C’est en principe le 19 août 2023 que Jean-Marc Châtaigner, le désormais ex-tout puissant chef de la Délégation de l’Union européenne en République Démocratique du Congo (RDC), arrivé fin mandat, a quitté définitivement ses fonctions en RDC. L’ambassadeur de l’UE, très controversé, a tout au long de son mandat créé un climat de suspicion entre non seulement l’UE et le gouvernement, mais aussi entre l’UE et le monde congolais des affaires. Le 13 août 2023, moins d’une semaine avant de faire ses bagages, le diplomate s’est lancé, sur son compte twitter, dans une autosatisfaction de ses quatre ans d’intervention, particulièrement dans le domaine de l’environnement. Ce qui est loin des informations recoupées par Econews qui font état d’un manque de transparence dans les opérations engagées par la Délégation de l’UE en RDC dans le secteur de l’Environnement. Des fonds importants injectés dans diverses officines sont difficilement retraçables. Dans les milieux spécialisés, on invite Bruxelles à diligenter une enquête sur l’utilisation des fonds du 11ème FED (Fonds européen de développe- ment) gérés par Jean-Marc Châtaigner. Le diplomate français a certes quitté Kinshasa, trop de zones d’ombre dans les comptes de la Délégation de l’UE. Décryptage.
C’est dans une série de Tweets que Jean-Marc Châtaigner diffuse ces derniers temps. On y voit un air de justifications plutôt que de bilan de son mandat. Il parle des actes posés durant son mandat dans différents domaines. On peut y voir de belles œuvres qui contrastent malheureusement avec son attitude très peu constructive avec la RDC.
En politique intérieure, sa dernière sortie médiatique, sans passer par des canaux diplomatiques, contre Justin Bitakwira, lui a valu une ré- plique en règle de Mme la ministre d’Etat en charge de la Justice. Dans sa lettre, Mme la ministre d’Etat l’a recadré, lui rappelant l’Abc de la Convention de Vienne.
«Votre courrier n°ARES (2023) 4989093 du 17 juillet 2023, m’adressé au sujet de l’objet repris en marge m’est parvenu. Y réagissant, je suis indignée de relever que ce courrier au contenu désobligeant et aux allures d’ingérence, circulait déjà sur les réseaux sociaux avant même d’être réceptionné pas mes services; ce qui laisse croire à sa confection ailleurs que dans vos bureaux », lui rappe- lait Mme la ministre d’Etat. Et d’ajouter : «Après lecture, je suis choquée de constater que vous vous ex- primez en défenseur de la communauté Tutsi/Banyamulenge qui serait victime d’un discours de haine, alors que vos condamnations sont généralement inexistantes, voire trop faibles, sur les tueries des milliers de Congolais par l’armée rwandaise et ses supplétifs du M23».
Avant de l’envoyer dans les cordes : «Par la présente, je réaffirme mon engagement de lutter contre toute forme de stigmatisation en RDC et vous in- vite à l’observance de votre devoir de réserve et à se référer, à toutes fins, au Vice-Premier, ministre des Affaires étrangères et Francophonie».
UN ACTIVISME TRÈS INTÉRESSÉ
Mais, c’est surtout dans le secteur de l’environnement que Jean-Marc Châtaigner s’est particulièrement distingué, faisant d’une maladresse sans pareil, au point de se substituer au gestionnaire attitré de l’ICCN (Institut congolais pour la conservation de la nature). Profitant des actions de l’UE – retraçables seulement aux Virunga – le diplomate européen est allé jusqu’à dicter la ligne d’action de l’ICCN. Durant les quatre années de son mandat, il a imposé une logique selon laquelle tout pro- jet touchant de près ou de loin à l’environnement ne pouvait être validé qu’après son avis favorable.
Tout en prenant des positions fortes contre les agresseurs du Parc de Virunga et surtout contre le M23 qui avaient bombardés le barrage LUVIRO I, en construction dans le Parc national sur financement de l’UE, il ne s’est pas gêné de défendre publiquement dans ses tweets des personnes aux comportements douteux tel le Britannique Robert Muir (ancien directeur de Forgotten Parks Foundation) qui est parti sur la pointe des pieds de la RDC on ne sait pour- quoi, après avoir semé le chaos entre le Parc national de l’Upemba et celui de Kundelundu, dans la province du Haut-Katagnga.
Avec Jean-Marc Châtaigner, l’UE a cru avoir conquis le secteur de l’environnement. Ainsi, on l’a vu monter sur ses grands chevaux pour combattre et vilipender tout projet qui s’écartait de sa logique qui n’était forcément en phase avec Bruxelles.
S’il y a un projet, initié et développé par un opérateur économique, qui a été autant combattu par l’ambassadeur Châtaigner, c’est bel et bien le projet de construction de la centrale hydroélectrique de Sombwe dans le territoire de Mitwaba (province du Haut-Katanga).
Œuvre d’un Congo- lais, Jean-Marc Châtaigner avait juré de tout mettre en œuvre pour que ce projet ne voit jamais le jour. Aussi, a-t-il mobilisé les ONG, tant locales qu’internationale, pour combattre ce projet, déployant une grande machine de désinformation contre son pro- moteur, si bien que l’ONG britannique Global Witness ne s’est pas gênée dans un de ses rapports de faire état «des sources fuitées de l’UE …» pour justifier sa prise de position.
Heureusement, le gouvernement national n’a pas accordé une oreille attentive à ses cris qui sen- tait une personnalisation d’un fait objectif et la haine teintée d’un fort relent de néocolonialisme. Ainsi, au bout du compte, le Gouvernement, par l’entremise de Mme Eve Bazaïba, ministre d’Etat en charge de l’Environnement et Développe- ment durable, a porté tout son soutien au projet Sombwe.
L’UE finance beau- coup de projets, dont énergétiques dans le Parc national des Virunga. C’est un secret de polichinelle. Il ne faut pas se le cacher. Les projets sont bien répertoriés au ministère de l’Environnement ainsi que celui de l’Electricité et ressources hydrauliques.
Lors d’une attaque des installations de la Cen- trale Luviro I par les re- belles M23, le même ambassadeur a remué ciel et terre pour condamner l’action du M23 dans un site classé patrimoine mondial par l’Unesco. Il est donc curieux que l’UE finance un projet énergétique dans le Parc national des Virunga et son représentant en RDC mobilise, en même temps, une machine de désinformation contre un projet énergétique développé à la lisière du Parc de l’Upemba, dans la province du Haut-Katanga. Il aurait été plus judicieux de faire alliance avec lui au lieu de le combattre. On apprend que le promoteur avait tendu la main aux Européens qui n’avaient pas trouvé de l’intérêt à s’associer à un Congolais.
AUTO-SATISFACTION
Le mandat de Jean- Marc Châtaigner a été le pire d’un diplomate européen à sa représentation de la RDC. C’est un mandat jalonné de conflits d’intérêt et d’immixtion in- sensée en contre-sens des règles élémentaires de la diplomatie.
Curieusement, sur son compte twitter, l’ambassadeur Châtaigner a pris le temps de se couvrir d’éloges pour ce qu’il pense avoir entrepris dans le secteur congolais de l’environnement.
Il les résume en ces termes, dans une série de tweets datés de 13 août 2023 : «Au moment où je vais quitter la RDC, je partage ces fabuleuses photos de parcs, réserves et domaines de l’ICCN visités ces quatre dernières années : Virunga, Garamba, Bili- Uere, Upemba, Parc des Mangroves, Bombo-Lumene. Une biodiversité unique, un patrimoine environnemental exceptionnel. Certains de ces parcs sont soutenus depuis maintenant plus de 40 ans par l’UE en RDC. De nombreuses menaces pèsent sur eux : braconnage, orpaillage, usages illicites et trafics, déforestation. Je salue ici l’extraordinaire travail de protection réalisé par les éco-gardes de l’ICCN. Dépassant l’approche traditionnelle de conservation, nos programmes de l’UE en RDC ont évolué vers un soutien plus intégré au développement durable pour les populations (avec des projets en énergie, agriculture…). On ne peut pas protéger l’environnement sans un fort consensus local. De nombreux défis demeurent. Mais je suis convaincu que les parcs de l’ICCN sont un atout majeur pour l’émergence de la RDC à travers le renforcement des capa- cités, un développement économique et social local (bénéficiant notamment du tourisme) et la diversification agricole. L’Union européenne en RDC et ses États membres poursuivront dans les prochaines années leur appui au Gouverne- ment de la RDC et à l’ICCN pour atteindre les objectifs nationaux de développe- ment durable, lutte contre le changement climatique et sécurité humaine».
Le diplomate européen peut beau se féliciter de l’apport de l’UE dans le secteur de l’environnement, mais il ne rendra jamais publics les audits des comptes de l’utilisation réelle des fonds mis à sa disposition dans le cadre du 11ème FED (Fonds européen de développement).
DES TROUS NOIRS DANS LES COMPTES
A titre d’exemple, le budget alloué à l’environnement par le COFED, Cellule d’appui à l’ordonnateur national du FED en RDC, de- puis 2018 est le troisième en ordre d’importance et de décaissement, soit 19%, suivi des infrastructures (32%) et de la santé (26%).
Le COFED a particulièrement été le principal sponsor de Forgotten Park Foundation de Robert Muir, sur recommandation de l’ambassadeur Châtaignier. Ainsi, rien que pour le Parc de l’Upemba, l’UE a débloqué 2.440.935,77 euros pour l’année 2021, selon un document interne de COFED, en appui à l’établissement d’une base solide pour la gestion, la conservation et le développement du «Complexe Upemba-Kundelungu», et ce, en application de la POG-PUK (Politique opérationnelle de gestion du parc Upemba- Kundelungu). Le bémol est que ce complexe n’existe pas légalement. Alors question : pourquoi financer un complexe qui n’est pas reconnu par l’Etat ? L’argent du contribuable européen est allé dans une structure fantôme.
C’est donc dans le cdre du projet d’appui à la relance des activités de conservation et valorisation de Upemba que ces fonds ont été remis à l’équipe des nouveaux gestionnaires du parc, «à travers l’ICCN»; qui n’est qu’un paravent dans l’opération, fort du contrat qui le liait à Forgotten Parc.
Cet argent n’a jamais été justifié par les gestionnaires de l’Upemba. Face à la pression des audits, M. Robert Muir avait monté de toutes pièces un dossier judiciaire où il accusait ses partenaires de la Coopération allemande de détournement et de tentative d’atteinte à sa vie ainsi qu’à son comparse Rodrigue Katembo, suivant un dossier judiciaire ouvert à l’auditorat de Garnison de Kipushi sous le numéro RMP 2023/ NGS/020.
Pourtant, toujours selon des sources recoupées au sein de la Société civile, les bénéficiaires ont été identifiés dans les soubassements des adjudications, comme les contrats de Forgotten Parc avec ICCN ou Alliance Virunga ou African Park avec Garamba, etc. Bien plus, les modes d’attribution ne respectent pas toujours les standards ou politiques opérationnelles de l’UE. Dans les rapports, seul l’ICCN apparaît, sans référence à Forgotten Park, alors qu’il en est le vrai bénéficiaire. Toutes les ONG ou autres structures qui ont ou ayant tenté de dénoncer ces faits ont été traquées de toutes parts. C’est le cas de l’ONG «Action Restauration du Parc Upemba» et l’ONG «Association de la Libération de la population autour du Parc Upemba» qui ont rendu un rapport dans lequel elles dénonçaient les pratiques maffieuses de Rodrigue Katembo et Robert Muir dans le Haut-Katanga. Il y a aussi l’ONG «Kanyundu» du père bénédictin Louis Arden OFM d’heureuse mémoire.
En réalité, l’ex-ambassadeur de l’UE en RDC laisse des cadavres dans le placard, au regard de l’opacité qui a entouré la gestion des fonds mis à disposition pour des actions dans le secteur congolais de l’environne- ment. Sur ce point, le silence est total. Il n’en parle jamais, conscient de graves dysfonctionnements qu’il a occasionnés durant son mandat.
Depuis Bruxelles, la Commission européenne ferait mieux de lancer une enquête sur ce sujet, au nom des contribuables européens.
L’Union européenne a fait de la transparence un mot d’ordre. C’est le moment de le prouver après quatre ans de passage controversé de Jean-Marc Châtaigner en RDC. Vivement un audit sur les années Jean-Marc Châtaigner en RDC !
Econews