Depuis la fin de l’année 2022, les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, ont commis des meurtres, des viols et d’autres crimes de guerre manifestes dans l’Est de la République Démocratique du Congo. La situation sécuritaire catastrophique a été aggravée par l’état de siège proclamé dans la région et par la collaboration de l’armée congolaise avec plusieurs groupes armés, principalement sur la base de critères ethniques. Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait ajouter les dirigeants du M23, ainsi que les responsables rwandais qui fournissent une assistance à ce groupe armé responsable d’abus, à la liste des cibles des sanctions du Conseil.Les incursions des rebelles exacerbent la crise humanitaire dans l’Est de la RDC.
Depuis la fin de l’année 2022, les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda ont perpétré des exécutions illégales, des viols et d’autres crimes de guerre manifestes dans l’est de la République démocratique du Congo, a déclaré, mardi 13 juin, Human Rights Watch (HRW). Des attaques par armes explosives menées dans des zones habitées de la province du Nord-Kivu ont tué et blessé des civils, endommagé des infrastructures et exacerbé une crise humanitaire déjà catastrophique. Des groupes armés opposés au M23 ont également commis des viols.
L’armée rwandaise a déployé des troupes dans l’est de la RD Congo pour fournir un soutien militaire direct au M23, l’aidant à étendre son contrôle sur le territoire de Rutshuru ainsi que sur le territoire de Masisi voisin. Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait ajouter les dirigeants du M23, ainsi que les responsables rwandais qui soutiennent ce groupe armé responsable d’abus, à la liste des cibles des sanctions du Conseil.
«Les meurtres et viols commis sans relâche par le M23 sont favorisés par le soutien militaire que les commandants rwandais apportent au groupe armé rebelle», a affirmé Clémentine de Montjoye, chercheuse au sein de la division Afrique à Human Rights Watch. «La RD Congo et le Rwanda ont tous deux l’obligation de traduire en justice les commandants du M23 pour leurs crimes, ainsi que tout responsable rwandais qui les soutient »
Le groupe armé M23 comprend des soldats qui ont pris part à une mutinerie au sein de l’armée nationale congolaise en 2012. Les commandants hauts gradés du groupe ont un passif bien connu de graves abus commis contre des civils. La situation sécuritaire catastrophique a été aggravée par deux ans d’état de siège dans la région et par la collaboration des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) avec plusieurs groupes armés, principalement sur la base de critères ethniques. Les parties belligérantes font de plus en plus appel aux loyautés ethniques, exposant les civils des zones reculées de la province du Nord-Kivu à un risque accru.
De mars à mai 2023, Human Rights Watch a mené des entretiens, en personne et par téléphone, avec 81 victimes d’abus congolaises, leurs familles, des témoins, des autorités locales, des représentants d’organisations non gouvernementales congolaises et internationales, des représentants des Nations Unies, ainsi que des diplomates étrangers. Human Rights Watch a aussi vérifié, à l’aide d’images satellite, de photos et de vidéos, le bombardement et la destruction d’infrastructures civiles. La plupart des abus documentés ont eu lieu entre novembre 2022 et mars 2023.
Human Rights Watch a documenté 8 exécutions illégales et 14 cas de viol commis par les combattants du M23. Human Rights Watch a également reçu des informations crédibles à propos de plus d’une dizaine d’autres exécutions sommaires commises par les forces du M23, mais en raison des contraintes d’accès et de sécurité, n’a pas pu corroborer de manière indépendante ces éléments. En outre, sept personnes ont été tuées et trois autres ont été blessées lors de bombardements apparemment indiscriminés sur des zones habitées à Kanombe, à Kitchanga et près de Mushaki, lors d’attaques du M23.
Des survivantes ont fait part de cas où des combattants du M23 ont violé des femmes devant leurs enfants et leurs maris, ce qui amplifie le traumatisme subi par les victimes et érode le tissu social des communautés et des familles. Des viols collectifs impliquant jusqu’à cinq agresseurs ont été rapportés. En raison de la stigmatisation et la tendance des victimes à ne pas rapporter ce type d’agression, le nombre total d’incidents de violences sexuelles commis par les groupes armés est très probablement beaucoup plus élevé.
Une mère de six enfants âgée de 46 ans, qui a fui Mushaki dans le territoire de Masisi le 25 février avec sa mère âgée de 75 ans, est tombée sur un groupe de 10 rebelles du M23 qui ont pris leur argent. « Ils ont voulu nous violer», a-t-elle raconté. «Ma mère a dit non, alors ils lui ont tiré une balle dans la poitrine et elle est morte sur-le-champ. Puis quatre d’entre eux m’ont violée. Alors qu’ils me violaient, l’un d’eux a dit : «Nous sommes venus du Rwanda pour vous détruire».
Les survivantes et les témoins ont identifié les combattants du M23 sur la base de leurs uniformes et leur équipement, et dans certains cas, avec l’aide de photographies publiées par le Groupe d’experts des Nations Unies sur la RD Congo. Des victimes ont déclaré que certains rebelles du M23 se sont identifiés en tant que tels ou ont dit être venus du Rwanda.
Human Rights Watch a également documenté six cas de viol commis par des rebelles liés à d’autres groupes armés, y compris les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé composé principalement de Hutus rwandais, dont certains des dirigeants ont pris part au génocide de 1994 au Rwanda, et les Nyatura Abazungu.
Les dirigeants du M23 ont nié que leurs forces aient commis des crimes. Le 6 juin, Human Rights Watch s’est entretenu avec un porte-parole du M23 qui a dit que le groupe armé niait les allégations selon lesquelles ses forces avaient commis des abus.
Le Groupe d’experts des Nations Unies, qui surveille les violations de l’embargo sur les armes et les sanctions en RD Congo, a présenté de manière indépendante des preuves convaincantes attestant du soutien rwandais aux rebelles du M23. Le gouvernement rwandais a rejeté ces allégations.
Le 1er mai, la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) a annoncé que ses troupes étaient déployées pour «garantir le respect du cessez-le-feu et, en outre, superviser le retrait des groupes armés ». Les processus politiques menés par la CAE et l’Union africaine (UA) devraient garantir qu’une aide humanitaire adéquate soit fournie aux personnes dans le besoin et que les victimes d’abus aient accès à la justice, a déclaré Human Rights Watch.
La reprise des hostilités impliquant le M23, l’armée congolaise et plusieurs autres groupes armés a entraîné le déplacement d’environ un million de personnes depuis mars 2022. Le 9 mai 2023, l’organisation humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF) a indiqué avoir fourni des soins à 674 survivantes de violences sexuelles au cours des deux dernières semaines d’avril dans des camps de personnes déplacées autour de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, ce qui représente une augmentation dramatique par rapport aux périodes précédentes. Les violences sexuelles contre les femmes et les filles sont généralisées et ne se limitent pas aux zones de combat. Dans de nombreux cas signalés à MSF, des femmes et des filles ont été violées alors qu’elles cherchaient de la nourriture ou du bois de chauffage autour des camps de déplacés.
La plupart des victimes de violences sexuelles interrogées par Human Rights Watch n’ont reçu aucun traitement médical.
Un responsable d’une organisation humanitaire travaillant au Nord-Kivu a qualifié la situation de «catastrophique», précisant que les camps de personnes déplacées établis ne recevaient pour toute aide que le « strict minimum». «[Pendant ce temps] tout le long de la route de Sake, des camps de fortune abritant jusqu’à 15.000 personnes chacun sont apparus, et ils n’ont ni latrines, ni abri, ni eau, ni soins de santé», a expliqué le responsable. «Personne n’intervient là-bas».
Le gouvernement congolais, avec le soutien des bailleurs de fonds internationaux, devrait de toute urgence fournir des services médicaux, de santé mentale et socioéconomiques aux personnes déplacées et aux survivantes de violences sexuelles dans les régions affectées par les violences, a déclaré Human Rights Watch.
«L’Union africaine et les Nations Unies devraient intensifier leurs efforts pour aider le gouvernement congolais à mieux protéger les civils exposés au risque d’attaques », a conclu Clémentine de Montjoye. «Les Nations Unies devraient imposer des sanctions ciblées à l’encontre de ceux qui aident le M23 et d’autres groupes responsables d’abus. Les gouvernements étrangers qui fournissent actuellement une assistance militaire au Rwanda devraient prendre conscience qu’ils risquent de se rendre complices des atrocités commises par les rebelles ».
La résurgence du groupe rebelle M23 depuis la fin de l’année 2021 a conduit plusieurs groupes armés congolais à former une coalition pour lutter contre lui. Ces milices sont généralement organisées selon des critères ethniques, et certaines étaient auparavant rivales. En août 2022, la plupart étaient retournées dans leurs bastions respectifs. La coalition a toutefois refait surface après l’offensive du M23 à la fin du mois d’octobre 2022 et son avancée dans la chefferie de Bwito, ainsi que dans le territoire de Masisi. Elle a joué un rôle de premier plan sur la ligne de front des combats avec le soutien manifeste de certains officiers supérieurs de l’armée congolaise.
La reprise des opérations militaires par le M23, accompagnée d’exactions, a attisé la haine ethnique contre la communauté tutsie, que de nombreux Congolais du Nord-Kivu considèrent comme des partisans du groupe armé, dont le leadership est à majorité tutsi. Human Rights Watch a documenté plusieurs cas dans lesquels des personnes issues de la communauté tutsie ou simplement perçues comme étant des Tutsis ou des Rwandais ont fait l’objet d’hostilité, de menaces et d’attaques de la part de milices ethniques et des communautés qu’elles prétendent représenter.
Le 15 décembre, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a déclaré que le Rwanda devrait «user de son influence auprès du M23 pour l’encourager » à se replier et « retirer » ses propres forces. La Belgique, la France et l’Allemagne ont également exhorté le Rwanda à cesser de soutenir le M23. Étant donné que les armes fournies par le Rwanda contribuent aux abus généralisés et systématiques du M23 contre la population civile, les gouvernements apportant une assistance militaire au Rwanda, comme les États-Unis et la France, devraient suspendre ce soutien. L’UE devrait s’assurer que son aide récente à la mission de la Force de défense du Rwanda (Rwanda Defence Force, RDF) dans le nord du Mozambique fait l’objet d’un suivi adéquat, afin de ne pas être impliquée indirectement dans des opérations militaires abusives dans l’est de la RD Congo.
Tout soutien de la part de l’UE ou de gouvernements étrangers aux troupes déployées par la CAE ou ses États membres ne devrait être fourni qu’à condition d’instaurer un mécanisme d’assainissement («vetting») conforme aux normes internationales, un mandat de protection renforcé et une politique de diligence raisonnable, et de mettre en place un mécanisme de contrôle du respect des droits humains.
Le comité des sanctions de l’ONU devrait immédiatement chercher des informations supplémentaires sur les dirigeants du M23 et les officiers militaires rwandais en vue d’adopter des sanctions ciblées contre eux. L’UE et d’autres acteurs devraient maintenir et étendre les sanctions contre les hauts commandants du M23, les dirigeants d’autres groupes armés et les responsables supérieurs de toute la région qui ont été reconnus responsables ou complices d’abus graves commis récemment par leurs forces ou par ceux qui se trouvent sous leur commandement.
Le conflit armé dans l’est de la RD Congo est soumis au droit international humanitaire, aussi appelé le droit de la guerre, notamment à l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et au droit international coutumier, qui interdisent les exécutions sommaires, le viol et autres violences sexuelles, le pillage, le recrutement forcé, ainsi que d’autres abus.
Les violations graves du droit de la guerre commises avec une intention criminelle – de façon délibérée ou imprudente – constituent des crimes de guerre. Les commandants peuvent être tenus pénalement responsables pour les crimes de guerre commis par leurs forces lorsqu’ils avaient connaissance ou auraient dû avoir connaissance de ces crimes, et qu’ils n’ont pas agi pour les prévenir ou punir les responsables. Des responsables rwandais pourraient être considérés comme des complices de crimes de guerre du fait de l’assistance militaire qu’ils ont fournie aux forces du M23.
Meurtres et viols commis par le M23
Human Rights Watch a documenté des meurtres et des viols commis par les rebelles du M23 contre des civils piégés dans les combats opposant le M23 et les forces congolaises, alors qu’ils tentaient de s’enfuir pour se mettre en sécurité.
Dans la localité de Kanombe, dont les forces du M23 se sont emparées en août 2022, d’anciens habitants ont déclaré que plusieurs centaines de combattants armés du M23 sont entrés dans la ville en uniforme militaire, parfois avec des insignes de la RDF et des gilets pare-balles.
«[Le M23 nous a dit :] Quiconque est contre nous mourra. Nous ne venons pas nous battre, nous sommes ici pour reprendre nos terres », a indiqué un ancien habitant de Kanombe qui a vécu sous l’occupation du M23 avant de fuir en janvier. « Après leur arrivée, [les combattants du] M23 ont violé des femmes, forcé des gens à travailler pour eux et ont battu des personnes… [Nous] devions travailler dans nos champs et leur donner nos récoltes ».
Trois anciens habitants ont décrit l’exécution d’un homme en novembre. « Il est allé au champ chercher de la nourriture sans autorisation et le M23 l’a tué – il avait 31 ans », a raconté l’un d’eux. «Nous avons retrouvé son corps dans le champ plus tard».
Une femme de 22 ans qui a fui Kitchanga en février, plusieurs semaines après que le M23 s’est emparé de la ville, a dépeint la vie sous son contrôle : « Le M23 harcelait les gens et pillait les maisons. Ils prenaient ce qu’ils voulaient et emmenaient les hommes. Je ne sais pas où ils les emmenaient… Au bout de deux semaines, ils ont commencé à violer des femmes. Ils se fichaient que nous soyons mariées ou non. Ils sont venus chez moi le soir du 20 février. Ils ont dit à mon mari de partir. Ils étaient sept, et cinq m’ont violée. Mon mari n’a pas supporté ce qui m’est arrivé et m’a quittée. J’ai dû fuir toute seule, à travers la forêt ».
Une femme de 28 ans a expliqué avoir subi un viol collectif, début janvier, perpétré par des combattants du M23 qui avaient occupé Kako, dans le territoire de Rutshuru : « Après que mon mari est parti au travail, cinq hommes sont venus et ont frappé à ma porte vers 10 heures du matin… Ils ont dit qu’ils faisaient partie du M23 et m’ont demandé si j’étais mariée. J’ai répondu que oui. Ils m’ont tous violée. J’ai crié mais mes voisins étaient trop effrayés pour venir m’aider ».
Son mari est revenu à la maison, mais elle a entendu ses voisins lui dire de ne pas entrer, au risque de se faire tuer. Elle a poursuivi : « Je leur ai proposé de l’argent, ils ont dit non. J’ai imploré leur indulgence. Mais ils m’ont quand même tenu les mains et les jambes et m’ont violée jusqu’à ce que je perde connaissance… Maintenant, je suis enceinte et je ne sais pas de qui est ce bébé. J’ai tellement honte. Mon mari est parti pour de bon ».
Une femme de 37 ans et son mari de 36 ans, qui ont fui les combats autour de Kitchanga le 19 janvier, ont déclaré qu’une dizaine de combattants du M23 les avaient interceptés avec sept autres personnes, dont trois femmes. Les combattants ont attaché les hommes et ont exécuté l’un d’entre eux, a expliqué le couple. « Ils nous ont accusés d’appartenir aux FDLR et ont dit que nous collaborions avec des meurtriers », a raconté le mari. Ils ont emmené les femmes à l’écart et les ont violées.
La femme a expliqué : « Ils ont déchiré mes vêtements, je pleurais et les suppliais de me tuer plutôt que de me violer. Ils m’ont violée l’un après l’autre ; je criais tellement. Quand le troisième m’a violée, j’ai perdu connaissance ». Les soldats ont attaché les hommes à des arbres et les ont violemment battus. Le mari a finalement pu s’enfuir. Deux des hommes qui ont réussi à s’échapper plus tard ont retrouvé sa femme.
Le 10 février, alors que les combattants du M23 encerclaient la ville de Mushaki, dans le territoire de Masisi, ils ont tiré sur des civils en fuite, tuant un homme de 62 ans. Sa veuve a raconté : « Nous savions que les troupes gouvernementales combattaient le M23… [Le M23 nous suivait et] quand nous sommes arrivés à un endroit appelé « Volcan », mon mari a reçu une balle dans le dos. Il est tombé raide mort et je ne pouvais pas rester parce que les balles pleuvaient sur nous. Je ne sais même pas s’il a été enterré ».
Bombardement et pillage de zones civiles
Human Rights Watch a documenté dix cas où des civils ont été tués ou blessés par des armes explosives à Kitchanga et près de Mushaki, dans le territoire de Masisi, et à Kanombe, dans le territoire de Rutshuru. Dans certains incidents, il n’a pas été possible de déterminer clairement quelle force militaire était responsable de l’attaque.
Neuf photos et vidéos de Kitchanga examinées par Human Rights Watch montrent des maisons et des infrastructures civiles endommagées, y compris un hôpital et une église, très probablement par des tirs de mortier et de roquettes tirées à l’épaule. Les dommages touchant l’hôpital et l’église étaient également visibles sur les images satellite.
Un homme de 32 ans originaire de Kitchanga a indiqué que le 20 janvier, un obus de mortier s’était abattu sur sa maison, tuant ses trois frères et blessant sa sœur : «Nous étions à la maison en train de nous préparer à fuir lorsque l’obus a frappé. Notre maison était à côté d’un hôpital. Beaucoup d’obus sont tombés et beaucoup de gens sont morts.» Les habitants ont indiqué que le M23 était en train d’attaquer Kitchanga à ce moment-là et a capturé la ville dans les jours qui ont suivi ».
Après avoir fui à Karuba, une femme s’est réfugiée chez son oncle à environ 10 kilomètres au sud de Mushaki. Des combats ont éclaté entre les forces armées congolaises et le M23. Elle a expliqué que bien que l’armée congolaise «ait fui» autour du 26 février, le M23 a bombardé le village, touchant la maison de son oncle et tuant son cousin et un autre homme. Deux personnes à Karuba ont confirmé ces décès. «Je connais neuf personnes qui sont mortes à cause du bombardement du M23», a déclaré l’une d’elles. «Nous avons entendu environ 24 obus d’artillerie tomber sur Karuba et ses environs».
Un travailleur médical au sein d’un hôpital proche de Sake a indiqué qu’entre janvier et mars, le personnel avait soigné des dizaines de victimes blessées principalement par des bombardements ou des armes à feu. Deux autres travailleurs médicaux dans le Nord-Kivu ont rapporté que les centres de santé avaient été submergés de victimes de traumatismes.
Les habitants des zones occupées par le M23 ont raconté à Human Rights Watch que les combattants du M23 ont pillé, détruit ou incendié des biens, forcé des personnes à travailler pour eux sans rémunération et enlevé des hommes, probablement pour les enrôler de force.
Une femme de 20 ans originaire de Kausa, dans le territoire de Masisi, a expliqué : « Lorsqu’ils sont entrés, ils ont dit qu’ils s’en prendraient à ceux qui avaient protégé les FARDC [l’armée congolaise]… [Les combattants du M23] ont dit qu’ils venaient pour reprendre leurs terres, et que si nous laissions les FARDC revenir, ils nous tueraient tous. Ils ont forcé les hommes à porter leurs affaires et leur ont dit de les rejoindre. Ils ont pillé les maisons et pris nos affaires ».
Les habitants de Rugari, dans le territoire de Rutshuru, dont le M23 s’est emparé fin octobre, ont déclaré que les rebelles ont incendié et détruit environ 40 à 60 maisons entre octobre et janvier. Ils ont précisé que les rebelles visaient des maisons dont ils pensaient qu’elles appartenaient à des membres d’autres groupes armés. Les images satellite analysées par Human Rights Watch corroborent la destruction par incendie d’au moins 40 bâtiments le long de la route principale N2 dans la région de Rugari.
Viols commis par d’autres groupes armés
Human Rights Watch a précédemment fait état d’unités de l’armée congolaise ayant soutenu des groupes armés impliqués dans de graves abus dans le cadre de la lutte contre le M23. Human Rights Watch s’est entretenu avec six survivantes de viols commis par des groupes armés, dont les FDLR et les Nyatura Abazungu. Dans certains cas, les attaques semblaient constituer des représailles contre des femmes qui s’étaient trouvées dans des zones occupées par le M23.
Une femme de 60 ans a indiqué que des combattants des FDLR l’ont violée alors qu’elle se cachait dans la forêt près de sa maison à Rugari, dans le territoire de Rutshuru, pour échapper au M23. « Le M23 est arrivé dans la nuit du 26 octobre. À 6 heures du matin, le 27 octobre, plusieurs d’entre nous sont allées se cacher dans la forêt », environ 10 femmes en tout, d’après son témoignage. « Vers 14 heures, des membres des FDLR nous ont trouvées en train de nous cacher. Ils nous ont toutes violées… Je sais qu’ils étaient des FDLR parce qu’ils sont basés dans la forêt de Karambi près de Rugari, et que nous les connaissons… Ils ont dit qu’ils nous tueraient si nous refusions ».
Une femme de 35 ans a raconté qu’elle a été violée alors qu’elle fuyait Kitchanga avec trois de ses enfants, face à l’arrivée du M23. En février, alors qu’ils se dirigeaient vers Karuba, des rebelles des Nyatura Abazungu les ont arrêtés à un point de contrôle. « J’ai vu deux hommes se faire fouetter, avant d’être relâchés. Les rebelles m’ont appelée et m’ont dit que je soutenais le M23. J’ai dit que ce n’était pas vrai », a-t-elle indiqué. « Les autres sont partis et une femme a emmené mes enfants… J’ai passé deux heures à essayer de négocier pour qu’ils me laissent partir, en vain. L’un d’eux m’a dit de le suivre et m’a emmenée dans une petite maison, où il m’a violée. Il a dit que si je résistais, il me tuerait ».
Une femme de 30 ans a décrit sa rencontre avec des combattants rebelles près de Kitchanga, alors qu’elle et son mari fuyaient les combats. Son mari pensait qu’il s’agissait des FDLR, car ils portaient un mélange de vêtements civils et d’uniformes de l’armée congolaise, et ils étaient les seuls encore présents dans la forêt à combattre le M23. « Ils étaient armés et certains avaient des bâtons », a-t-il indiqué. Elle a expliqué : « Ils ont demandé de l’argent à mon mari, et il a menti et a répondu qu’il n’en avait pas. Quand ils l’ont fouillé et ont trouvé 100 000 francs congolais (45 dollars américains), ils l’ont battu. Puis trois d’entre eux m’ont violée. Ils ont détaché le tissu qui tenait mon bébé dans mon dos et l’ont déposé à côté de mes autres enfants. Ils ont déchiré mes vêtements et m’ont violée sous les yeux de mes enfants et de mon mari ».
Elle a vu un médecin dans un centre médical près de Goma, mais a indiqué toujours ressentir d’intenses douleurs. Son mari voit un psychologue pour se remettre du traumatisme d’avoir été témoin du viol.
Le gouvernement de la RD Congo a l’obligation légale internationale d’enquêter sur les crimes de guerre présumés commis sur son territoire et de poursuivre en justice tous les responsables de manière appropriée. Les officiers congolais qui fournissent un appui aux groupes armés qui mènent des exactions peuvent être tenus responsables pour avoir soutenu la commission de crimes de guerre.
Précédents crimes de guerre du M23
À l’origine, le M23 était composé de soldats ayant participé à une mutinerie au sein de l’armée nationale congolaise en avril et mai 2012. Ces soldats étaient auparavant membres du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), un groupe rebelle qui était également soutenu par le Rwanda. Ils avançaient que leur mutinerie était menée afin de protester contre l’incapacité du gouvernement congolais à mettre pleinement en œuvre l’accord de paix du 23 mars 2009 (d’où le nom de M23), qui les avait intégrés dans l’armée congolaise.
En juin 2012, Navi Pillay, alors Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a décrit les dirigeants du M23 comme figurant «parmi les auteurs des pires violations des droits de l’homme en RDC, et même dans le monde ». Parmi eux figuraient le général Bosco Ntaganda, qui a depuis été condamné par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité alors qu’il dirigeait un autre groupe armé dans la province de l’Ituri, et le colonel Sultani Makenga, que l’on appelle désormais « général » et qui dirige l’offensive actuelle.
Human Rights Watch a documenté des crimes de guerre commis par les forces du M23 qui, avec le soutien du Rwanda, ont pris le contrôle de pans importants de la province du Nord-Kivu en 2012. L’armée rwandaise avait déployé ses troupes dans l’est de la RD Congo pour soutenir directement les rebelles du M23 lors d’opérations militaires.
Des enquêteurs de l’ONU ont également indiqué que des commandants de l’armée ougandaise avaient envoyé des troupes et des armes pour appuyer certaines opérations du M23 et avaient aidé le groupe à recruter. Après que le M23 a brièvement pris le contrôle de Goma, les troupes gouvernementales soutenues par l’ONU l’ont contraint à retourner au Rwanda et en Ouganda en 2013.
Les autorités congolaises ont émis des mandats d’arrêt à l’encontre de Sultani Makenga et d’autres hauts commandants du M23 visés par des sanctions de l’ONU en 2013. Le Rwanda et l’Ouganda n’ont toutefois jamais donné suite aux demandes d’extradition qui leur ont été adressées.
Les tentatives régionales de démobilisation des combattants du M23 ont échoué au cours des dix dernières années. Le groupe armé a refait surface en novembre 2021, attaquant les forces militaires congolaises, considérant notamment que l’administration du Président congolais Félix Tshisekedi ne respectait pas les accords de paix existants, y compris l’amnistie pour les combattants subalternes. Toutefois, les accords n’abordaient pas la question de l’obligation de rendre des comptes concernant les auteurs des pires atteintes aux droits humains.
Avec Human Rights Watch (HRW)