Alors que l’opposition et l’Eglise catholique sont de plus en plus critiques sur la crédibilité des élections prévues en décembre 2023, Félix-Tshisekedi promet un scrutin «transparent et digne de confiance dans les délais constitutionnels», au risque d’organiser des élections bâclées.
Des élections à marche forcée, c’est la feuille de route que semble s’être fixé le pouvoir congolais à six mois du scrutin, malgré les contestations de l’opposition, la guerre dans l’Est du pays et des moyens financiers débloqués au compte-gouttes. Depuis plusieurs semaines, l’opposition est vent debout après la publication du fichier électoral qu’elle juge «frauduleux, douteux et corrompu». L’enregistrement des électeurs s’est déroulé de manière «chaotique», selon l’opposition, des institutions de la société civile ou l’Eglise catholique, censée déployer des observateurs pour surveiller le scrutin. Dans ce fichier, de sérieux doutes persistent concernant les nombreux doublons enregistrés, les personnes mineures ou décédées.
Certains centres d’enrôlement d’électeurs n’existaient pas. Des kits d’enregistrement et des cartes d’électeurs ont été retrouvés dans les mains de personnes «non-habilitées» par la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Certaines cartes d’électeurs, de mauvaise qualité, s’effacent avec le temps, rendant le vote impossible, mais aussi ouvrant la voie à toutes sortes de fraudes. Un audit indépendant devait être réalisé par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui a fini par jeter l’éponge devant les délais trop courts de la CENI. Ce sont finalement des experts internationaux choisis par la centrale électorale qui ont validé le fichier électoral malgré les protestations de l’opposition.
Un processus électoral «mal engagé»
Deux autres éléments inquiètent les opposants quant à la crédibilité du scrutin de décembre. Il y a tout d’abord la nomination de Denis Kadima, jugé proche de Félix Tshisekedi, à la tête de la CENI. La composition de la centrale électorale est également contestée, car constituée en majorité de membres ayant rejoint l’Union sacrée, la plateforme électorale de Félix Tshisekedi. Il y a ensuite la nomination de nouveaux juges à la Cour constitutionnelle par le chef de l’Etat grâce à un tour de passe-passe dénoncé par les opposants. Les deux institutions-clés pour les élections de décembre semblent donc avoir été «caporalisées» par le pouvoir, selon l’opposant Martin Fayulu, qui redoute un scrutin avec des résultats «fabriqués » par le camp présidentiel.
Dans ce concert de critiques, la très puissante Eglise catholique, par la voix de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), a estimé le 23 juin que le processus électoral était « mal engagé » en RDC. La CENCO a relayé les inquiétudes de l’opposition en regrettant un manque de consensus autour des membres de la Commission électorale, mais également « une absence de contre-expertise crédible » du fichier électoral.
Rétrécissement de l’espace démocratique
L’Eglise catholique, très impliquée dans la vie politique congolaise depuis sa participation à la Conférence nationale souveraine de 1993, joue toujours un rôle de médiateur très influent. Dans son message du 23 juin, la CENCO s’en est pris directement au président Tshisekedi en dénonçant un «recul déplorable » en matière de libertés politiques. Il faut dire que depuis plusieurs mois, les tensions sont de plus en plus nombreuses à l’approche des élections : « répression violente des manifestations de l’opposition, restriction de la liberté de mouvement des opposants, tentatives de projets de lois discriminatoires, instrumentalisation de la justice et arrestations arbitraires». Ce rétrécissement de l’espace démocratique inquiète particulièrement l’Eglise catholique. Le bras droit de l’opposant Moïse Katumbi, Salomon Kalonda, a été emprisonné, tout comme Franck Diongo, accusé, comme le conseiller de l’ex-gouverneur du Katanga, «d’atteinte à la sûreté de l’Etat».
Autre source de préoccupation de la CENCO : la brigade spéciale de l’UDPS, le parti présidentiel, qui «opère comme une milice, et qui collabore parfois avec la police pour traquer les adversaires politiques».
Un «glissement » plus d’actualité
Face à la violente charge de l’Eglise catholique, Félix Tshisekedi est également monté au créneau lors de son déplacement à Mbuji-Mayi du 25 juin. Le chef de l’Etat a dénoncé « une certaine dérive» de l’Eglise qu’il a appelé à «rester au milieu du village et des Congolais». Il s’est aussi montré particulièrement menaçant à l’égard « de tout Congolais qui mettrait en danger la sécurité et la stabilité du pays ».
Dans ce climat délétère, le président congolais a tout intérêt à accélérer l’organisation des élections et à tenir les délais. Même si l’idée d’un report du scrutin avait, un temps, été envisagé au sommet de l’Etat pour des raisons sécuritaires et financières, le «glissement» du calendrier qui permettrait à Félix Tshisekedi de rallonger son mandat, n’est plus vraiment d’actualité. La stratégie présidentielle est maintenant d’aller au plus vite aux élections et de profiter du gel du conflit à l’Est pour tourner la page et s’engager dans le second mandat.
Prendre l’opposition de court
Alors, pour accélérer le mouvement et apaiser les tensions avec l’opposition, la CENI a été sollicitée pour organiser une rencontre avec les principaux opposants afin «d’échanger autour du processus électoral». Martin Fayulu, un représentant de Moïse Katumbi, Matata Ponyo, Delly Sesanga se sont réunis le 30 juin aux côtés de Denis Kadima. Le patron de la centrale électorale a lâché un peu de lest en s’accordant sur l’affichage des noms des électeurs dans chaque bureau de vote. Une disposition qui a satisfait l’opposition. Concernant l’audit du fichier électoral par un nouveau cabinet indépendant, la CENI a décidé de présenter l’idée à la plénière. Mais sur ce point, cette proposition a peu de chances d’être retenue. Avec cette rencontre entre la CENI et l’opposition, la tension semble être retombée d’un cran, mais les opposants ne désarment pas. Martin Fayulu, qui paraît avoir abandonné sa stratégie de boycott, continue de mettre la pression sur Commission électorale pour décrédibiliser un scrutin qu’il juge «frauduleux». Mais il faudra que la pression soit forte pour faire bouger les lignes.
A six mois du scrutin, Félix Tshisekedi a tout intérêt à prendre l’opposition de court, en lui laissant le moins de temps possible pour nouer des alliances, en organisant les élections le jour prévu : le 20 décembre 2023.
Avec Afrikarabia