Réagissant à l’appel de Félix Tshisekedi à une révision constitutionnelle, Gaspard-Hubert Lonsi Koko : «Cette question mérite une réflexion approfondie, elle n’est pas à prendre à la légère, car l’avenir du pays en dépend »

En déplacement à Kisangani, dans la province de la Tshopo, le 23 octobre 2024, le président de la République Démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, s’est exprimé sur le projet de révision constitutionnelle soutenu par son parti l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Il a parlé d’un texte « rédigé à l’étranger par les étrangers » et annonce la mise en place, l’année prochaine, d’une commission nationale composée d’experts de diverses disciplines pour réfléchir à ce projet. Cette initiative suscite de vives réactions, notamment de l’opposition et d’une frange importante de la société civile. Est-ce le moment opportun pour lancer l’idée d’une telle réforme aussi sensée soit-elle ? Pour réagir à ce sujet brûlant d’actualité, et sans omettre de donner son point de vue sur la crise sécuritaire dans l’Est du pays, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, écrivain, analyste politique et conférencier, a accepté de répondre aux questions d’EcoNews.   

Le président de la République Démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, a annoncé à Kisangani, mercredi dernier, la mise en place, l’année prochaine, d’une commission nationale composée d’experts de diverses disciplines pour réfléchir à une réforme constitutionnelle. En votre qualité d’observateur de la vie politique congolaise, comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

L’annonce du président de la République est judicieuse, dès lors que la Constitution ne doit pas être figée. En droit, les faits précèdent la loi. Ainsi le texte fondamental doit-il évoluer au gré de l’intérêt étatique et non des envies d’ordre privé ou individuel. Et une telle démarche sera fonction de l’option choisie : révision ou changement de la Constitution ? Cette question mérite une réflexion approfondie, elle n’est pas à prendre à la légère, car l’avenir du pays en dépend. Et aussi, la caducité de l’actuelle Constitution ouvrira la voie, par exemple, au retour de quelques acteurs politiques désormais inéligibles au regard de certaines dispositions y afférentes.

L’actuelle Constitution ne répond pas aux besoins et aux défis du pays, parce qu’elle n’est pas adaptée aux réalités congolaises, a-t-il dit. Qu’en pensez-vous ? 

Les dysfonctionnements dans les rapports entre le Parlement et le gouvernement, le gouvernement national et les gouvernements provinciaux, ainsi qu’à propos du rôle du président de la République et du régime politique bancal (à la fois semi-législatif et semi-présidentiel) corroborent cette assertion.

Il a ajouté également que cette Constitution a été rédigée à l’étranger par les étrangers. Cela pose-t-il un problème ?  

Force est de constater que la Constitution du 18 février 2006, révisée en février 2011, tire son origine de l’accord global et inclusif sur la transition adopté en 2003 à Sun City. Elle a été rédigée par un conseil scientifique composé de Congolais et de personnes étrangères pour permettre, dans l’absolu, à notre classe politique congolaise de réaffirmer son droit inaliénable et de s’organiser politiquement en toute liberté dans le but de développer la vie économique, sociale et culturelle selon sa propre vision. Elle ne doit pas être réévaluée du fait sa rédaction, mais de ses effets actuels au regard de la souveraineté nationale, de la stabilité étatique et de l’égalité entre les Congolais.

Présente-t-elle des lacunes ?

Oui, beaucoup. Son application relève d’un casse-tête constitutionnel sans précédent. Certains articles de l’actuelle Constitution relèvent des lois d’application, tandis que d’autres se contredisent. Les conflits entre les alinéas d’un même article, ou entre différentes dispositions, risquent de générer un contentieux dans leur application par rapport aux questions de contrôle de constitutionnalité, ainsi qu’aux contestations des élections. De ce point de vue, on ne peut qu’approuver le constat du magistrat suprême.

Empêche-t-elle le président Félix Tshisekedi de gérer correctement le pays ? 

Une Constitution n’est qu’un outil en vue d’une régulation harmonieuse des institutions étatiques. Encore faudrait-il l’appliquer à bon escient, notamment selon le principe du respect de la séparation des pouvoirs. Hormis les deux premières années ayant caractérisé la cohabitation entre le FCC et le CACH, l’Union sacrée de la Nation est désormais ultra-majoritaire aussi bien au Parlement que dans d’autres instances politiques. Cela devrait plutôt faciliter la tâche du président de la République et lui laisser les coudées franches.

Ne rêve-t-il pas de changer carrément la Constitution pour rester au pouvoir ad vitam aeternam ?  

N’étant pas dans les secrets des initiés, seuls le président de la République et ses affidés pourraient répondre à votre question. Si tel est leur intention, il reviendrait à l’opposition politique et aux forces vives de la nation de faire valoir démocratiquement leur point de vue à l’issue d’un référendum ou de moult débats de sensibilisation et de conscientisation patriotiques.

« Je n’ai pas le pouvoir de changer de mandat, mais c’est le peuple qui en a le droit », a-t-il indiqué. Que comprenez-vous par cette phrase ?

Le peuple congolais reste en effet le souverain primaire dès lors que, au sens de l’article 5 de la Constitution, « il exerce le pouvoir directement par voie de référendum ou d’élections et indirectement par ses représentants ». Le président de la République est sans conteste légitime pour consulter les populations congolaises, notamment s’il souhaite parvenir au déverrouillage des dispositifs bloqués rappelés dans l’article 220.

Est-ce le moment opportun d’engager un tel débat ? 

La révision constitutionnelle n’est pas forcément inopportune, puisque certaines dispositions doivent être abrogées (cf. art. 217) et clarifiées (cf. art. 10). Les plaies occasionnées par des récents scrutins n’étant pas encore cicatrisées et une portion du territoire national étant sous occupation des forces étrangères, le bon sens voudrait que l’on évite le recours au référendum. La révision de la loi fondamentale devrait se faire en conformité avec les alinéas 1er, 2 et 3 de l’article 218 relatifs aux initiatives présidentielle, gouvernementale et parlementaire. S’imposerait d’emblée la réunion du Congrès, sachant que, comme le stipule l’article 220, « la forme républicaine de l’État, le principe du suffrage universel, la forme représentative du gouvernement, le nombre et la durée des mandats du président de la République, l’indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ».

Cette discussion risque de faire oublier un autre sujet d’actualité en RDC, notamment la guerre dans l’Est. Corneille Nangaa et son organisation, Alliance Fleuve Congo (AFC), sont en train de conquérir plusieurs territoires dans l’Est de la RDC. Le dialogue avec Nangaa n’est-il pas l’une des pistes de solution à la crise sécuritaire  dans cette partie du pays ?

Ayons à l’esprit la cohésion nationale. Comment faire coexister, voire cohabiter, des bourreaux et des victimes dans un même espace public sans aucun jugement ? On ne peut pardonner sans une condamnation judiciaire. Il ne faudrait surtout pas négocier avec des violeurs, des auteurs des crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. Certes, il faudrait réconcilier les Congolais sans distinction d’origine. Mais cette initiative ne doit pas se faire avec des individus concernés par la haute trahison du fait d’avoir agi en intelligence avec les puissances étrangères qui déstabilisent la terre de nos ancêtres.

D’après vous, comment mettre un terme à cette crise qui dure depuis 30 ans dans l’Est de la RDC?

L’agression rwandaise doit nous apprendre à mieux connaître les faux alliés de la RDC. Elle doit permettre d’envisager, s’il le faut, d’autres partenariats. Partant du postulat selon lequel les alliés de nos agresseurs cautionnent le pillage de nos ressources naturelles, l’humiliation des populations civiles et la déstabilisation de notre pays, la solution appropriée nécessitera des décisions pragmatiques comme la rupture des relations diplomatiques et la fermeture des frontières avec le Rwanda tant que les forces négatives seront présentes sur le sol congolais. Elle passera aussi par le fait de nouer de nouveaux partenariats dans l’optique d’une coopération sur la base du gagnant-gagnant. Enfin, en toute liberté de conscience, il faudra introduire le débat sur la dramatique situation en cours dans l’Est au Parlement et permettre l’augmentation du budget de l’armée en vue d’une défense offensive. L’avenir de notre pays dépend de la sécurisation de son territoire et de la pacification de la région des Grands Lacs africains. Quelques pays ont connu une paix durable du fait d’avoir gagné la guerre, et il arrive que, dans certaines circonstances, l’attaque soit la meilleure défense. Nous ne devons compter avant tout que sur nous-mêmes.

Propos recueillis par Robert Kongo (CP)