Kinshasa accuse le géant américain de complicité dans l’exploitation des «minerais de sang» pillés par des groupes armés et exportés via le Rwanda. En toile de fond, la question de la traçabilité.
La République Démocratique du Congo (RDC) intensifie son offensive contre l’exploitation des «minerais de sang». Le 16 décembre, Kinshasa a franchi un cap historique en déposant une plainte en France et en Belgique contre Apple. Le géant de la tech, ainsi que d’autres multinationales, est accusé de profiter des minerais extraits dans l’Est congolais, une région où des groupes armés, dont la rébellion du M23 soutenue par le Rwanda selon l’ONU, profitent de cette exploitation pour financer leurs activités.
Au cœur de ce bras de fer judiciaire et géopolitique, il est question de ressources stratégiques, vitales pour la fabrication de smartphones, les ordinateurs et appareils électroniques. La RDC dénonce une chaîne d’approvisionnement opaque et complice, où l’or, le tantale et l’étain extraient leur valeur au prix du sang, du travail forcé et des violations massives des droits humains. Le gouvernement congolais affirme que ces minerais sont «blanchis » en passant par le Rwanda avant d’intégrer les chaînes d’approvisionnement mondiales.
DES RESSOURCES STRATEGIQUES AU CŒUR DES CONFLITS ARMES
Si Kinshasa avait jusqu’à présent hésité à engager des poursuites judiciaires, la plainte déposée marque une escalade dans son conflit avec le Rwanda et dans sa volonté de responsabiliser les multinationales. Le collectif d’avocats engagé par la RDC, dirigé par Robert Amsterdam et épaulé par des figures comme William Bourdon et Christophe Marchand dénonce un manque de transparence de la part d’Apple qui, malgré des engagements sur des pratiques responsables, n’aurait pas suffisamment sécurisé ses approvisionnements.
Au-delà de l’aspect judiciaire, cette affaire souligne la complexité de la gestion des ressources naturelles en RDC. Le pays, riche en minerais, voit ces richesses alimenter des conflits qui durent depuis les années 1990, déplaçant des millions de personnes. Par cette plainte, Kinshasa espère non seulement alerter l’opinion publique, mais aussi forcer les entreprises internationales à revoir leurs pratiques.
TRAÇABILITE CONTROVERSEE
Le tantale, extrait principalement du coltan (colombo-tantalite), est utilisé pour ses propriétés de conduction électrique dans les condensateurs des appareils électroniques. L’étain, quant à lui, est un composant clé des soudures, et l’or sert autant dans l’électronique que dans la bijouterie. Ces minerais transitent souvent par des chaînes d’approvisionnement complexes, où leur traçabilité est difficile à garantir.
En tout cas, la plainte met en lumière les failles des systèmes de certification tels que l’Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain (Itsci), largement utilisée par des entreprises comme Apple. Ce système, censé garantir une traçabilité des minerais, a perdu en crédibilité : il a été retiré de la liste des systèmes approuvés par la Responsible Minerals Initiative en 2023. Ces dysfonctionnements permettent, selon la plainte, aux minerais issus de conflits en RDC d’être blanchis via le Rwanda avant d’être intégrés dans des produits électroniques.
La réaction du géant au logo de pomme ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué la firme a réaffirmé son engagement pour un approvisionnement responsable et rejette les accusations portées par la RDC. Apple a toutefois déclaré avoir demandé à ses fournisseurs, dès l’intensification des conflits cette année, de suspendre tout approvisionnement en minerais provenant de la région. L’entreprise révèle également s’appuyer sur des audits indépendants pour garantir la transparence et respecter des normes environnementales et éthiques strictes.
«Nous reconnaissons que la situation dans la région est très difficile et nous avons accru notre soutien aux organisations qui font un travail vital en aidant les communautés.» Apple, soucieuse de préserver son image, met en avant l’utilisation croissante de matériaux recyclés dans ses produits. Elle souligne que près de 99 % du tungstène utilisé provient désormais de sources recyclées.
Les avocats de la RDC saluent la prise de position, mais appellent à des preuves tangibles sur le terrain. Par ailleurs, des experts craignent qu’un éventuel embargo sur les minerais congolais n’aggrave la précarité économique des populations locales, dépendantes de cette exploitation artisanale.
Alors que l’enquête se poursuit en Europe, cette affaire relance le débat sur la responsabilité sociale des grandes entreprises et la nécessité de solutions globales pour réguler l’extraction de minerais dans les zones de conflit. Une décision judiciaire pourrait influencer non seulement Apple, mais aussi d’autres acteurs du secteur technologique.
Avec Le Point Afrique
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