Le procès en cours contre M. Fortunat Biselele Kayipangi, ancien conseiller privé du Président de la République, constitue un cas d’école en matière de violation des lois qui encadrent la procédure pénale. Outre cette garde à vue de plus de six jours, là où la loi n’en prévoit que quarante-huit heures, ainsi que cette décision des officiers de police judiciaire de l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) de se saisir des téléphones du prévenu et de les fouiller sans l’autorisation expresse du procureur, comme le veut la loi, il y a maintenant le cas du magistrat instructeur et qui assume, par la suite, le rôle de ministère public dans le procès, et qui, parce qu’occupant une fonction incompatible avec l’exercice de la profession de magistrat, rend sa procédure nulle et non avenue.
Le 31 mai dernier, Me Mbikayi Kabanga, un des avocats conseils de M. Biselele, a écrit au procureur général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe pour «obtenir le déchargement du substitut du procureur général Erci Kuku Kiese pour incompatibilité dans la cause sous R.P. 29.236 pendante devant le Tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe – Ministère public contre M. Fortunat Biselele». L’avocat rappelle que son client est actuellement poursuivi devant le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe, sous RP.2 9 236, pour notamment trahison. Il est détenu à la prison centrale de Makala après que, les soins médicaux qui lui étaient administrés à l’Hôpital général militaire colonel Tshiatshi, ont été brutalement interrompus sans consultation préalable de son médecin’’.
Et qu’il reproche à «Monsieur le substitut du procureur général Kuku Kiese Éric d’agir en violation des dispositions de l’article 65 de la loi n° 06/20 du 10 octobre 2006 portant statuts des magistrats qui disposent : ‘Hormis les cas de détachement ou de disponibilité, les fonctions de magistrats sont incompatibles avec toute activité professionnelle, salariée ou non, dans le secteur public ou privé’».
En effet, le magistrat ci-haut cité, a instruit le dossier pendant la phase pré-juridictionnelle et en poursuite devant le Tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe en tant que Ministère Public, en dépit du fait qu’il fait partie du personnel politique de la Présidence de la République où il assume les fonctions de coordonnateur-adjoint de la Commission Jeunesse et Lutte contre les violences faites aux femmes à la Présidence, après celles de coordonnateur-adjoint de l’Agence pour la prévention et lutte contre la traite des personnes, agence rattachée elle aussi à la présidence de la République. Au regard de l’équivalence des fonctions entre le personnel politique de la présidence de la République et les membres du gouvernement, M. Eric Kuku Kiese a rang de ministre. Rappelons qu’en ce qui concerne la disponibilité, l’article 36 de la loi n° 06/20 du 10 octobre 2006 portant statuts des magistrats dispose que le magistrat en disponibilité «interrompt ses services». C’est clair et net.
Or, c’est donc ce magistrat, membre du personnel politique de la présidence de la République, qui a instruit le dossier Biselele dans sa phase préjuridictionnelle – démontrant par-là, si besoin en était encore, le téléguidage de ce dossier par des officines politiques –,établi la requête aux fins de fixation devant le tribunal, et c’est le même qui assume le rôle de ministère public lors du procès.
Au regard des dispositions légales évoquées ci-haut, c’est toute la procédure qui tombe dans la nullité, autant que la requête de fixation devant le tribunal, pour avoir été conduites par une personne n’ayant pas qualité. Par voie de conséquence, le tribunal n’est même pas saisi, et la Constitution appelle, dans ce cas, à libérer le prévenu car la liberté est la règle, et la détention l’exception. Gérard Cornu, pénaliste français de renom– il fut professeur à l’université de Paris II Panthéon-Assas et doyen de la Faculté de droit de Poitiers – explique que «la nullité peut être définie comme ‘‘une sanction encourue par un acte juridique entaché d’un vice de forme ou d’une irrégularité de fond qui consiste dans l’anéantissement de l’acte’’» (voir Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Presses universitaires françaises, Paris, janvier 2022).
La procédure du dossier Biselele se retrouve, justement, entachée d’un grave vice de forme car ayant été conduite dans sa phase préjuridictionelle par une personne en disponibilité et, donc, censée avoir cessé ses services en tant que magistrat parce qu’ayant été nommée à une fonction incompatible avec l’exercice de la magistrature.
En procédure pénale, les nullités sont destinées à assurer le respect des formalités essentielles à la sauvegarde des droits et des libertés. Elles constituent un outil essentiel dans une démocratie en ce qu’elles tendent vers la protection des droits les plus sacrés des citoyens en limitant d’éventuelles dérives arbitraires. En s’assurant du respect des formalités fixées par la loi, les nullités contribuent donc à la sauvegarde des droits et libertés de chacun. Par respect pour l’Etat de droit tel que décrété par le Chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, dans le dossier Biselele, la nullité de toute la procédure s’impose.
Me Gabin Mutshaila (CP)