Grande Muraille verte au Sahel : les défis de la prochaine décennie
Vingt ans après son lancement, retour sur le bilan de ce projet de lutte contre la désertification au Sahel.
Longtemps considérée comme un programme de plantation d’arbres, l’initiative de la Grande Muraille verte (GMV) a évolué vers un programme de développement rural. Cette nouvelle vision promeut la gestion durable des écosystèmes et aspire à développer une mosaïque de systèmes d’utilisation durable des terres et de productions agropastorales diversifiées.
La création de l’initiative de la Grande Muraille verte a été envisagée pour la première fois en 2005 lors de la septième session de la conférence des chefs d’État et de gouvernement membres de la communauté des États sahélo-sahariens.
Le 17 juin 2010, les onze États de la région du Sahel (Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Nigeria, Tchad, Soudan, Érythrée, Éthiopie et Djibouti), situés au sud du Sahara, ont créé l’Agence panafricaine de la GMV pour coordonner la mise en œuvre de l’initiative et appuyer la mobilisation des ressources.
Il ne s’agit plus uniquement de lutter contre la désertification, mais également de contribuer à l’agenda de l’accord de Paris, aux enjeux de l’agenda post-2020 de la Convention sur la diversité biologique, et plus largement aux objectifs de développement durable (de lutte contre la pauvreté, d’insécurité alimentaire et nutritionnelle, d’emploi, d’équité, de justice…) dans les pays du Sahel.
Le dernier rapport d’évaluation sur l’état d’avancement de la GMV (septembre 2020) a néanmoins souligné le faible avancement de cette initiative (seuls 18% des objectifs initiaux auraient été remplis) : parmi les raisons, l’insuffisance de coordination entre l’ensemble des parties prenantes, à toutes les échelles (locales, nationales, régionales et internationales).
Atteindre les objectifs 2030 de la GMV, à savoir restaurer 100 Mha de terres dégradées, séquestrer 250 Mt de carbone et créer 10 millions d’emplois verts, ne sera possible qu’à condition de relever de nombreux défis, pour ne pas conclure à nouveau, dans dix ans, à un bilan mitigé.
Adapter les solutions à la diversité des territoires
Lors de l’ouverture du Congrès mondial de la nature à Marseille (septembre 2021), le président Macron, après son annonce en janvier 2021 du lancement de l’accélérateur de la Grande Muraille verte, qui vise à faciliter la coordination et la collaboration des donateurs et parties prenantes impliqués dans l’initiative, a rappelé le soutien de la France à la GMV en déclarant notamment : «Il est important que les acteurs sur le terrain puissent avoir des projets et que l’on puisse les accompagner».
La lutte contre la dégradation des terres à l’échelle de la Grande Muraille verte implique nécessairement de s’appuyer sur des actions qui ciblent les populations locales, en tenant compte du fait qu’elles tirent des ressources naturelles qu’elles gèrent des produits pour leur propre consommation ou pour les vendre.
De Dakar à Djibouti, les contextes climatiques, pédologiques, les pratiques et les techniques de gestion durable des terres (agroforesterie, agro-écologie, agro-pastoralismes, etc.) ainsi que les règles foncières sont diverses et multiformes. L’adage selon lequel «il n’existe pas de solution qui puisse s’appliquer partout» doit guider la définition des solutions à apporter aux populations des territoires.
Au Sénégal, la mise en œuvre de jardins polyvalents villageois (Widou-Thiengoly) est un exemple de solution adaptée aux conditions du milieu et aux besoins des populations.
Faire participer tous les acteurs
Les pays de la GMV se caractérisent aussi par une diversité de contextes culturels et d’acteurs, qu’ils soient gestionnaires de terres (agriculteurs, pasteurs…), administrateurs publics ou locaux, issus de la société civile ou du secteur privé. Il convient donc de créer les conditions favorables à la coopération de tous.
Il en va de leur confiance quant à la pertinence des actions à déployer sur les territoires, ainsi que de la viabilité sur le moyen et long terme de ces opérations. Cette collaboration est également un gage pour éviter les conflits d’usage des ressources naturelles (sol, eau, biodiversité), et pour une meilleure reconnaissance de la place de tous (jeunes, femmes).
La mise en place de processus consultatifs multiacteurs est donc une étape primordiale pour la création de ces conditions. Ces processus doivent, à l’échelle des territoires, à la fois intégrer une évaluation systématique du potentiel des ressources en terres et en eau, une analyse des pressions qu’elles subissent et des pratiques de gestion durable à mettre en place, mais aussi une analyse des tendances en matière de gouvernance, de sécurité foncière et d’accès aux ressources.
Les filières, agricoles ou non (artisanat…), doivent aussi être considérées avec un appui des institutions scientifiques africaines et internationales pour renforcer les chaînes de valeur existantes, comme les filières de valorisation des aliments traditionnels et des produits locaux (pulpe de baobab, moringa…) de Sahel Délices pour développer des produits intéressants sur un plan nutritionnel et agroécologique.
Avec la pleine participation des collectivités territoriales et autorités de différents services de l’État en charge du plan et de l’aménagement du territoire, ces processus doivent conduire à la définition de plan d’aménagement durable de l’espace.
Le projet «Beog Puuto» développé au Burkina Faso par SOS Sahel dans le cadre GMV est un exemple de type de projet coconstruit. Impliquant des ONG burkinabè et des structures de l’administration publique burkinabè et visant à apporter une réponse durable à la dégradation des terres et à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, il a dès sa conception mis les acteurs locaux au centre de l’action et comme acteurs du changement.
Diffuser les bonnes pratiques
Les pays et institutions techniques de la GMV ont pu accumuler des acquis importants en matière de connaissance et de maîtrise des techniques de conservation des eaux et des sols (les demi-lunes, le zaï, les cordons pierreux…).
Celles-ci sont décrites et commentées dans de nombreux rapports et initiatives d’envergure, telles que TerrAfrica, programme multi-acteurs de lutte contre la désertification et dans la base de données du réseau international Wocat qui documente et assure la dissémination des techniques de gestion durable des terres.
Malgré cela, ces solutions restent encore méconnues ou peu utilisées dans les zones reculées des territoires sahéliens, peu en contact avec les structures administratives ou peu impliquées dans des projets de développement.
Il apparaît donc nécessaire de prioriser ces acteurs (coopératives paysannes, comités locaux de développement, organisations de la société civile, etc.), de vulgariser ces pratiques et leurs intérêts sous différents formats (numérique, vidéos, application mobile, etc.).
Suivre et évaluer les progrès sur le terrain
L’un des défis à relever et mis en exergue dans le rapport d’évaluation sur l’état d’avancement de la GMV est de mettre en place un système de suivi et d’évaluation spécifique aux ambitions de la GMV. C’est l’une des activités de l’accélérateur de la GMV.
Un tel travail, ancré dans les territoires et qui mobilise tous les acteurs (société civile, recherche, bailleurs) dans une démarche participative et de sciences citoyennes, constituera très probablement la pierre angulaire du succès de l’accélérateur de la GMV.
La recherche a un rôle tout particulier à jouer dans la définition de ce cadre de redevabilité. Il ne s’agit pas, bien sûr, de documenter uniquement les impacts sur le stock de carbone des territoires de la GMV, la surface de terres restaurées, la bio-diversité. Il est également indispensable d’évaluer ces impacts en matière de bien-être des populations pour que les territoires GMV soient pour elles des «espaces sûrs et justes».
Au Sénégal et Burkina Faso, le projet Avaclim, construit par les ONG et la recherche, vise à produire des indicateurs multidimensionnels des impacts de l’agro-écologie.
La recherche développe par ailleurs des outils satellitaires d’observation de la terre qui fournissent des données en temps réel et sont de formidables alliés dans le suivi des actions de la GMV (comme Geosud) et les activités autour du New Space…)
De grands défis nous attendent donc encore, mais la multiplicité des expertises mobilisables laisse espérer qu’un succès est possible. Il nous semble également essentiel que la Grande Muraille verte soit intégrée au plus haut niveau dans les stratégies politiques de chacun des pays concernés et intégrés à des programmes de recherche et d’innovation tels que Parfao.
Jean-Luc Chotte est directeur de recherche, président du Comité scientifique français de la désertification, Institut de recherche pour le développement (IRD).Maxime Thibon (United Nations Convention to Combat Desertification, Executive Direction and Management Unit) est coauteur de cet article.