Générer des crédits carbone plutôt que d’exploiter du pétrole en République démocratique du Congo, c’est ce que propose une société d’investissement américaine pour, dit-elle, protéger la forêt tropicale.
Kinshasa a mis 27 blocs pétroliers aux enchères en juillet dernier, estimant que l’exploitation des ressources fossiles était un impératif économique pour la RDC, dont les deux tiers de la population vivent sous le seuil de pauvreté.
Mais certains de ces blocs empiétant sur des zones protégées dans la forêt du Bassin du Congo, la 2e plus grande au monde après l’Amazonie, des organisations de défense de l’environnement s’alarment des effets potentiellement désastreux de l’industrie pétrolière.
Les risques sont particulièrement grands selon elles pour les tourbières du centre de ce bassin qui, selon les chercheurs, stockent environ 30 milliards de tonnes de carbone. Presque l’équivalent d’un an d’émissions mondiales, qui se sont élevées pour 2021 à environ 37 milliards de tonnes, selon l’organisme de surveillance Global Carbon Project.
La société d’investissement EQX Biome, basée à New York, a fait une offre pour la totalité des 27 blocs, mais pas pour en exploiter le pétrole.
Selon son PDG, Matthias Pitkowitz, il s’agit d’investir 400 millions de dollars dans des projets de conservation, qui permettraient de générer 6 milliards de dollars en 20 ans grâce à la vente de crédits carbone.
Planter des arbres ou protéger les forêts tropicales sont des outils très prisés des entreprises qui veulent compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Les «crédits carbone» qui leur sont vendus correspondent à la quantité de dioxyde de carbone stockée dans les zones de forêt sauvegardées.
Pour Matthias Pitkowitz, cette proposition est plus intéressante sur le plan économique que le pétrole, car elle pourrait créer des milliers d’emplois et générer des recettes fiscales conséquentes.
«Six milliards de dollars au lieu de forages pétroliers», déclare-t-il à l’AFP.
Ce montant de 6 milliards est basé sur des estimations du succès des projets de conservation générateurs de crédits carbone, précise le PDG, qui refuse de dire si EQX Biome, fondée en 2022, a obtenu un financement pour son offre d’investissement de 400 millions de dollars.
Crédits contestés
Les partisans des crédits carbones, dont le prix est déterminé par tonne de CO2, affirment qu’ils sont efficaces pour lutter contre la déforestation.
Mais les plus sceptiques mettent en garde contre le fait que les forêts ne stockent pas le carbone de manière permanente – les arbres le libèrent dans l’atmosphère lorsqu’ils meurent – et que des entreprises utilisent les crédits pour couvrir l’augmentation de leurs émissions, qu’elles devraient plutôt chercher à réduire.
Un récent scandale à propos de l’inefficacité présumée de projets ayant obtenu le tampon de Verra, principal organisme mondial de vérification des crédits carbone, a également jeté une ombre sur le secteur. Et les failles de la régle-mentation environnementale en RDC, pays parmi les plus corrompus de la planète, font aussi planer un doute sur la finalité des crédits.
«Leur plan est très ambitieux», commente un diplomate occidental. EQX a peu d’expérience en la matière, relève-t-il, mais il estime important d’explorer les crédits carbones comme outil de protection des forêts, en dépit des critiques.
La clôture des enchères pour les blocs pétroliers va s’échelonner d’avril à octobre.
Le ministre des Hydrocarbures, Didier Budimbu, s’est dit ouvert aux offres de groupes de crédits carbones.
Thomas Annicq, PDG d’une de ces sociétés, Oneshot.earth, indique avoir manifesté son intérêt pour l’appel d’offres. Mais, dit-il, le gouvernement n’a jamais répondu à une demande d’informations complémentaires, « j’ai eu l’impression qu’ils ne prenaient pas la chose au sérieux ».
Selon le Boston Consulting Group, la valeur du marché volontaire du carbone, sur lequel les entreprises peuvent acheter des crédits issus de projets de conservation certifiés, a atteint environ 2 milliards de dollars en 2021. Elle devrait atteindre 10 à 40 milliards de dollars d’ici 2030.
Sollicité par l’AFP, le ministère congolais des Hydrocarbures n’a pas répondu.
Avec AFP