «des meilleures options » quant à leur décision d’activer et de déployer sa « force en attente ».
Manifestation anti-France
«À bas la France, à bas la Cedeao », ont scandé les manifestants lors d’un rassemblement qui s’est tenu dans le calme, au lendemain d’un sommet de la Cedeao qui a autorisé une possible intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel. Ils ont brandi des drapeaux russes et nigériens et ont crié leur soutien aux militaires qui ont pris le pouvoir, en particulier à leur chef, le général Abdourahamane Tchiani.
«Nous allons faire partir les Français ! La Cedeao n’est pas indépendante, c’est une manipulation de la France, il y a une influence extérieure », a dit Aziz Rabeh Ali, membre d’un syndicat étudiant soutenant le régime militaire.
Depuis leur prise de pouvoir, les militaires ont pris la France, ex-puissance coloniale, pour cible privilégiée, l’accusant d’être en sous-main à l’origine de la décision de la Cedeao d’intervenir militairement. La France, alliée du Niger avant le coup d’État et soutien indéfectible du président renversé, y déploie quelque 1 500 hommes engagés avec l’armée nigérienne dans la lutte contre les groupes djihadistes qui minent une grande partie du Sahel.
Réunis jeudi à Abuja, les dirigeants de la Cedeao ont décidé d’activer et de déployer une «force en attente » pour rétablir Mohamed Bazoum, sans révéler le calendrier ni les modalités d’une intervention.
Une intervention risquée pour Mohamed Bazoum
Selon le président ivoirien Alassane Ouattara, dont le pays contribuera à la force, celle-ci devrait pouvoir intervenir « dans les plus brefs délais ».
Dans le même temps, plus de deux semaines après le coup d’État qui l’a renversé le 26 juillet, les craintes grandissaient quant aux conditions de détention et au sort réservés au président Mohamed Bazoum, prisonnier avec sa famille depuis. L’Union européenne (UE), l’Union africaine (UA) et l’ONU ont dénoncé «la détérioration des conditions de détention » du président, retenu prisonnier avec sa femme et son fils, «inhumaines » selon l’ONU.
Et la perspective d’une intervention militaire de la Cedeao fait craindre pour sa sécurité : selon un de ses proches, les nouveaux maîtres de Niamey ont brandi «la menace » de s’en prendre à lui si elle avait lieu.
«L’intervention va être risquée, il en est conscient, il considère qu’il faut un retour à l’ordre constitutionnel, avec ou sans lui», car «l’état de droit est plus important que sa personne», a assuré un de ses conseillers.
Un Premier ministre nommé
À Abuja, la Cedeao a toutefois réaffirmé son espoir d’une résolution par la voie diplomatique : le président du Nigeria, Bola Tinubu, qui assure la présidence tournante de la Cedeao, a dit espérer « parvenir à une résolution pacifique », un recours à la force n’étant envisagé qu’en « dernier ressort ».
Les décisions de la Cedeao ont reçu le « plein soutien » de la France, ainsi que des États-Unis. Ces deux pays avaient fait du Niger un pivot de leur dispositif dans la lutte contre les djihadistes armés qui sèment la mort dans un Sahel déstabilisé.
La menace d’intervention avait été brandie une première fois le 30 juillet par les dirigeants ouest-africains qui avaient lancé un ultimatum de sept jours aux militaires de Niamey pour rétablir le président Bazoum, sous peine d’utiliser «la force », non suivi d’effet. Depuis, les nouveaux maîtres du Niger se sont montrés intransigeants en ayant refusé mardi d’accueillir une délégation conjointe de la Cedeao, de l’Union africaine (UA) et de l’ONU.
Juste avant le sommet d’Abuja, ils ont également annoncé la formation d’un nouveau gouvernement, dirigé par un Premier ministre civil, qui s’est pour la première fois réuni vendredi.
De nombreux pays favorables à la junte
Tous les pays d’Afrique de l’Ouest ne sont pas hostiles au nouveau pouvoir nigérien : le Mali et le Burkina Faso voisins, eux aussi dirigés par des militaires, ont affiché leur solidarité avec Niamey. Selon un conseiller de la présidence malienne sous couvert d’anonymat, l’un des hommes forts de la junte nigérienne, le général Salifou Mody, nouveau ministre de la Défense, a effectué une courte visite au Mali vendredi.
Le même jour, le Cap-Vert, membre de la Cedeao, a également déclaré s’opposer à une intervention militaire de l’organisation. «Nous devons tous œuvrer pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Niger, mais en aucun cas par une intervention militaire ou un conflit armé en ce moment », a déclaré le président de ce pays, José Maria Neves.
Et la Russie, qui tire profit dans la région des sentiments de plus en plus marqués contre la France, s’est à nouveau prononcée vendredi contre toute intervention armée au Niger, qui « pourrait conduire à une confrontation prolongée dans ce pays africain ainsi qu’à une forte déstabilisation de la situation dans l’ensemble de la région du Sahara et du Sahel ».
La France derrière la Cedeao
Bien avant la réunion, finalement avortée des chefs d’état-major de la Cédéao, la France a exprimé, jeudi 10 août, son soutien à la Communauté régionale.
Paris soutient «l’ensemble des conclusions adoptées à l’occasion du sommet extraordinaire » de la Cedeao à Abuja, y compris la décision d’activer le déploiement d’une «force en attente», a signifié le ministère français des Affaires étrangères.
Paris a toujours estimé qu’une option militaire devait rester sur la table depuis le coup d’État survenu le 26 juillet. La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a martelé qu’il s’agissait du coup d’État «de trop» dans la région et fait valoir que le rétablissement de l’ordre constitutionnel était crucial pour ce pays et ses voisins aux prises avec les mouvements djihadistes et l’influence russe du groupe Wagner.
Le soutien des partenaires européens et américain pourrait-il aller jusqu’à un appui à une opération militaire ? Selon des responsables occidentaux, aucune demande de la Cedeao n’a été à ce stade formulée.
La France compte 1.500 militaires à Niamey, engagés dans la lutte anti-djihadiste sous commandement nigérien tandis que les États-Unis disposent d’une force d’un millier d’hommes. Le président français Emmanuel Macron, en vacances au fort de Brégançon dans le sud de la France, a fait un point, jeudi soir, à l’issue du sommet de la Cedeao avec ses «ministres, ses équipes » et l’ambassadeur de France à Niamey, a indiqué l’Élysée.
Avec Le Point Afrique