Kadima jette le doute sur les scrutins du 20 décembre : la CENI est «carrément en cessation de paiement»

Entre Denis Kadima, président de la CENI (Commission électorale nationale indépendante), et Nicolas Kazadi, ministre national des Finances – tous deux proches de l’UDPS – il y a des étincelles en l’air dans la conduite du processus électoral. Invité dimanche sur les antennes de Télé 50, le président de la CENI n’a pas eu sa langue dans la poche, tirant à bout portant sur le Gouvernement qui, selon lui, met son institution dans une situation de « cessation de paiement ». Or, sans argent, pas d’élections à la date prévue du 20 décembre 2023. A la CENI, Denis Kadima joue apparemment au Ponce-Pilate, évitant d’apporter l’entière responsabilité d’un éventuel glissement. Curieusement, c’est la même posture qu’affiche le Gouvernement qui, à en croire le ministre des Finances, pourvoit à tous les besoins de la CENI – en mode d’urgence d’ailleurs – passant outre les exigences de la chaine de la dépense publique.
Le processus électoral, tel que mené par la Céni de Denis Kadima, ne rassure plus. Les inquiétudes sont telles que le Président de la République ne s’en cache pas. Si Félix Tshisekedi évoque spécialement la situation de guerre qui prévaut dans l’Est de la RDC pour justifier un éventuel glissement du cycle électoral, ce n’est pas le cas de Denis Kadima, président de la Céni, qui note que le Centrale électorale ne dispose pas d’assez de moyens pour remplir efficacement sa mission.
Invité dimanche sur le plateau de Télé 50, Denis Kadima a dit ses quatre vérités, exposant à la vindicte populaire le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, qui ne met pas, en temps réel, à la disposition de la Céni des moyens conséquents de fonctionnement et financement de ses opérations.
Si Denis Kadima donne toutes ces révélations, il va s’en dire qu’il pressent déjà une bien triste réalité pour le Centrale électorale de ne pas tenir les élections à l’échéance fixée du 20 décembre 2023. Pour Denis Kadima, le coupable est connu : le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, qui bloque ou retarde – c’est selon – les fonds destinés à la CENI.
«D’octobre 2022 à mars 2023, la CENI n’a reçu ni frais de fonctionnement ni frais de rémunération», a déclaré Denis Kadima, interrogé sur Télé 50. Il va plus loin : «Le dernier décaissement que nous avons reçu c’était pour septembre 2022 », soulignant que «les fonds que nous avons reçu pour les élections nous les avons épuisés dans les opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs».
Denis Kadima craint que la machine électorale ne connaisse un blocage brusque. Aussi prévient-il : « Nous sommes en cessation de paiement. Nous savons que nous sommes sur la liste des priorités du ministre des Finances. Mais en attendant qu’on dispose de cet argent, nous sommes vraiment en difficulté ».
Il se refuse cependant à faire la pression pour amener le Gouvernement, spécialement le ministre Nicolas Kazadi, à jouer sa partition : « Tout le monde sait que les élections sont pour cette année. On a écrit au Premier ministre et il n’y a pas question de faire pressions (…) Nous ne sommes que des récipiendaires et nous attendons cet argent ».

Quand Kadima Kazadi contredit Kazadi Kadima ?
Entre Denis Kadima et Nicolas Kazadi, qui croire finalement ? C’est la grande énigme. Pour autant qu’il y a, quelques jours, le ministre des Finances, se vantant des recettes mobilisées fin 2022, a dit avoir décaissé pour le compte de la Céni près de 500 millions de dollars américains pour la seule année 2022. Que Denis Kadima se plaigne de n’avoir reçu le dernier versement du Gouvernement que depuis le mois d’octobre 2022, allant jusqu’à rogner sur son budget de fonctionnement pour financer les opérations d’enrôlement, lancées le 24 décembre 2022, il y a une bonne raison d’interroger autant le président de la CENI que le ministre Nicolas Kazadi
Quoi qu’il en soit, les élections du 20 décembre 2023 sont entourées d’une grande incertitude. La multitude d’inconnues se greffent à la question sécuritaire de l’Est rendant de plus en plus probable, l’hypothèse d’un glissement.
Deux informations sont passées relativement inaperçues, en marge de la conférence de presse commune entre Emmanuel Macron et Félix Tshisekedi. La première est l’aveu de Félix Tshisekedi que les élections ont peu de chance de se dérouler en décembre 2023, si la situation sécuritaire ne s’améliore pas dans l’Est du pays. «Le seul problème reste dans les zones de troubles où nous avons besoin que la sécurité revienne afin de pouvoir continuer avec le processus électoral. Sinon, nous risquons d’avoir un retard considérable qui impactera sur la date (des élections) », a-t-il prévenu.
Dans tous les cas, le report du scrutin était déjà dans les tuyaux depuis plusieurs mois, notamment avec les retards dans le processus d’enregistrement des électeurs, mais ce premier ballon d’essai de Félix Tshisekedi, préfigure d’un inéluctable « glissement » du calendrier électoral.
Le président Tshisekedi a également prévenu que la guerre dans l’Est risquait de compromettre le financement des programmes de développement des «145 territoires» ou de la gratuité de l’enseignement, ainsi que la couverture universelle de santé. Discrètement, Félix Tshisekedi prépare l’opinion à un bilan plus que mitigé de son premier mandat.
A l’opposition, on reste de marbre. Si le FCC de Joseph Kabila exige une table rase du processus électoral par la recomposition de la CENI, de la Cour constitutionnelle et la révision de la loi électorale, d’autres acteurs de l’opposition tels que Martin Fayulu et Moïse Katumbi ne jurent que par la tenue des élections à l’échéance du 20 décembre 2023.

Hugo Tamusa