Le lithium de Manono est entouré d’une grande controverse. Si Dathcom, l’entreprise qui se propose d’exploiter ce minerais stratégique dans la province du Tanganyika, dit avoir bouclé toutes les études de faisabilité, à Kinshasa, le Gouvernement, qui tient à ne pas perdre le contrôle du lithium de Manono, veut voir un peu clair dans le montage financier de Dathcom, une joint-venture formée entre les entreprises AVZ, Cominière, Dathomir et une invitée de la dernière heure, Zijin.
Très engagée dans la gestion rationnelle des ressources naturelles, la Commission épiscopale sur les ressources naturelles de la CENCO (CERN/CENCO) a convié, au Centre CEPAS de la commune de la Gombe, les experts du secteur à une réflexion sans tabou.
Loin de prendre parti en faveur de qui que ce soit, la CERN/CENCO affiche plutôt une position plus conciliante en invitant les uns et les autres à taire leurs divergences pour faire avancer ce projet. Au grand bonheur de la RDC et de son peuple, particulièrement la population de Manono et de la province du Tanganyika.
Pointé du doigt comme le principal point de blocage de ce projet, approché par Econews, le Cadastre minier (CAMI) s’en défend : « La lourdeur administrative est une affaire d’Etat. Le CAMI, qui est une structure du Gouvernement, n’est qu’un instrument qui a été utilisé pour corriger les imperfections du projet, qui allait tout droit vers la catastrophe que la nation et les générations futures n’allaient pas nous pardonner. Nous tendons vers une solution équitable qui nous évitera des révisions répétitives qu’une Société civile irresponsable réclame comme dans les situations des autres projets sur le cobalt, sur l’or, sur le cuivre où le pouvoir public est reproché d’avoir brader les richesses du pays! »
Au CAMI, on annonce une fumée blanche dans les tout prochains jours. « Les discussions avancent dans le bon sens », confie la source.
« Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finit toujours par poindre », dit un vieil adage. Le plus important est que toutes les parties impliquées dans le projet de lithium de Manono sont disposés à aller de l’avant en trouvant une solution qui garantirait les intérêts des uns et des autres.
Voici en intégralité, le communiqué final de la conférence sur le lithium de Manono, organisée le 11 août 2022 par la CERN/CENCO.
Econews
Communiqué final de la Conférence sur le lithium de Manono en RDC
Le monde fait face au réchauffement de la planète. Une des solutions pour réduire les émissions des gaz à effet de serre responsables de ce réchauffement est l’abandon des énergies fossiles. Il faudrait une énergie alternative. Pour la locomotion, une des solutions trouvée est l’utilisation des véhicules électriques qui ont besoin de batteries à grande capacité d’accumulation et de conservation de l’énergie. Ces batteries ont, pour le moment, comme composantes essentielles le cobalt et le lithium. La République Démocratique du Congo détient près de 60 % des réserves mondiales de cobalt exploitées actuellement par des entreprises à capitaux majoritairement étrangers : la Chine, à travers les entreprises Tenke Fungurume Mining et Sicomines, la Suisse, à travers sa multinationale Glencore. Peinant à se relever, l’entreprise de l’Etat, la Gécamines, n’offre qu’une très faible participation, comparée à celle des joint-ventures où elle est associée avec ces partenaires étrangers. La RDC n’assure donc pas un contrôle de ce minerai stratégique pour ses bénéfices économiques et sociaux.
Voilà qu’un autre minerai, le lithium, vient d’être mis en exergue par les recherches de l’entreprise AVZ Minerals Limited, une multinationale australienne, partenaire de l’entreprise congolaise Cominiere, dans la joint-venture DATHCOM Mining SA. La réserve de lithium située dans le territoire de Manono, province du Tanganyika, toujours dans l’ex grande province du Katanga, est présentée comme la plus importante au monde. Mais la question se pose de savoir si cette fois la RDC saura profiter de son lithium.
Une conférence sur le lithium
Pour y réfléchir, la Commission Episcopale pour les Ressources naturelles de la Conférence Episcopale Nationale du Congo, la CERN/CENCO, a organisé, le 11 août 2022, au Centre d’Etudes pour l’Action Sociale (CEPAS) de Kinshasa, sous la couverture du Réseau Ecclésial du Bassin du Congo (REBAC), une conférence sous le thème : « Comment le lithium de Manono en RDC peut-il contribuer à la Transition énergétique ? Réflexion multipartite en marge de la PRECOP27 ».
Plus d’une cinquantaine de participants représentant différentes catégories sociales et professionnelles ont pris part à la conférence : délégués des ministères concernés par le projet minier, à savoir le Ministère des Mines, le Ministère du Portefeuille et celui de l’Environnement. Le Secrétariat technique de l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE) était représenté par son Coordonnateur, accompagné de ses collaborateurs. En plus des délégués des entreprises partenaires de Dathcom, à savoir AVZ et Cominière, le Cadastre minier était représenté. D’autres entreprises du secteur du cobalt étaient présentes. Les organisations de la Société civile et les délégués des communautés de Manono ont pris part active à la conférence, sans oublier les médias qui ont couvert l’événement.
Cinq communications, après la lecture des termes de référence de l’activité par le Secrétaire Exécutif de la CERN et Coordonnateur du REBAC/RDC, M. Henri MUHIYA, ont permis aux participants de comprendre les enjeux et les défis de l’exploitation du lithium de Manono afin de contribuer à la transition énergétique et garantir les intérêts de la RDC et de la population qui sera affectée par le projet d’exploitation du lithium. La modération a été assurée de manière experte par Mme Madeline ANDEKA OLONGO.
Un mot de la CENCO
Le Secrétaire Général de la CENCO, Monseigneur Donatien NSHOLE, prononce le mot de bienvenue. Il relève les défis d’une justice climatique attendue par la RDC qui offre au monde ses diverses potentialités naturelles nécessaires à la lutte contre le changement climatique : forêt tropicale dense, tourbières, eaux douces, biodiversité, minerais essentiels à la transition énergétique. Mais à l’inverse, la RDC fait face à des guerres interminables qui opposent plusieurs puissances pour l’accès aux ressources naturelles de la RDC et curieusement ces puissances sont parmi les grands émetteurs des gaz à effet de serre et sont responsables du réchauffement climatique.
Par ailleurs, Monseigneur Nshole fustige le fait que les négociateurs congolais des contrats miniers le font souvent en privilégiant les intérêts égoïstes plutôt que l’intérêt général. Ceci fait manquer au pays les ressources nécessaires au développement et à la lutte contre la pauvreté.
Le rôle du lithium
Monsieur Raphaël Ngoy, expert géologue, ancien de la Gécamines et disposant d’une expérience internationale, retrace le besoin mondial en énergie de manière diachronique à partir des années de l’industrialisation. Il souligne le rôle du lithium à côté du cobalt et des besoins mondiaux en termes d’accès aux minerais utiles à la transition énergétique. Il pense qu’il s’agit d’un vent favorable pour la RDC, mais note que la gestion minière de la RDC est une sorte de navigation à vue sans savoir où on veut aller sans vision précise.
La RDC dispose des atouts pour héberger des entreprises de fabrication de batteries : parmi quatre grandes composantes des batteries pour les véhicules électriques, la RDC dispose du cobalt et du lithium dans le grand Katanga, des gisements de graphite dans le Kongo central, mais il pourrait aussi être importé du Mozambique, Membre de la SADC (Southern African Development Community/Communauté de Développement des États d’Afrique Australe), tandis que le nickel pourrait être importé de la Zambie voisine, aussi membre de la SADC. Il faut donc une bonne politique pour profiter de ce bon vent et développer la chaîne de valeur du lithium, en considérant que plusieurs laboratoires dans le monde travaillent pour la substitution du cobalt par d’autres matières.
Ce que pense la Cominière sur la valorisation du lithium
Pour sa part, Maître Popol MUAMBA, Avocat Conseil de la Cominière, a développé son exposé pour répondre à la question : « Comment la RDC compte-t-elle valoriser cette ressource stratégique (lithium) et en tirer profit ? Etat des lieux du projet de lithium de Manono ». L’intervenant estime que c’est le Ministère des Mines et le Ministère de l’Industrie qui ont la réponse appropriée. Rappelant que la RDC est un grand producteur du cobalt, du germanium et du coltan, il informe les participants de la tenue à Kinshasa, en dates du 24 et 25 novembre 2021, du « DRC-Africa Business Forum sur le développement des chaînes de valeur et le marché des batteries, des véhicules électriques et des énergies renouvelables en Afrique » où le pays a montré son ambition de développer des chaînes de valeurs dans l’exploitation de ces minerais stratégiques pour la fabrication des batteries.
A la suite de ce forum où la RDC a été présentée comme le meilleur espace pour l’implantation des usines de production des batteries, un accord de coopération pour faciliter le développement de la chaîne de valeur dans le secteur des batteries électriques et des énergies propres a été signé entre la Zambie et la RDC. Un Conseil de la batterie RDC-Zambie a été mis sur pied pour superviser ledit accord.
Un résumé sur l’étude de faisabilité
Monsieur Serge Ngandu a parlé pour le compte de l’entreprise AVZ Minerals Limited, actionnaire majoritaire de Dathcom Mining SA. Après avoir fait une présentation rapide de l’entreprise, il a donné quelques éléments essentiels du projet, les objectifs de développement durable, les compétences de l’entreprise en matière de l’énergie verte, le coût d’investissement évalué à 545 millions de dollars américains, la chaîne d’approvisionnement pour les batteries à lithium, la création de la zone économique spéciale de Manono, le calendrier des grands travaux à réaliser et les opportunités de croissance. Il s’agit d’un projet d’une durée de vie d’environ 29 ans pour une réserve de minerais d’environ 400 millions de tonnes de lithium à 1,65 % de spodumène. Informant que la date initiale de démarrage du projet était fixée au 1er juillet 2021 pour une mise en service entre mai et juillet 2023, Monsieur Serge s’est indigné du fait que la lourdeur administrative cause un grand retard à ce programme.
Un contrat pas du tout équilibré
Parlant au nom de la Société civile, Monsieur Emmanuel Umpula a fait une brève analyse du contrat de la joint-venture où il s’est interrogé sur l’apport de chaque partenaire, à savoir la Cominière, AVZ et Dathomir dont le rôle spécial n’est pas déterminé comparativement aux parts sociales détenues.
Des échanges nourris sur les défis du lithium de Manono
A l’issue des débats, quatre grands défis ont été soulevés : la faiblesse dans la négociation du contrat de joint-venture, la lourdeur de l’administration minière, les attentes insatisfaites de la population de Manono, la question de la transformation locale face aux intérêts géostratégiques.
En ce qui concerne la négociation du contrat, les participants se sont interrogés sur le fait que la Cominière, entreprise du Portefeuille de l’Etat, propriétaire du titre minier, se retrouve à ce jour dans la joint-venture avec moins de 30 % de parts sociales, et même moins de 20 %. Si AVZ a acquis de Dathomir 60 % des parts sociales et a réussi à procéder à la recherche pour valoriser les gisements de lithium jusqu’à amener le Permis de recherche (PR) au processus de transformation en Permis d’exploitation (PE), quel rôle aurait joué Dathomir et quel serait son apport ? De même, comment la Cominière serait-elle arrivée à céder d’autres parts à Dathomir de façon généreuse et irrévocable ? Pour sauvegarder les intérêts du pays, certains participants ont proposé que la joint-venture Dathcom soit conçue sous le modèle de l’entreprise DEZIWA dans le Lualaba, où après près de 10 ans, remboursement du coût d’investissement apuré, l’entreprise devient propriété de la RDC : mines et équipements. A défaut de cela, il devrait être prévu qu’après remboursement du capital avec intérêts, remboursement qui engage la société commune pour laquelle une partie a apporté finances et technologie et l’autre a apporté les gisements « épuisables », les parts sociales devraient être revues à 50%/50% entre les partenaires étrangers et le pays.
Parlant de la lourdeur administrative, il n’est pas non plus compréhensible que le Cadastre minier traîne à notifier la transformation du PR en PE, alors que, selon le Conseiller juridique de la Ministre des Mines, Maître Dany Oleko, le Cadastre minier avait donné son avis cadastral favorable à la Ministre des Mines qui s’en est servi pour signer l’arrêté de transformation de PR en PE, s’appuyant aussi sur les deux autres avis favorables : l’avis technique favorable de la Direction des Mines et l’avis environnemental et social favorable de l’Agence congolaise de l’environnement en concertation avec la Direction de Protection de l’Environnement Minier (DPEM).
Les attentes de la population de Manono sont claires. A travers un ressortissant de Manono, mandaté par les communautés, les députés et l’Evêque de Manono, la population de Manono qui sera affectée par le projet demande « à la Cominière et à AVZ de taire leurs querelles internes pour qu’enfin l’exploitation de lithium commence ».
Quant à la transformation locale des minerais et aux enjeux géostratégiques, il y a une impérieuse nécessité de travailler sur les infrastructures, en priorité la réhabilitation du barrage de Mpiana Mwanga, l’aménagement ou la construction des routes d’accès et d’évacuation. La création d’une zone économique spéciale permettrait à d’autres entreprises de s’installer et de relayer le volet de construction des batteries valorisant ainsi la chaîne de valeur desdits minerais.
Principales recommandations
Des conférences et des échanges, les participants ont formulé les principales recommandations suivantes :
Au Gouvernement :
– De veiller pour que l’équilibre de gains dans la joint-venture soit assurée de sorte que les intérêts de l’Etat congolais et de la population soient protégés ;
– De se pencher sur la cession jugée irrégulière des parts sociales de la Cominière à Dathomir pour que justice soit faite ;
– De développer un plan cohérent pour le développement d’une industrie de fabrication de batteries à partir des ingrédients dont dispose la RDC et les pays proches dans la région de la SADC ;
Au Ministère des Mines :
– De veiller à ce que le fonctionnement de ses différents services soit harmonieux et expéditif afin d’éviter des situations d’incohérence telle que celle relative à la transformation du Permis de Recherche n° 13359 en Permis d’Exploitation et sa notification à l’entreprise DATHCOM, ce qui laisse sous-entendre des implications de certains acteurs politiques ;
A l’entreprise Cominière :
– D’améliorer sa gestion et de défendre correctement les intérêts de la République ;
Aux partenaires de la Cominière dans DATHCOM, AVZ et Dathomir :
– De se disposer à un exercice de rééquilibrage des parts sociales afin d’assurer la justice dans les gains sur le projet lithium de Manono, étant donné qu’il ne peut y avoir de projet minier sans au préalable des actifs miniers, du reste épuisables.
A la CERN/CENCO :
– De continuer à accompagner le projet de lithium de Manono à travers le renforcement des capacités des communautés et l’encouragement du dialogue entre les différents acteurs impliqués.
Fait à Kinshasa, le 11 août 2022.
Henri MUHIYA MUSABATE
Secrétaire Exécutif de la CERN/CENCO
Coordonnateur du REBAC/RDC