Sous-marins : l’Australie rompt le «contrat du siècle» avec la France, au profit de technologies américaines et britanniques

Dans le même temps, les Etats-Unis ont annoncé un vaste partenariat de sécurité avec l’Australie et le Royaume-Uni dans la zone indo-pacifique. Paris a de son côté déploré une «décision regrettable» et un «coup dans le dos».

Le président français, Emmanuel Macron, et l’ancien premier ministre australien Malcom Turnbull sur le pont d’un sous-marin de la marine australienne, à Sydney, le 2 mai 2018.

Le premier ministre australien, Scott Morrison, a confirmé, jeudi 16 septembre, la rupture d’un gigantesque contrat, conclu en 2016 avec la France, pour la fourniture de sous-marins conventionnels, préférant construire des sous-marins à propulsion nucléaire à l’aide de technologies américaines et britanniques. «La décision que nous avons prise de ne pas continuer avec les sous-marins de classe Attack et de prendre un autre chemin n’est pas un changement d’avis, c’est un changement de besoins», a déclaré M. Morrison.

Dans son sillage, les Etats-Unis ont ainsi annoncé un vaste partenariat de sécurité avec l’Australie et le Royaume-Uni dans la zone indo-pacifique. « La première grande initiative de [ce nouveau pacte appelé] «Aukus» sera de livrer une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie», a encore déclaré le premier ministre australien, apparaissant en visioconférence, tout comme son homologue britannique, Boris Johnson, lors d’un événement présidé par Joe Biden à la Maison Blanche.

Perte d’un contrat de 90 milliards de dollars australiens

La France voit ainsi ce «contrat du siècle », de quelque 90 milliards de dollars australiens (56 milliards d’euros, mais seulement 8 milliards pour la partie française), échapper à son industrie navale. Le français Naval Group avait été sélectionné en 2016 par Canberra pour fournir douze sous-marins à propulsion conventionnelle (non nucléaire), dérivés des futurs sous-marins nucléaires français Barracuda.

D’un montant de 50 milliards de dollars australiens (31 milliards d’euros) à la signature, la valeur de ce contrat est estimée actuellement à 90 milliards de dollars australiens en raison de dépassement de coûts et d’effets de change.

Benoît Arrivé, maire de Cherbourg – où est installé Naval Group – a dénoncé un «coup de poignard de l’Australie, qui interroge sur la politique internationale menée par notre pays». «On a la chance d’avoir une vraie embellie pour amortir le choc. J’espère que le plan de charge de Naval Group va permettre d’amortir cette crise», a ajouté l’élu, qui aimerait «minimiser les impacts pour les équipes » du groupe industriel de défense français.

Selon le secrétaire général de la CGT Naval Group, Vincent Hurel, 500 emplois sont actuellement occupés dans des activités liées à ce contrat, ainsi qu’une «grosse centaine d’Australiens ». Cette résiliation est toutefois «une déception modérée parce qu’on avait un enthousiasme modéré lors de la signature du contrat». «Le risque était connu», a-t-il aussi déclaré.

Un « coup dans le dos » pour Jean-Yves Le Drian

Les ministères de la défense et des affaires étrangères ont aussitôt déploré, dans un communiqué, une «décision regrettable» et «contraire à la lettre et à l’esprit de la coopération qui prévalait entre la France et l’Australie ». Jeudi matin, le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a ensuite dénoncé un «coup dans le dos», sur Franceinfo. «Nous avions établi avec l’Australie une relation de confiance, cette confiance est trahie», a encore dit M. Le Drian, se disant «en colère et avec beaucoup d’amertume ».

« Ce n’est pas fini, il va falloir donner des explications. Le comportement américain me préoccupe, cette décision unilatérale et brutale ressemble beaucoup à ce que faisait M. Trump ».

La ministre des armées française, Florence Parly, a aussi estimé que cette rupture de contrat était «grave» et constituait «une très mauvaise nouvelle pour le respect de la parole donnée».

«En matière de géopolitique et de politique internationale, c’est grave», a-t-elle ainsi déclaré sur RFI, affirmant aussi être «lucide sur la façon dont les Etats-Unis trait[aient] leurs alliés». De son côté, le Sénat a fustigé «une décision grave aux conséquences lourdes » et a dit s’interroger sur «la nature exacte » de la relation entre Paris et Washington. Cela «n’a pas de précédent», ont enfin observé les sénateurs français, estimant que «les Etats-Unis et le Royaume-Uni changeaient les règles du jeu».

En réponse, Londres a assuré ne pas vouloir «contrarier» Paris. «Nous ne sommes pas partis à la chasse aux opportunités. Fondamentalement, les Australiens ont pris la décision de vouloir une capacité différente», a ainsi déclaré le ministre de la défense britannique, Ben Wallace, sur la chaîne télévisée Sky News. Les Français «comptent parmi nos plus proches alliés militaires en Europe, nous sommes des forces assez importantes et comparables et nous faisons des choses ensemble », a-t-il poursuivi.

Dans son discours de présentation hier soir à la Maison Blanche, M. Biden s’était également montré conciliant envers Paris, assurant que les Etats-Unis voulaient «travailler étroitement avec la France» dans cette zone très stratégique.

« Paix et stabilité régionales » fragilisées selon Pékin

La Chine n’est pas mentionnée dans le communiqué conjoint des dirigeants australien, américain et britannique, qui évoque en revanche la «paix et la stabilité dans la région indo-pacifique». Mais il ne fait aucun doute que la nouvelle alliance vise d’abord à faire face aux ambitions régionales de Pékin.

Le ministre de la défense britannique, Ben Wallace, a toutefois assuré qu’«il ne s’agissait pas d’envoyer un message à la Chine». «Il s’agit de l’Australie, qui cherche une nouvelle capacité, parce qu’elle a jugé que son programme d’acquisition actuel pour des sous-marins diesel-électriques ne lui donnerait pas la portée stratégique ou le côté indétectable nécessaire pour avoir un effet dissuasif », a-t-il ainsi expliqué sur Times Radio.

M. Biden répète pourtant, depuis son élection, qu’il entend se confronter à la Chine, comme son prédécesseur, Donald Trump, mais de manière très différente, sans s’enfermer dans un face-à-face. Mercredi, il a ainsi déclaré vouloir «investir dans notre plus grande source de force, nos alliances» et souhaiter «les mettre à jour pour mieux faire face aux menaces d’aujourd’hui et de demain».

Quant au premier ministre australien, Scott Morrison, il a affirmé jeudi, après l’annonce du pacte «Aukus», qu’il lançait une «invitation ouverte» au dialogue au président chinois, Xi Jinping.

Dans la journée, la Chine a dénoncé une vente «extrêmement irresponsable» de ces sous-marins américains à propulsion nucléaire à l’Australie. «La coopération entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie en matière de sous-marins nucléaires sape gravement la paix et la stabilité régionales, intensifie la course aux armements et compromet les efforts internationaux de non-prolifération nucléaire », a ainsi déclaré le porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijian.

Collaboration en cyberdéfense, intelligence artificielle

« Le Royaume-Uni, l’Australie et les Etats-Unis vont être liés encore plus étroitement, ce qui reflète le degré de confiance entre nous et la profondeur de notre amitié », a quant à lui déclaré Boris Johnson, qui engrange là un succès diplomatique dans sa stratégie pour éviter l’isolement international après le Brexit. « Sur la base de notre histoire commune de démocraties maritimes, nous nous engageons dans une ambition commune pour soutenir l’Australie dans l’acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire », ont encore fait savoir les trois partenaires dans leur communiqué commun.

« Le seul pays avec lequel les Etats-Unis n’ont jamais partagé ce type de technologie de propulsion nucléaire est la Grande-Bretagne », à partir de 1958, avait expliqué plus tôt dans la journée un haut responsable de la Maison Blanche. Selon lui, le pacte « Aukus » prévoit également une collaboration des trois pays en matière de cyber-défense, d’intelligence artificielle et de technologies quantiques.

La Nouvelle-Zélande, qui interdit ses eaux à tout navire à propulsion nucléaire depuis 1985, a d’ores et déjà annoncé que les futurs sous-marins de son voisin et allié australien ne seraient pas les bienvenus chez elle.

Econews avec Le Monde avec AFP