Le 30 juin 2023, la République Démocratique du Congo (RDC) a totalisé 63 ans d’indépendance. A l’occasion, le pays a célébré son accession à la souveraineté nationale et internationale dans la méditation, ce qui est normal par ces temps de basse conjoncture et de guerre d’agression dans l’Est du pays. Deux faits à relever, cependant, pour cette journée : un culte religieux organisé par les églises pentecôtistes de Kinshasa avec le Chef de l’Etat dans un stade des Martyrs désespérément vide, et le discours à la Nation du Président de la République.
Dans son discours, Félix Tshisekedi a reconnu la difficile situation socioéconomique à laquelle sont confrontés ses compatriotes. «Laissez-moi vous dire que j’ai pleinement conscience de votre perplexité au regard de la baisse du pouvoir d’achat, surtout celui des plus démunis, dont les conséquences bien que prévisibles sur le panier de la ménagère, se veulent pour certains difficilement surmontables», a déclaré le président de la République. Avant d’ajouter : «Les performances enregistrées au niveau des recettes intérieures grâce à une évolution favorable des prix de produits de base et à la numérisation du processus de recouvrement n’ont pas été suffisamment ressenties à cause du contexte économique mondial et de la situation sécuritaire à l’Est de notre pays».
Et d’expliquer que cette situation est due d’abord à des causes exogènes, c’est-à-dire l’enlisement de la guerre en Ukraine qui a occasionné la hausse des prix mondiaux des commodités, des matières premières, de l’énergie et des produits de première nécessité. Ce qui, selon le chef de l’Etat congolais, a entraîné « des pressions inflationnistes dans le pays et même au sein des économies les plus robustes du monde ».
Economie de cueillette
M. Tshisekedi a également épinglé la guerre à l’Est du pays, qui a provoqué une augmentation significative du volume des dépenses exceptionnelles dans le domaine de la sécurité «en vue de garantir notre intégrité territoriale». Pour autant, il s’est voulu rassurant pour l’avenir : «Cependant les perspectives à court et moyen terme demeurent favorables et stables. En effet, les prévisions du Fond Monétaire International pour 2023 sont de l’ordre de 8%, de 7,2% pour 2024 et de 7,5% pour 2025. C’est ainsi que je voudrais vous rassurer que l’amélioration des conditions de vie de mes concitoyens demeure au cœur de mes priorités quotidiennes».
A l’analyse, les 63 ans d’indépendance de la RDC ont été un vrai gâchis sur le plan économique – et on se demande bien dans quels autres secteurs de la vie nationale cette indépendance a été un succès, outre la musique et le football. Les dirigeants successifs du pays se sont essentiellement contentés de gouverner en expédiant simplement les affaires courantes, sans faire preuve de la moindre vision sur l’enjeu du développement d’un pays pourtant exceptionnellement doté en richesses naturelles. En 63 ans d’indépendance, l’économie en est à la cueillette : exploiter les produits miniers pour les exporter à l’état brut, pendant que l’agriculture commerciale léguée par le colonisateur a totalement disparu, et que les paysans sont retournés à pas de géant vers le néolithique.
Résultat des courses : un budget qui n’atteint même pas 15% de fiscalisation de l’économie, et des officiels gouvernementaux qui s’en vont se couvrir de ridicule en plein jour pour quémander du maïs auprès des fermiers privés de Zambie et d’Afrique du Sud afin de palier une famine qui prenait corps dans plusieurs provinces.
Un indicateur permet de démontrer clairement comment les dirigeants successifs du Congo n’ont pas été à la mesure des enjeux du développement de leur pays : le PIB par habitant, exprimé en dollars constants afin d’éliminer les variations de prix et de rendre compte uniquement des variations du niveau de production d’une année à l’autre.
Evolution en dents de scie
En effet, la RDC accède à son indépendance avec un PIB par habitant de 376,1 dollars américains. De 1960 jusqu’aujourd’hui, on ne remarque pas un mouvement régulier de variation positive qui serait la conséquence des politiques volontaristes de progrès destinées à augmenter la richesse nationale. Bien au contraire : on enregistre une évolution en dents de scie, un itinéraire en zigzag qui décontenance les observateurs avisés des questions économiques. A peine l’indépendance acquise, les troubles politiques éclatent, et dès 1961, le taux de croissance chute à -10,9%, et le PIB par habitant avec, qui baisse à 219,9 USD.
Cette évolution en forme de sauts de mouton continue ainsi son bonhomme de chemin à ce jour, et donne à la RDC un PIB par habitant de seulement 586,5 dollars américains. Donc, en 63 ans d’indépendance, ce pays dirigé par ses fils authentiques, n’a même pas été capable de doubler la richesse de son peuple, se limitant à une ridicule augmentation de seulement 62% ! Plus grave, on est loin du pic de 614 USD de 1986, lorsque Mpinga Kasenda était Premier ministre sous le règne de Mobutu.
Pendant ce temps, certains pays, qui ont eu des leaders éclairés et compétents, ont réalisé des bonds de géant. L’exemple du Botswana, un pays d’Afrique australe aux deux tiers désertique. En 1960, ce pays fait partie des plus pauvres du monde, et sa seule richesse est constituée de viande bovine. Sa capitale, Gaborone, n’est qu’un village qui ne compte que cinq écoles primaires. Le Botswana accède à l’indépendance en 1966 avec un PIB par habitant de 90 USD. Mais tout change avec la découverte du diamant en 1971. Cette richesse n’engendre ni conflit ni corruption, elle va plutôt faire le bonheur de son peuple. Tenu par des mains expertes, consciencieuses et formées, le pays ne connaîtra jamais ni dictature ni coups d’état et encore moins de rébellions.
Ses dirigeants successifs – les présidents Seretse Khama; Ketumile Masire, qui avait officié le dialogue intercongolais de Sun City; Festus Mogae ; Ian Khama et l’actuel Mokgweetsi Masisi – gouvernent avec une remarquable transparence – le pays est le moins corrompu d’Afrique – et mettent en place une rigoureuse et efficace politique de planification du développement, avec la mise en place de neuf National Development Plans (NDP) successifs depuis l’indépendance. Plus que de simples listes d’objectifs budgétaires gouvernementaux, il s’agit de cadres de coopération avec le secteur privé et les ONG.
Les bonnes questions
Par la suite, le Botswana a conclu un partenariat avec la multinationale sud-africaine De Beers qui lui permet de faire la taille de diamant sur place dans le pays – partenariat qui procure 85 % des revenus du diamant au gouvernement et 15 % au conglomérat De Beers. Au final, à ce jour, le Botswana affiche un PIB par habitant de 6.657 USD. Ce qui veut dit qu’en 56 ans d’indépendance, ce pays a multiplié sa richesse par 74, alors que la RDC s’avère incapable de doubler simplement la sienne !
Tout bien considéré, la RDC – et globalement, l’Afrique entière – doit se poser les bonnes questions pour son développement. Comment, en effet, espérer se développer et offrir ainsi le bonheur à son peuple, lorsqu’on continue d’exporter les produits miniers bruts ? Pourquoi il est si difficile, dans un pays aux richesses minières immenses comme la RDC, de bâtir une industrie lourde faite d’aciéries et métallurgies comme la Corée du Sud l’a si bien fait ? Pourquoi un simple état des Etats Unis, le Nevada, avec ses 3 millions d’habitants, certes riche en cuivre et or, mais reposant essentiellement sur son industrie manufacturière et, surtout, sur des services liés au tourisme, parvient à produire 216 milliards de PIB, soit 68.676 de PIB par habitant, pendant que les 100 millions de congolais, avec un sol rempli de cuivre, diamant, or, coltan, cobalt, pétrole, fer, ne sont capables d’afficher qu’un PIB d’à peine 69 milliards de dollars US, pour un PIB par habitant de seulement 586 USD ?
Les dirigeants congolais doivent se poser ces questions et, mieux, y trouver des réponses afin de donner un avenir de développement à leur pays. Après 63 ans de gâchis, il est temps de voir et de penser grand pour le pays.
BELHAR MBUYI (finance-cd.com)