Dans l’Est de la République Démocratique du Congo, le M23 progresse sous la barbe des troupes de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est). A Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, ça bouillonne. La population pense que le force régionale de l’EAC est complice et joue le rôle de passeur pour faciliter la tâche au M23. A Kinshasa, c’est le désarroi. Que faire? Dos au mur, le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi, est allé, en marge du sommet, imploré le commandant de la force régionale à se monter plus actif sur le terrain. Jusqu’où ira la grogne de la population ? Quitter l’EAC passe pour une pullule amère. Et Kinshasa n’est pas prêt à prendre ce virage. Pour le moment, Félix Tshisekedi tente de récupérer le terrain perdu au sein de la SADC dont il a curieusement tourné le dos au profit de l’EAC. Il est allé lundi à la rencontre de João Lourenco à Luanda, avant de continuer sa route vers l’Afrique du Sud pour des échanges avec Cyril Ramaphosa. Bref, en adhérant à EAC, Kinshasasemble s’être jeté dans un piège dont il cherche à se défaire. Comment y parvenir ? Par quelle voie ? Un dilemme, au moment où, dans l’Est, les terroristes gagnent du terrain et consolident leur emprise depuis leur QG de Bunagana.
Dans le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, Goma, le ton n’est pas encore à l’apaisement. Le Nord-Kivu est en pleine ébullition. A Kinshasa, le porte-parole du Gouvernement, Patrick Muyaya, a multiplié les appels à l’apaisement, appelant la population au calme pour ne pas prêter le flanc à l’ennemi. Un message qui passe difficilement au sein de l’opinion du Nord-Kivu qui, exaspéré et dépité par les vaines promesses d’une diplomatie presqu’essoufflée, a finalement décidé de se prendre en charge.
Ainsi, depuis lundi, Goma est sous tension. Au premier jour de la vague de contestations, le gouverneur-militaire de la province, le lieutenant-général Constant Ndima, est allé à la rencontre des manifestants pour ramener le calme dansla ville. Son intervention n’a pas changé grand-chose. Goma bouillonne.
Que réclame donc cette population surchauffée ? Juste une chose : plus d’activisme de la force régionale de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est) qui, selon le peuple du Nord-Kivu, jouerait le jeu de l’ennemi, c’est-à-dire les «terroristes» du M23 et leur parrain, le Rwanda, qui occupe une bonne partie du territoire de Rutshuru.
Pétard mouillé à Bujumbura
On pensait que le dernier sommet de Bujumbura allait apporter une nouvelle dynamique sur le terrain des opérations. Loin de là. En lieu et place, Bujumbura a ravivé la polémique, estimant qu’il était important d’accroître le nombre d’unités de la force régionale sur le terrain des opérations.
A Goma, la réplique n’a pas tardé : Qu’ont-ils encore fait jusque-là ? En tout cas, pas grand-chose.
Le plus évident est que, depuis l’arrivée de la force régionale de l’EAC, placée sous commandement kenyan, le M23 a gagné de l’espace. Bien plus, il a consolidé son emprise dans les zones conquises précédemment depuis son QG de Bunagana.
Ainsi, dans l’opinion publique du Nord-Kivu, plusieurs questions taraudent les esprits : la force régionale de l’EAC est-elle complice du M23 ? Sert-elle de passage au groupe terroriste pour conquérir de nouvelles zones ? Autant de questions qui jettent un discrédit sur l’apport réel de cette force régionale de l’EAC
Entre-temps, à Kinshasa, on continue encore à donner une chance à une diplomatie qui montre de plus en plus ses limites.
Pourtant à Bujumbura, rapporte Jeune Afrique, les trois heures de huis clos n’auront pas permis d’avancée majeure.
Selon plusieurs sources présentes à Bujumbura, les échanges ont été houleux entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame, qui ne s’étaient plus retrouvés depuis qu’ils s’étaient vu à New York autour du président Emmanuel Macron, en septembre 2022.
Quant au communiqué final, il a une nouvelle fois appelé à «un cessez-le-feu immédiat» et à un «retrait de tous les groupes armés étrangers » – sans citer lesquels – selon un calendrier qui devra être discuté par les chefs d’état-major dans une semaine.
Jeune Afrique va plus loin et rappelle que l’entourage de Félix Tshisekedi, qui espérait un discours plus ferme vis-à-vis du M23 à Bujumbura, ne cache pas sa frustration. «Certains veulent vider la feuille de route de Luanda de sa substance. Nous voulions que soient mentionnés, dans le communiqué, la demande et le lieu de retrait du M23», regrette un collaborateur du président congolais, cité par le magazine panafricain.
Un analyste indépendant a trouvé des mots durs autant contre la force régionale de l’EAC que les décideurs de Kinshasa. «Déjà un grand désordre s’est installé dans l’Est de la RDC. L’Etat ne contrôle plus rien. A l’armée nationale, hétéroclite et infiltrée, on a rajouté une force régionale remplie des conspirateurs aux intérêts obscurs inavoués. Le sang des innocents continue de couler, des maisons abandonnées par les réfugiés sont occupées par des familles rwandaises dans le cadre du processus planifié du remplacement et occupation, des territoires toujours occupés et administrés parallèlement. Des chefs-lieux comme Goma déjà ciblés, etc.».
Il enchaîne : «L’approche sécuritaire de Félix Tshisekedi et de son Gouvernement a démontré de manière ostentatoire son inefficacité. L’État congolais évolue sans stratégie sécuritaire efficace de court, moyen et long terme. On évolue comme par essai et erreur, ce qui coûte très cher chaque jour aux innocents compatriotes ».
A tout prendre, depuis Kinshasa, le force régionale de l’EAC n’inspire plus confiance. Ce n’est pas pour rien, qu’en marge du sommet de Bujumbura, Félix Tshisekedi l’exhortant « à ne pas aider le M23».
Tshisekedi consulte
Si Kinshasa ne croit plus en l’efficacité, pour dire vrai, à la sincérité de la force régionale de l’EAC, il ne sait pas cependant s’en défaire. Le retour des flammes pourrait lui être fatal.
Dos au mur, Félix Tshisekedi est allé chercher conseil auprès de ses pairs de la région, non membres de l’EAC, à savoir Denis Sassou Nguesso du Congo/Brazzaville et João Lourenço de l’Angola, avant de conclure ses consultations par Cyril Ramaphosa de l’Afrique du Sud
A tout prendre, complice ou passeur, la forge régionale de l’EAC passe pour une patate chaudes entre les mains de Félix Tshisekedi. Un dilemme qui plombe son action dans l’Est congolais. Comment s’en sortir ? Difficile à dire.
Econews