La Russie continuera d’opérer en Centrafrique, avec le groupe Wagner qui combat actuellement la rébellion au côté de l’armée, ou un autre contingent, n’a pas tardé, a affirmé, lundi 26 juin, à l’Agence France-Presse un haut responsable de la présidence de cet État d’Afrique centrale.
Cette annonce a le mérite d’être claire, et son timing intervient peu après que le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a déclaré que le groupe de mercenaires entré brièvement samedi en rébellion contre le Kremlin à partir du front ukrainien, va « continuer» à opérer au Mali et en Centrafrique, Moscou ayant toujours affirmé qu’il s’agissait d’« instructeurs». Pourtant après la rébellion avortée de Wagner, de nombreuses questions émergent, quelles suites pour le groupe paramilitaire russe en Afrique ? Y aura-t-il un avant et un après ? Va-t-on vers une modification de la présence russe en Afrique ? Deux pays seront scrutés ces prochaines semaines, le Mali et la Centrafrique, premier à réagir officiellement.
À Bangui, pas question de se passer des Russes
Pour rappel «la République centrafricaine a signé (en 2018, NDLR) un accord de défense avec la Fédération de Russie et non avec Wagner », a déclaré à l’AFP Fidèle Gouandjika, ministre conseiller spécial du président centrafricain Faustin Archange Touadéra, ajoutant : «la Russie a sous-traité avec Wagner, si la Russie n’est plus d’accord avec Wagner alors elle nous enverra un nouveau contingent».
«L’affaire entre Evgueni Prigojine et Vladimir Poutine ne nous regarde pas, c’est une affaire interne à la Russie», a-t-il poursuivi. En Centrafrique comme sur « d’autres théâtres d’opérations dans le monde», «ils vont peut-être changer de chef, mais les soldats de Wagner continueront d’opérer pour le compte de la Fédération de Russie », a-t-il ajouté.
Des centaines de mercenaires de Wagner avaient débarqué en Centrafrique en 2018, officiellement selon Moscou pour entraîner l’armée, mais surtout parce que le régime de M. Touadéra reprochait à la France, l’ancienne puissance coloniale, de lui tourner progressivement le dos et de soutenir un embargo sur les armes qui empêchait, assurait Bangui, d’armer ses militaires pour combattre une multitude de groupes armés rebelles occupant les deux tiers du territoire depuis le début d’une sanglante guerre civile en 2013.
Fin 2020, le président Touadéra, menacé par une offensive rebelle sur Bangui, avait appelé Moscou à la rescousse et des centaines d’autres mercenaires russes avaient débarqué et permis rapidement de repousser les groupes armés hors de la plupart des territoires qu’ils contrôlaient.
Depuis, l’ONU, les ONG internationales et Paris accusent les Russes, tout comme les rebelles et les soldats centrafricains d’exactions et crimes contre les civils. Ils accusent aussi Wagner d’y être devenu un « groupe prédateur» des maigres ressources, diamant, or et bois, de ce deuxième pays le moins développé au monde selon l’ONU, «bradées» par le régime de M. Touadéra, contre la sécurité, à de multiples sociétés russes liées à Wagner, qui exploitent directement les gisements.
Le Mali silencieux
Tout en continuant de qualifier les paramilitaires de Wagner d’«instructeurs», le chef de la diplomatie russe a également estimé que l’Europe et la France «ont abandonné la Centrafrique et le Mali» qui se sont alors tournés vers Moscou. «Quand ces pays se sont retrouvés face à face avec la menace terroriste, la RCA et le Mali ont demandé à la société Wagner d’assurer la sécurité de leurs dirigeants», a-t-il affirmé. «En plus de ces relations avec l’organisation Wagner, les gouvernements de République centrafricaine et du Mali ont des contacts officiels avec notre gouvernement. À leur demande, plusieurs centaines de militaires travaillent, par exemple en RCA, en qualité d’instructeurs».
Le groupe paramilitaire russe est de plus en plus actif en Afrique, notamment à Bangui, mais aussi à Madagascar, dans le désert libyen, au Soudan et depuis peu au Mali où la junte militaire emploie ces mercenaires et s’est rangée diplomatiquement du côté de la Russie depuis la détérioration de ses relations avec la France, ancienne puissance coloniale. On sait que les mercenaires sont arrivés dans le pays en décembre 2021, à l’appel des autorités maliennes de transition, qui n’ont jamais reconnu qu’une « coopération d’État à État ».
L’ONU a accusé début mai l’armée malienne et des combattants « étrangers » d’avoir exécuté au moins 500 personnes en mars 2022 lors d’une opération anti-djihadiste à Moura. Les Occidentaux, dont les Américains, assurent que ces combattants étrangers sont des membres de Wagner. Contrairement aux autorités centrafricaines, les autorités maliennes de transition n’ont pas commenté les événements de ce week-end.
Washington met en garde les États africains
Dans les chancelleries occidentales, les réactions n’ont pas été immédiates, mais lundi, le département d’État américain a considéré que la rébellion avortée du groupe Wagner en Russie a montré le risque posé par l’organisation de mercenaires dans les États africains qui s’associent avec eux.
«Le message que nous avons transmis à ces pays, en public et en privé par le passé, est qu’à chaque fois que Wagner entre dans un pays, mort et destruction s’ensuivent», a déclaré à des journalistes le porte-parole de la diplomatie américaine Matthew Miller. «Wagner exploite les populations locales, nous les voyons extraire les richesses locales, commettre des violations des droits humains», a-t-il ajouté. «Ce qui s’est passé ce week-end renforce les inquiétudes que nous avons exprimées au sujet de l’instabilité que le groupe Wagner apporte avec lui lorsqu’il entre dans un conflit », a poursuivi Miller.