Directeur général du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique), le Congolais Jean Kaseya voit sa gouvernance contestée tout comme sa gestion des ressources humaines et financières. Un dossier délicat qui préoccupe au sein de l’Union africaine.
Au sein des hautes instances de l’Union africaine (UA), le comportement du docteur congolais Jean Kaseya pose question. Directeur général du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique) depuis avril dernier, sa gestion des ressources financières et humaines se retrouve sous le feu des critiques de cadres de l’organisation panafricaine. Des lettres de dénonciation circulent au sein de la commission de l’UA présidée par Moussa Faki Mahamat et parmi les responsables de l’administration de même que dans certaines chancelleries de pays membres.
Ce qui menace la stabilité et la réputation du CDC Afrique, constitué en 2016, devenu stratégique sous la direction de son prédécesseur, le virologue camerouno-américain John Nkengasong. Celui-ci est désormais en poste au département d’Etat en tant qu’ambassadeur itinérant de la santé et coordinateur de la lutte contre le sida.
«Sans vision»
Le 10 août dernier, Jean Kaseya a remis une «note interservices» à Moussa Faki Mahamat pour se défendre de toute malversation financière, de favoritisme dans l’octroi de postes, de harcèlement et d’intimidation de collaborateurs ou de diplomates. Elle synthétise les débats d’une réunion tenue la veille avec le top management du CDC Afrique sur ce dossier et dément tout contournement de la réglementation de l’UA. Ce document est une réponse à une missive du 26 juillet diffusée par des cadres anonymes réunis au sein du groupe informel baptisé Africa Union Leadership Focus Group.
Ces derniers y dénonçaient un directeur général «sans vision» et résumaient son bilan à des «photos avec des chefs d’Etat avec qui il n’est pas en mesure de tenir des ‘discussions de fond’ ». Jean Kaseya se voyait également reprocher des ruptures de contrats d’anciens employés du CDC Afrique, des menaces de limogeage proférées à ses équipes et certains recrutements suspectés d’être biaisés comme celui de son «ami» devenu directeur de cabinet, Ngashi Ngongo.
Les auteurs invitaient l’administration de l’UA et son comité disciplinaire à examiner les dépenses fastueuses du docteur Kaseya lors de certains déplacements, la gestion des fonds alloués, entre autres par Mastercard Foundation au programme Saving Lives and Livelihoods (SLL) du CDC Afrique, de même que les dons et les liens avec certains partenaires.
Politique et données sensibles
L’élection de Jean Kaseya, ancien conseiller santé (avec rang de ministre) du défunt président congolais Laurent Désiré Kabila, avait provoqué des divisions au sein de l’UA, dans un contexte de vives tensions diplomatiques et militaires entre Kinshasa et Kigali. Sa candidature avait reçu une opposition ferme du président rwandais Paul Kagame qui lui préférait la scientifique bissau-guinéenne, Magda Robalo Correia Silva, considérée comme plus compétente.
Le président congolais, Félix Tshisekedi, s’était particulièrement impliqué dans ce dossier pour des raisons d’influence congolaise, mais aussi pour tenter d’apaiser ses relations avec son prédécesseur, Joseph Kabila. Les équipes de Tshisekedi avaient mobilisé certains cadres congolais de l’UA tels que la directrice des ressources humaines de l’UA, Nadège Tandu. Dès son arrivée à Addis-Abeba, Jean Kaseya a sollicité l’achat d’une voiture de luxe, des privilèges logistiques ou encore des gardes du corps. Il a aussi débloqué des fonds pour s’attacher les services d’Acha Leke, senior partner du bureau de Johannesburg du cabinet de conseil McKinsey & Company.
Les critiques de la gouvernance de Jean Kaseya préoccupent dans les plus hautes instances de l’UA tant le CDC Afrique est un organe crucial et particulièrement sensible au regard des données traitées. La Chine, qui a construit les locaux du centre à Addis-Abeba, y exerce une influence particulière tant sur le plan financier que scientifique. Ce qui avait valu à Pékin d’être accusé par l’administration américaine d’être suspecté de tentatives d’espionnage du CDC Afrique.
Le bâtiment offert par la Chine et inauguré en janvier dernier n’est toutefois pas officiellement le quartier général du Centre, dont l’emplacement reste théoriquement à décider. Le Maroc est candidat pour l’accueillir et a notamment pour rival l’Ethiopie désireuse de préserver la présence du siège du CDC Afrique sur son sol. Le lobbying marocain s’est estompé depuis qu’un accord de 3,7 milliards de dollars a été signé fin 2021 par l’Office chérifien des phosphates (OCP) avec le gouvernement éthiopien. La décision de désigner le siège officiel est toujours en suspens. Des enquêtes internes sur la gestion du CDC Afrique par Jean Kaseya sont envisagées au sein de l’UA.
Avec Africa Intelligence