Entre le régime Tshisekedi et l’Eglise catholique au Congo, c’est la guerre froide. C’est depuis la ville de Mbuji-Mayi que le Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi, a tiré à bout portant sur l’Eglise catholique, dénonçant une « certaine dérive» d’une catégorie d’évêques qui ont choisi de rouler, selon lui, pour un camp politique. Présenté dans l’opinion comme proche de Moïse Katumbi Chapwe, Mgr Fulgence Muteba Mugalu, archevêque de Lubumbashi (Haut-Katanga) pense que le régime UDPS se trompe de cible en présentant l’Eglise catholique comme son pire ennemi. Toujours très direct, et dans un contexte de relations tendues entre le pouvoir congolais et l’Église catholique, Mgr Fulgence Muteba Mugalu, accuse plutôt l’exécutif d’être «dans une recherche paranoïaque de boucs émissaires ». Entretien avec Jeune Afrique.
Entre le Président Félix Tshisekedi et l’Église catholique, les relations sont décidément compliquées. Avant que, de passage à Mbuji-Mayi le 25 juin, le Chef de l’État ne dénonce «une certaine dérive» des religieux, les appelant «à rester au milieu du village et des Congolais», l’archevêque de Lubumbashi dénonçait «la rare gloutonnerie» des élites congolaises. Dans cette interview du 20 juin 2023 avec Jeune Afrique, Mgr Fulgence Muteba Mugalu insiste : l’Église «n’est ni un partenaire de l’opposition ni un ennemi du régime». En revanche, le président congolais lui paraît bien mal entouré. L’archevêque de Lubumbashi a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Le 11 juin, lors d’une messe à Lubumbashi et devant des milliers de fidèles, vous avez dénoncé la «rare gloutonnerie d’une élite au pouvoir». Qui visiez-vous ?
Il est de notoriété publique que les immenses richesses naturelles de notre pays ne profitent pas à la population congolaise, pas plus que les recettes douanières. Des multinationales et une oligarchie politique les ont accaparées avec une rapacité scandaleuse. J’en veux pour preuve le fait que le personnel politique de ce pays s’est enrichi de manière rapide et que cela ne peut pas s’expliquer par leurs seuls salaires. Prenez le cas du Katanga. Son sous-sol regorge de richesses, mais sa population est pauvre. Prenez Kolwezi, dans le Lualaba : c’est la capitale mondiale du cobalt, et c’est l’exemple même du déséquilibre entre les profits engrangés par les investisseurs et les bénéfices qu’en retire la population locale. En Ituri et dans les Kivu, l’or et le coltan ne contribuent pas davantage au développement local. La corruption fait des ravages, il y a des détournements massifs, de la mauvaise gouvernance, les deniers publics sont dilapidés !
La situation sécuritaire dans le Grand Katanga est préoccupante. Le président Félix Tshisekedi a affirmé que les violences avaient été manipulées dans le but de fragiliser son pouvoir. Qu’en pensez-vous ?
La situation est effectivement précaire et peut se détériorer davantage encore à tout moment. Vous avez les milices Maï-Maï indépendantiste, dites « Bakata Katanga », les milices pygmées dans une partie du Tanganyika, des incursions de groupes armés venus du sud du Maniema, sans compter l’insécurité dans les villes, où les vols, les viols et les tueries ont atteint des proportions alarmantes – c’est notamment le cas à Lubumbashi. Il y a aussi ces jeunes de certains partis politiques qui se comportent comme des miliciens ! Et, en dépit de leur bonne volonté, les services de sécurité sont dépassés.
Que tout cela soit le fruit de la manipulation et que l’objectif soit d’intimider les populations des villes pour des raisons politiques, on peut bien le penser. Et pour comprendre ce qui se passe, il faudrait déjà cesser d’envoyer à Kinshasa les malfrats arrêtés à Lubumbashi, puisqu’ils en reviennent systématiquement libres.
Comment ramener la paix dans l’Est ? Faut-il négocier avec le M23 ?
L’histoire de ce pays nous enseigne que les conflits de ce genre finissent généralement autour d’une table. Les Congolais ont cette capacité extraordinaire à se regarder droit dans les yeux, à se parler et à se réconcilier après s’être tiré dessus. C’est ce qui s’est passé à l’issue du dialogue de Sun City, en Afrique du Sud [en 2003]. La réconciliation et le compromis valent plus que l’épreuve de force qui, in fine, s’avère toujours inutilement coûteuse.
Que répondez-vous à l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, au pouvoir) quand elle accuse l’Église catholique de prendre fait et cause pour l’opposition ?
L’Église ne se range derrière personne. Elle ne fait que défendre le bien commun, les valeurs évangéliques, la justice, le droit, les principes démocratiques et, surtout, la dignité inaliénable de la personne humaine. Nous ne faisons pas de politique, mais tenons à l’éthique de la politique pour le bien de notre pays et de ses habitants les plus vulnérables. La Cenco [Conférence épiscopale nationale du Congo] n’est ni un partenaire de l’opposition ni un ennemi du régime. Elle propose, mais ne s’impose pas, même si l’autorité morale dont elle jouit justifie qu’on l’écoute et qu’on la respecte.
Ce que le pouvoir vous reproche, c’est le fait d’être «dans un coin du village» plutôt qu’en son milieu…
Je le répète : les évêques congolais ne sont pas les adversaires du pouvoir. Les vrais ennemis de ce régime, ce sont la corruption, la mauvaise gouvernance, la pauvreté, la vie chère, la faiblesse de l’économie nationale, le difficile accès de la population à l’éducation et aux soins et, il faut le dire, un certain amateurisme dans la gestion de la chose publique. Les accusations de l’UDPS sont donc sans fondement. Elles sont le fruit d’une recherche paranoïaque de boucs émissaires destinée à masquer les faiblesses de notre classe dirigeante.
Soutenez-vous le processus électoral en cours ?
Bien sûr que nous le soutenons, mais nous ne ménagerons aucun effort pour relever ses éventuelles faiblesses et pour faire des propositions idoines. Je dois avouer que la commission électorale ne nous paraît pas toujours réceptive.
Quelles sont les lignes rouges à ne pas franchir ?
Il y a le refus de mener un véritable audit du fichier électoral, l’absence d’une concertation entre les parties prenantes au processus électoral, le manque de consensus sur les listes des électeurs et la cartographie des bureaux de vote, le refus du déploiement de nos observateurs et des témoins des candidats… Si le pouvoir continue de faire la sourde oreille et s’il s’obstine à faire du forcing, nous nous sentirons obligés de nous prononcer solennellement sur la crédibilité du processus en cours.
Pourquoi l’Église est-elle contre la proposition de loi Tshiani, qui vise à réserver certaines fonctions aux Congolais nés de père et de mère congolais ?
Parce qu’elle est très dangereuse. Elle consacre l’exclusion injuste d’une frange de la population, elle menace la cohésion nationale et porte en elle les germes de conflits futurs.
Vous aviez été à l’origine du forum de réconciliation des leaders katangais, en mai 2022, lequel s’était soldé par une poignée de main entre l’ancien président Joseph Kabila et Moïse Katumbi, qui passait pour être son ennemi juré… Avec le recul, diriez-vous que cela a été un succès ?
Réconcilier les gens que tout oppose est une entreprise titanesque. Il aura fallu neuf mois de dur labeur, de prières, de prises de contact et de discussions pour parvenir à ce forum et à cette poignée de main. Cela restera pour moi une page mémorable de l’histoire de mon ministère et, oui, je crois que cette réconciliation a été sincère.
En avril dernier, Christian Mwando, un proche de Moïse Katumbi, qui était à l’époque ministre, a dit : «Au Katanga, les jeunes m’ont appelé, me disant que si Katumbi n’[était] pas candidat, ils utili-ser[aie]nt le ciseau au Katanga ». Ce type de menace sécessionniste n’est-il pas dangereux ?
Assurément, ses propos ont été déformés et mal interprétés. Ce qu’il voulait dire, j’en suis convaincu, c’est que les Congolais n’accepteront pas qu’un candidat soit exclu de la course à la présidence. Il s’agissait d’une mise en garde politique, pas d’une annonce de sécession.
Quel bilan faites-vous du premier quinquennat de Félix Tshisekedi ?
Je suis conscient que sa tâche est ardue et je ne suis pas en position de lui faire la leçon. Il fait ce qu’il peut, mais je regrette que les gens qu’il a associés à son pouvoir n’aient pas pris la mesure des enjeux congolais, comme lui l’a fait dans le sillage de son défunt père [l’opposant historique Étienne Tshisekedi]. Dans son entourage, beaucoup ont adopté des anti-valeurs et, d’une certaine manière, c’est lui qui en paye le prix.
Pour entrer dans l’histoire du Congo, il doit jouer un jeu démocratique franc et sincère, respectueux des principes fondamentaux de l’État de droit, et organiser des élections libres, crédibles, transparentes et inclusives. Il a tout intérêt à se libérer de ces lobbies de pasteurs et des charlatans assoiffés d’argent qui l’entourent, des courtisans de son ethnie et des fanatiques de l’UDPS qui, jusque-là, n’ont fait que ternir son image.
Avec Jeune Afrique