« Un génocide oublié » en RD CONGO : les enjeux géopolitiques de la visite du Pape François à Kinshasa

La visite du Pape François du 31 janvier au 4 février 2023 en RD Congo marque un grand tournant géopolitique décisif dans l’histoire de la RD Congo, étant donné qu’elle impose une nouvelle lecture en rapport avec le génocide congolais. En effet, si d’une part le Pontife romain a mis l’accent sur le pillage et le vol des richesses congolaises, il n’a pas manqué d’autre part de parler haut et fort du génocide congolais qu’il a qualifié de « génocide oublié ». Même s’il avait parlé du pardon, de la réconciliation et de la corruption eu égard aux guerres qui éclaboussent la RD Congo, je souhaiterais m’en tenir au paradigme du génocide et du « statocide » qui constitue mon champ de recherche depuis plus de cinq ans[1], étant donné que le Pape François est le premier Chef État occidental à reconnaitre le génocide congolais.

Le François et le génocide congolais : une reconnaissance historique

Du point de vue géopolitique, je pourrais affirmer que l’une des les raisons majeures qui justifient la visite du Pontife Romain en RD Congo se rapporte aux guerres récurrentes qui éclaboussent le pays il y a plus de trois décennies. Les conséquences de ces guerres, fomentées par certains pays occidentaux depuis 1996 jusqu’à nos jours et, exécutées par leurs gendarmes de l’Afrique des Grands Lacs que sont le Rwanda, l’Ouganda et dans une certaine mesure le Burundi, la Tanzanie, le Kenya sont multiples : le vols et le pillage des richesses minérales, le viols des femmes et des jeunes filles, l’enrôlement des enfants au sein des armées étrangères, les massacres des populations, les assassinats extrajudiciaires, l’occupation des terres et des espaces pour la création d’un Etat tampon, le trafic d’armes et de drogue, bref la violence, la mort, la déportation, l’occupation étrangère dans leur état sauvage ! La partie orientale de la RD Congo est l’une des grandes boucheries humaines qui reflètent l’horreur humaine comme lors de deux guerres mondiales.

Etant classé et compté dans le top trois des personnalités les plus influentes du monde, considéré comme l’une des chefs d’États les mieux informés au monde, l’enjeu géoéconomique de cette visite du Président de l’État du Vatican était une occasion solennelle pour lui d’exiger à cet Occident cynique et à leurs impudents gendarmes de l’Afrique des Grands Lacs d cesser le vol et le pillage des richesses de la RD Congo. Car, affirmait-il lors de son homélie, « ce pays, largement pillé, ne parvient pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources : on est arrivé au paradoxe que les fruits de sa terre le rende ‘‘étranger’’ à ses habitants. Le poison de la cupidité a ensanglanté ses diamants. C’est un drame devant lequel le monde économiquement plus avancé ferme souvent les yeux, les oreilles et la bouche. Mais ce pays […] mérite d’être respecté. » Le Pape sait que ce sont les multinationales occidentales avec leurs pays respectifs qui soutiennent leurs principaux gendarmes Rwandais et Ougandais pour piller les richesses de la RD Congo. C’est pourquoi, il leur a adressé un message sans équivoque : « Retirez vos mains de la République Démocratique du Congo, retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. »

Un deuxième enjeu porte sur la proclamation et la reconnaissance du génocide congolais, qu’il a qualifié de « génocide oublié ». En parlant du « génocide oublié », le Président de l’État du Vatican, je le crois bien, s’était référé à l’histoire des guerres qui ont éclaboussées la RD Congo, depuis la guerre du caoutchouc menée les Belges à l’époque léopoldienne, entre1885 et 1908, jusqu’ à la « Guerre mondiale africaine », autrement appelée la « Grande Guerre africaine » qui a éclaboussée la RD Congo, entre 1998 et 2022. Ce chef d’État Occidental sait qu’avec la guerre du caoutchouc le Congo avait perdu 40 % de sa population, et que depuis la Grande Guerre jusqu’en 2021, il y a plus de 30 millions de Congolais qui sont massacrés par les armées étrangères, ainsi que les groupes armés étrangers et locaux. Sous la colonisation belge en effet, l’État indépendant du Congo avait considéré le Congo comme une grosse entreprise du caoutchouc au sein de laquelle travaillaient les indigènes au prix de leurs vies : la saignée des lianes à caoutchouc pour la récolte du latex était un calvaire pour les Congolais. Ceux qui se dérobaient à cet impôt sanglant étaient mis à mort. Leurs femmes qui furent prises en otage sous l’ordre des Inspecteurs Belges étaient souvent vouées à la famine. Non seulement que les inspecteurs Belges tuaient les hommes qui étaient fatigués de la corvée dans les plantations d’hévéas, mais aussi ils coupaient leurs mains pour prouver à leurs supérieurs hiérarchiques qu’ils les avaient tués[2]. Ainsi furent décimées les populations congolaises entre 1885 et 1908. D’où la conclusion selon laquelle l’État indépendant du Congo ne fut pas seulement un État civilisateur et philanthrope comme on le prétend ; il était surtout une vaste entreprise privée qui réduisait en esclavage le peuple congolais à des fins économiques : il a été un État génocidaire. Les 40 % des Congolais « indigènes » qui ont été massacrés constituent la première phase du génocide congolais[3], dont les enjeux qui en découlaient étaient inséparablement géopolitique, géostratégique et géoéconomique. Le deuxième moment de ce génocide auquel le Président de l’Etat de Vatican se serait référé, est celui qui débute dans les années 1996 jusqu’en 2021, dont le point de mire fut la « Grande guerre africaine ». Durant cette période, les armées par les armées rwandaise, ougandaise, burundaise et tanzanienne, pour ne citer que celles-ci, avaient envahi la RD Congo, sous divers labels : d’abord comme Alliance des forces démocratiques pour la libération du Zaïre/Congo (AFDL) ; ensuite comme Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), doublé du Mouvement de libération congolais (MLC) ; enfin comme Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), qui s’est métamorphosé en Mouvement du 23 mars (M23). Outre ces armées étrangères, il faudrait ajouter les groupes armés étrangers et locaux qui sont soutenus par les mêmes pays occidentaux et africains, en l’occurrence : les Allied Democratic Forces (ADF), les Forces de libération du Rwanda (FDLR), L’armée de résistance du Seigneur (LRA) et la CODECO, les Maï-Maï, etc. Durant toutes ces invasions étrangères, la RD Congo a perdu, d’après les enquêtes, les rapports des Organisations de la société civile congolaise, et les témoignages des familles et de rescapés, plus de 30 millions de ses citoyens. Le chef de l’État du Vatican le sait, et il a voulu le faire savoir explicitement à d’autres État du monde, surtout aux pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU, de telle sorte ceux-là reconnaissent ce génocide tant dénie, jeté dans les poubelles de l’oubli !

Un autre enjeu que je devrais mettre en exergue dans la reconnaissance de ce « génocide oublié » par le Président de l’État du Vatican est sans nul doute l’enjeu médiatique. En effet, aussi bien les médias congolais que les médias africains et occidentaux ne parlent presque nullement du génocide congolais auquel moi-même j’ai consacré plusieurs articles et ouvrages. C’est pour cela que le Président de l’État du Vatican a tenu à parler de ce génocide que le monde veut oublier devant une centaine des médias, pour que ceux-ci à leur tour fassent entendre la voix de la RD. Le Pontife Romain l’a rappelé de façon brutale, sarcastique et crue, pour que « la communauté internationale n’oublie pas le génocide atroce qui se déroule dans le pays qui possède certaines des plus grandes réserves minérales d’Afrique et du monde[4]. » Car, « plus de dix millions de personnes ont été tuées dans les guerres qui ont ravagé le pays sans relâche », entre 1994 et 2021. Que doivent, de ce qui précède faire les autorités congolaises et les intellectuels congolais ?

Considérations prospectives : le choix des amis et la désignation des ennemis

Je l’ai déjà noté, le Pape François est le premier Chef d’État occidental qui a parlé et reconnu le génocide congolais, lors de sa visite apostolique à Kinshasa. Mettant à profit sa connaissance de l’histoire et des enjeux géopolitiques mondiaux, il a eu le courage de reconnaître haut et fort le génocide oublié par les Congolais, caché et négligé par les Occidentaux et leurs médiats ainsi que la fameuse Communauté internationale. Mais le Président de l’État du Vatican a voulu faire entendre à ses collègues Occidentaux et au reste du monde que la RD Congo est « comme un continent dans le grand continent », qui subie au sein de ses frontières des guerres génocidaires dont les conséquences sont : l’immigration forcée de ses populations, l’exploitation illégale de ses ressources naturelles, l’occupation de ses terres et des espaces par les étrangers Rwandais, Ougandais et Burundais, le viol de ses femmes et de ses jeunes filles, l’enrôlement des enfants au sein des groupes armés, le trafic d’armes, de la drogue et d’autres stupéfiants… Tout respire le génocide ! La RD Congo est donc cette capitale mondiale de l’horreur humaine.

Ainsi que l’a démontré avec détails et force Colette Braeckman sans son Edito du 2 novembre 2022 au Journal Le Soir[5], depuis l’administration de Joseph-Désiré Mobutu Sese Seko jusqu’à celle de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, en passant par celles de deux Kabila, la RD Congo n’a eu que les mêmes amis Occidentaux et Africains, qui n’ont fait que lui vendre le génocide, parfois avec la volonté de certains de ses fils, et surtout contre leur volonté. Ces amis Occidentaux et Africains usent les moyens de la guerre et de la force, du mensonge et de la ruse pour accomplir leur entreprise macabre en terre congolaise. Je rappelle que tous les Présidents congolais qui ont signé plusieurs accords de coopération aussi bien avec les Occidentaux qu’avec leurs gendarmes de l’Afrique des Grands Lacs. Malgré leur bonne foi, ces mêmes pays qu’ils ont qualifié de « partenaires fiables et privilégiés » leur rendent toujours la monnaie de la guerre, en perpétrant ainsi le génocide. D’où l’exigence de changer les alliés. Immédiatement et impérativement. Ce changement passe par le choix de nouveaux amis et la désignation des ennemis de la RD Congo.

Le choix des amis et la désignation des ennemis revêt une portée dialectique qu’impose toute réflexion en géostratégique en géopolitique, tout comme en géoéconomique. Pareille posture exigerait à ce que les Congolais se définissent eux-mêmes : ce qu’ils sont, leur identité, leurs problèmes et leurs projets d’avenir. C’est ce qui leur permettrait de désigner leurs ennemis et de mieux les connaître d’une part, et de se choisir d’autre part les nouveaux amis[6]. L’existence de l’ennemi étant coextensive à l’organisation politique de chaque pays, les guerres de portée géopolitique et géoéconomiques génocidaires dont la RD Congo fait l’objet, sont un moment qui exige à l’administration de Kinshasa et à ses populations de changer de cap. Car, les alliés occidentaux et leurs gendarmes de l’Afrique des Grands Lacs ont montré tout leur cynisme et leur impudence génocidaires. L’une des preuves les plus récentes qui vérifierait ce cynisme et cette impudence serait sans nul doute la réunion du Conseil de sécurité du 29 juin 2022. Au cours de cette réunion en effet, la France avait proposé un texte pour la prorogation de l’embargo sur les armes contre la RD Congo, alors qu’elle savait que la RD Congo était de nouveau envahie par les armées rwandaises et ougandaises, sous le label de M23. Les ennemis de la RD Congo ont voté ce texte. Il s’était agi : des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni, des Emirats Arabes Unis, de l’Inde, de la Norvège, de l’Irlande, du Brésil, du Mexique et de l’Albanie. La grande majorité de ces pays fabriquent les guerres génocidaires, soutiennent les pays envahisseurs de la RD Congo, leur apportent l’appui logistique et financier. Par contre, les amis de la RD Congo ont rejeté ce texte hideux. Ce fut le cas du Ghana, du Gabon, du Kenya, la Russie et la Chine. Ces pays ont dénoncé une résolution qui va à l’encontre de la souveraineté de la RD Congo, et qui limite sa capacité à combattre les armées et les rébellions étrangères qui envahissent chaque fois son territoire. Si d’une part le Kenya a fait observer que le libellé de la résolution ne répondait pas à l’appel de la RD Congo concernant la levée totale de l’obligation de notification pour ce qui est des armes, de la formation et de l’assistance technique, la Chine a estimé pour sa part que le texte proposé par la France et adopté par d’autres suivistes de l’Empire du mensonge allait placer les autorités congolaises dans une situation difficile, y compris vis-à-vis du Rwanda, de l’Ouganda, du Burundi, de la Tanzanie, etc. ce qui, finalement, pourrait nuire aux capacités de la RD Congo à trouver des solutions durables aux guerres génocidaires qui éclaboussent sa partie Orientale[7].

Pour briser les carcans de ce néocolonialisme prédateur et génocidaire, les dirigeants congolais devraient avoir à l’esprit que ni les pays américains, ni ceux du continent européen, ni la nébuleuse Communauté internationale par qui le malheur de la RD Congo se pérennise au travers de la Monuc ou bien la Monusco, ni encore moins les pays de l’Afrique des Grands-Lacs, ne veulent voir les Congolais et leur pays être libres et souverains. Les intellectuels et l’élite congolais ne devraient pas oublier l’idée immonde et scabreuse de l’ancien Président français, Nicolas Sarkozy, qui voulait que les richesses du sol et du sous-sol, la biodiversité et les terres fertiles de la RD Congo soient partagées avec le pays de la Sous-Région dont « le petit Rwanda ».

Après le Président Français, ce fut le tour de Nicolas de Rivière, ambassadeur et Représentant permanent de la France auprès des Nations-Unies qui s’est adressé aux Congolais en ces termes : « N’attendez pas que les Nations-Unies règlent les choses à la place des autorités congolaises. » Ces propos, je pense bien, traduisent la position de l’Occident prédateur et cynique ; ils manifestent l’idée que la RD Congo ne peut pas continuer à compter sur lui, et qu’en retour les autorités congolaises devraient prendre toutes les mesures pour résister à cette hypocrisie colonialiste et prédatrice qui n’a fait que trop durer. Se tourner vers d’autres puissances économiques et nucléaires. En attendant, la résistance contre ce cynisme et cette hypocrisie de l’Occident devient donc la principale action à mener d’une part et, le choix de nouveaux alliés devient une exigence pour l’avenir et le devenir du pays. Tel est le nouvel enjeu, Tel est le défi du futur et le nouvel horizon de pensée !

Professeur Claude NSAL’ONANONGO


[1] Claude NSAL’ONANONGO, Le christianisme à l’épreuve des défis sociopolitiques de la Région des Grands Lacs Africains. Eduquer les peuples à la dissidence novatrice, préface de Benoît Awazi, Paris, L’Harmattan, (Coll. « Eglises d’Afrique »), 2017 ; « Les rébellions à l’Est de la RD Congo. Une analytique historique d’un statocide et ses enjeux », in Congo-Afrique 2022, n° 506, pp. 389-408 ; « Explication du génocide et du statocide congolais à l’aune des guerres économiques. Chronique et perspective », in Mouvements et enjeux sociaux 2023, n° 126, pp. 49-60 ; Les guerres à l’Est de la RD Congo, entre génocide et statocide. Une analytique rétrospective et prospective, Préface du Professeur Jacques Adam Djoli, Paris, L’Harmatan, 2023.

[2]Daniel VANGROENWEGHE, Du sang sur les lianes : Léopold II et son Congo, Bruxelles, Éditions Aden, 2010.

[3] Claude NSAL’ONANONGO « Les rébellions à l’Est de la RD Congo : Une analytique historique d’un statocide et ses enjeux », in Congo-Afrique 2022, n° 564, p. 404.

[4] Pedro GONZALES, « Le génocide oublié de la République démocratique du Congo », in Atalayar Opinion 2022.

[5] Colette Braeckman, Le Congo n’a d’autre ami que lui-même.

[6]Amaury de Pillot DE COLIGNY, « Dialectique ami-ennemi : mieux nous définir pour mieux définir l’ennemi », Revue Défense Nationale 2018, n° 806, Vol. 1, p. 65.

[7] CONSEIL DE SECURITE, La résolution 2641 sur la RD Congo du 29 juin 2022.