La compromission de Luanda : Kinshasa reconnaît les FDLR, Kigali se frotte les mains

Deux réunions de haut niveau ont récemment eu lieu pour discuter de la situation sécuritaire préoccupante dans l’Est de la République Démocratique du Congo. La première s’est déroulée à Luanda, en Angola, le jeudi 21 mars, suivie deux jours plus tard par une autre à Lusaka, en Zambie. Lors de la réunion à Luanda, le vice-Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, s’est entretenu avec son homologue rwandais, Vincent Biruta. Cependant, le compte rendu de cette rencontre a suscité des interrogations, car il semblait favorable à la partie rwandaise. En effet, l’absence de mention du M23, ainsi que l’omission de toute exigence de désarmement et de cantonnement des « rebelles », ont soulevé des inquiétudes. De plus, le silence sur le retrait des forces rwandaises du territoire congolais a également été noté. Le point le plus controversé a été l’engagement de Kinshasa à mettre en place un « plan de neutralisation » des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), ce qui a été perçu comme une validation de la position de Kigali. Cette décision a été critiquée car elle pourrait potentiellement renforcer le pouvoir de Paul Kagame en lui permettant de soutenir financièrement et militairement divers groupes armés dans l’Est de la RDC sous prétexte de défendre sa sécurité. C’est dire qu’à Luanda, Kinshasa a offert sur un plateau des arguments à Kagame pour pérenniser son entreprise de guerre en RDC… au nom des FDLR présents sur le sol congolais.

Le sommet extraordinaire de la SADC de Lusaka sur la sécurité dans l’Est de la RDC auquel a pris part le chef de l’Etat congolais accompagné du vice-premier ministre chargé de la Défense nationale Jean-Pierre Bemba et du ministre d’Etat en charge de l’Intégration régionale Mbusa Nyamwisi a été précédé de la réunion des experts militaires et des ministres de l’organisation sous-régionale.

La rencontre de la capitale zambienne peut être interprétée comme une réponse claire à la réaction du Rwanda contenue dans des correspondances de Kigali adressées respectivement à l’Union africaine et au Conseil de sécurité des Nations Unies marquant sa protestation après le déploiement à partir du 15 décembre des troupes militaires de la SADC dans l’Est de la RDC où le Rwanda apporte son soutien à la rébellion du M23.

Le communiqué final du Sommet est sans équivoque. Les chefs d’Etat ont « dénoncé les manœuvres du Rwanda contre la mission de la SADC en RDC (SAMIRDC), estimant que le déploiement de la SAMIRDC est conforme au Pacte ayant créé la SADC et à celui de défense mutuelle des pays membres ».

Le Sommet s’est par ailleurs réjoui de la non prise en compte par le Conseil paix et sécurité de l’Union africaine des revendications du Rwanda qui du reste a demandé de mettre le matériel de la Force africaine en attente (FAA) entreposé au Cameroun à la disposition de la SAMIRDC.

DES SUBTILITÉS QUI AVANTAGENT LE RWANDA 

Si les conclusions du Sommet de Lusaka répondent aux attentes de Kinshasa, il n’en est pas de même de la réunion ministérielle qui a réuni deux jours plus tôt autour du ministre angolais des Affaires étrangères Téte Antonio ses homologues congolais Christophe Lutundula et rwandais Vincent Biruta.

La réunion tripartie était destinée à préparer une probable rencontre des chefs d’Etat rwandais et congolais sous l’égide de la médiation angolaise du président angolais João Lourenço. Celui-ci avait déjà reçu séparément les deux responsables qui auraient donné leur accord en vue d’un tête-à-tête dont la date reste à fixer, sous réserve des conditions contenues dans le compte rendu final en plusieurs points.

Les parties ont déclaré que le processus de Luanda et le Processus de Nairobi demeurent les principaux instruments de référence pour parvenir à la paix et la sécurité dans la partie Est de la RDC.

La seconde proposition porte sur la cessation des hostilités, y compris un cessez-le-feu supervisé, accompagnés d’un processus de désengagement des forces.

Parmi les conditions figure l’engagement de Kinshasa à présenter un Plan de Neutralisation des FDLR, accompagné d’un programme d’actions qui sera présenté lors de la prochaine réunion ministérielle (Point III).

La délégation du Rwanda a de son côté fait comprendre que consécutivement à la mise en œuvre du Plan susmentionné, Kigali s’engagerait à revoir les mesures et le dispositif pris pour sa défense et sa sécurité (Point IV).

Il est à noter que le compte-rendu de la Tripartite de Luanda ne mentionne pas nommément le M23. En revanche, la délégation congolaise s’est engagée à neutraliser les FDLR selon un « Plan » à définir, tombant de ce fait dans le piège rwandais qui a toujours accusé l’armée congolaise d’utiliser les rebelles rwandais dans ses opérations visant le M23.

D’autre part, les autorités congolaises ont de tout temps clamé que trente ans après leur arrivée sur le territoire congolais, les FDLR ne sont plus que des groupuscules résiduels de personnes âgées incapables de présenter la moindre menace, les plus valides d’entre eux, selon Kinshasa, auraient été rapatriés de longue date et aussitôt « recyclés » par Kigali et renvoyés en RDC aux fins de pillage des ressources naturelles du Kivu.

Que la délégation congolaise reconnaisse finalement les FDLR comme menace pour le Rwanda et la RDC sont autant des béquilles que Kinshasa offre au Rwanda qui a réussi un beau coup, sachant que la traque et la neutralisation des FDLR est une lutte de longue haleine.

LE PIÈGE RWANDAIS

Le plus curieux à la lecture du compte-rendu est qu’il n’est fait nulle mention de la présence de l’armée rwandaise aux côtés du M23, pas plus que n’est soulevée la question du désarmement et du cantonnement des «rebelles ».

Dans ces conditions, le cessez-le-feu éventuel finira par l’établissement d’une ligne de démarcation au-delà de laquelle l’Etat perdra durablement sa souveraineté sur les territoires occupés au profit du régime prédateur du Rwanda.

Tout compte fait, la réunion de Luanda a été interprétée comme offrant un soutien indirect à l’entreprise militaire de Kagame en RDC, en mettant en avant la présence des FDLR sur le sol congolais. Les observateurs craignent que ces développements ne fassent qu’aggraver la situation déjà complexe dans la région.

Il est encore temps, pense-t-on, de revoir la stratégie lors des rencontres ultérieures, et d’obtenir du Rwanda le désengagement effectif de son corps expéditionnaire et d’envisager des mécanismes efficaces dans la gestion du mouvement rebelle et ne pas tomber dans le piège subtil tendu par le pouvoir rwandais passablement affaibli par diverses condamnations de la communauté internationale, mais qui tardent à se concrétiser dans le sens du rétablissement de la paix dans l’Est de la République Démocratique du Congo.

Econews