La Commission chargée d’examiner la thématique «Levée de l’état de siège» telle qu’orientée par le secrétariat exécutif de ces assises, s’est réuni dans la salle des spectacles du palais du Peuple. Cette Commission a bénéficié de la facilitation d’un expert du bureau du secrétariat exécutif de la Table ronde, Monsieur André Lobo Kwete. La Commission a, d’abord, procédé à la mise en place de son Bureau composé de : 1. Honorable Bandenonga Akukpa Fabrice, Président; 2. Monsieur Placide Nzilamba, Modérateur adjoint; 3. Honorable Prince Kihangi Kyamwami, Rapporteur principal; 4. Madame Joella Neema Sambo, Rapporteur adjointe.
Quant à la documenta-tion, la Commission s’est servi des documents ci-après : Termes de référence de la table ronde; Constitution de la République Démocratique du Congo; – Deux Ordonnances Loi portant respectivement proclamation et mesures d’application de l’Etat de siège.
La méthodologie a principalement consisté en l’examen et l’amendement de : La persistance des conflits armés à l’Est de la République Démocratique du Congo; L’argumentaire en faveur de la levée de l’Etat de siège; Recommandations formulées par le Comité chargé des travaux préparatoires.
De la conclusion Les travaux de la commission se sont déroulés dans un climat de sérénité. Après débat et délibération, le rapport a été soumis au vote. Les résultats du vote se résument en la levée de l’Etat de siège et au retour à la gestion traditionnelle en respectant l’ordre constitutionnel. Nombre de votants/participants : 196 Voix valablement exprimées : 196 dont – 195 : OUI; 1 abstention; 0 : Non.
Honorable Bandenonga Akukpa Fabrice, Président de la Commission
Le groupe thématique a commencé par rappeler les causes principales des conflits armés persistant dans la partie orientale de notre pays, la République Démocratique du Congo.
Il s’agit notamment de :
- La problématique d’identité et de la nationalité;
- La problématique des conflits fonciers, de la recherche effrénée et de l’occupation des terres;
- La problématique du leadership et de la recherche du pouvoir coutumier et étatique;
- La problématique de la recherche de l’hégémonie économique locale et régionale;
- La problématique du contrôle des réseaux de pillages et d’exploitation illégale des ressources naturelles;
- La problématique du déficit de la maîtrise des instruments et de la faillite de l’Etat en matière de respect de l’autorité, de la maitrise et de la gestion des flux migratoires notamment des réfugiés des pays voisins non encadrés. C’est le cas de l’entrée massive des hutu rwandais en 1994 et des ADF/ougandais, Somaliens, Tanzaniens, Kenyans voire des Asiatiques dans la province du Nord-Kivu et de divers groupes devenus des déplacés internes;
- L’inefficacité structurelle des forces de défense et de sécurité à assurer leur mission régalienne.
La Commission estime que ces éléments pourront faire l’objet d’échanges après avoir amendé et validé les travaux de la commission préparatoire de la Table ronde.
A. Argumentaire
Au regard de la complexité des causes, le groupe thématique a estimé que la mesure de l’Etat de siège ne pourrait constituer une réponse adéquate capable d’éradiquer les causes des conflits armés persistantes citées ci-haut. Il conviendrait, par conséquent, de chercher des solutions structurelles et plus efficaces en vue d’éradiquer ces phénomènes.
Le groupe thématique a ainsi décliné le tableau argumentaire détaillé de l’impératif de la levée de l’Etat de siège :
- L’impératif du respect de la Constitution en ses articles 85 al 1 et 144 al 4 qui fixe le caractère exceptionnel et temporaire du régime de l’état de siège qui, d’après ces prescrits, doit demeurer le plus court possible, assorti d’un caractère chirurgical. Ainsi, la prorogation de cette mesure, effectuée plus de cinquante fois, frise l’abus et le détournement de l’esprit et de la lettre de la Constitution;
- L’impopularité de la mesure de l’Etat de siège a créé un fossé entre les gouvernants et les gouvernés;
- L’inefficacité opérationnelle, en termes des résultats après plus de deux ans de l’état de siège, provoque au contraire l’amplification de l’insécurité. Alors que le pays était engagé dans un conflit asymétrique interne, l’état de siège n’a pas empêché l’internationalisation du conflit et sa transformation en conflit interétatique d’agression et d’occupation du territoire par une Armée étrangère à travers ses supplétifs du Mouvement terroriste M23, la relativité des résultats engrangés par la mutualisation des forces, l’hypermilitarisation inefficace avec la présence des armées étrangères et la multiplication du nombre des groupes armés;
- L’extension des zones des conflits en Ituri et dans des territoires du Nord-Kivu, mais également vers les provinces du Haut-Uélé et de la Tshopo, pourtant non atteintes avant l’état de siège;
- L’accroissement de la confusion dans la chaîne de commandement des opérations rendant inopérant l’Etat de siège : avec l’enchevêtrement de plusieurs instances de commandement (zones de défense, régions militaires, gouverneurs militaires des provinces, commandement des forces mutualisées, des forces régionales EAC, SADC, mécanismes de vérification);
- Le dévoiement et la polarisation des autorités de l’Etat de siège sur des questions de gestion administrative et financière de routine civile au détriment des priorités sécuritaires et des objectifs opérationnels;
- L’inefficacité opérationnelle à la base de l’enlisement des opérations, risquant ainsi de provoquer des mécontentements populaires;
- La dégradation de la situation sécuritaire depuis l’instauration de l’Etat de siège;
- La dégradation des relations civilo-militaire rendant hypothétique le succès de l’Etat de siège; faute d’adhésion et d’appui populaires;
- Les violations multiples des droits humains rendant impopulaire l’Etat de siège, notamment par l’accroissement des tueries, des arrestations arbitraires et la détention illicite des défenseurs des droits humains, des incendies des maisons et des véhicules, les pillages des biens et marchandises des populations, la restriction à la liberté de la presse, celle de réunion spécialement dans le contexte électoral actuel ainsi que l’absence de protection des personnes vulnérables.
- La justice militaire instituée pendant l’Etat de siège est expéditive contre les populations civiles. Elle n’a fait qu’amplifier le sentiment du rejet parmi les populations qui la considèrent comme un système autocratique mis en place pour les réprimer. Cette situation favorise la surpopulation des milieux carcéraux;
- L’immixtion des autorités militaires dans l’administration judiciaire et foncière;
- L’affairisme à outrance constaté dans le chef de certains officiers des Forces Armées par l’exploitation des ressources naturelles comme le bois, le cacao, l’or et le commerce transfrontalier;
- Le découragement des opérateurs agricoles par des attaques récurrentes pendant la période de récolte. Cela contribue, non seulement à la baisse sensible de la production agricole, à l’augmentation de l’insécurité alimentaire sur l’étendue de la province avec effets collatéraux dans les provinces environnantes, mais aussi affecte les initiatives entrepreneuriales;
- L’impunité des officiers impliqués dans le détournement des fonds, des biens militaires et suspectés de collaboration avec l’ennemi;
- La faiblesse des effectifs militaires et policiers;
- Les équipements inadéquats et une faible logistique pour imposer la paix face à la progression exponentielle des ADF-NALU et le M23;
- Une faible prise en charge des militaires engagés sur les différentes lignes de front;
- La cohabitation entre militaires et civils dans la cité entrainant une complicité négative, des violations des droits humains par des militaires et l’affaiblissement de l’Armée;
- Le chevauchement et/ou l’ambiguïté dans la gestion des opérations ordinaires et celles de la mutualisation des forces entre les FARDC et l’Armée ougandaise;
- L’augmentation des sites, du nombre des déplacés de guerre sans assistance et des enfants de la rue face à l’incapacité des autorités de l’Etat de siège à assurer, globalement, la protection physique et morale des déplacés, notamment en matière de prise en charge de leur santé sexuelle;
- L’augmentation des groupes armés locaux encore disséminés dans les territoires de deux Provinces sous Etat de siège; entrainant ainsi la fragilisation de l’Etat;
- La progression exponentielle des ADF et du M23;
- La destruction des infrastructures socio-économiques de base;
- La forte concentration des militaires dans les sites miniers et l’accroissement des réseaux nationaux et transfrontaliers dans la fraude et la contrebande minières;
- L’accroissement de spoliation des biens de l’Etat et des privés par certains animateurs de l’Etat de siège;
- L’indifférence et/ou le retard d’intervention des autorités de l’Etat de siège en cas de dénonciation faite par la population; 28. L’implication de certaines autorités militaires de l’Etat de siège dans les tracasseries et rançonnement des populations;
- Les désordres criants constatés dans les régies financières occasionnant ainsi une instauration des impôts, droits, taxes, redevances et leur recouvrement militarisé en violation de la procédure y afférente;
- L’incapacité des autorités militaires à mettre fin aux barrières qui, du reste, se sont multiplié pendant la période de l’Etat de siège;
- La période prolongée de gestion exceptionnelle caractérisée par des restrictions des libertés et droits fondamentaux dans la Province du Nord-Kivu, à l’occurrence, opération Kimia 1 et 2, Sokola 1 et 2, état d’urgence sanitaire avec Ebola et COVID-19, Etat de siège, éruption des volcans impacte négativement la vie socio-économique, enviro-nnementale et politique de la Province et affecte le développement et l’épanouissement des jeunes et femmes;
- L’incapacité des autorités de l’Etat de siège à lutter contre l’infiltration et la porosité des frontières. Cela a entrainé l’occupation des territoires Rutshuru, une partie de Masisi et de Nyiragongo, pendant l’Etat de siège;
- La pérennisation de l’Etat de siège constitue, non seulement une menace contre le bon fonctionnement d’autres provinces non concernées par la mesure, mais aussi, elle détourne l’attention du militaire de ses missions de défense de l’intégrité du territoire national vers des ambitions politiques. Cela constitue un danger éventuel contre la République.
- B. Recommandations
- ²Après la revue des causes des conflits armés et des arguments avancés pour la levée de l’Etat de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, le groupe thématique dégage les recommandations suivantes :
- La levée immédiate de l’Etat de siège et l’application de la loi sur la libre administration des Provinces par la réhabilitation des autorités politiques élues dans les deux provinces de l’ITURI et du Nord-Kivu;
- Laisser aux forces de défense et de sécurité congolaises ainsi qu’aux services spécialisés, renforcés, soutenus et équipés, de se concentrer et s’occuper de leurs missions traditionnelles en les épargnants de la gestion politique et de l’administration publique. Car, en effet, les actions militaires qui ont permis, dans le passé, de résoudre les violences et crises n’ont pas exigé la proclamation de l’Etat de siège (cas du M23 en 2013 avec l’opération Pomme Orange ou autres opérations Kimia 1 et 2, Sokola 1 et 2 ou Mbata pour l’imposition de la paix);
- Créer un cadre de concertation et de suivi permanent pour la paix et la sécurité en Province qui sera constitué des délégués du Gouvernement provincial, de l’Assemblée provinciale, chefs coutumiers et des forces vives;
- Doter le PDDRC-S des animateurs crédibles, acceptés par toutes les parties prenantes et le rendre opérationnel à tous les niveaux, dans un temps record;
- Renforcer les capacités opérationnelles de la Commission Nationale de Contrôle des Armes Légères et de Petit Calibre pour démanteler urgemment les réseaux des trafiquants d’armes et lutter contre les mines et engins explosifs;
- Déclarer les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu «zones sinistrées» étant donné que les dommages collatéraux liés à la guerre nécessitent une assistance spéciale du Gouvernement;
- Restaurer l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue des territoires jadis concernées par l’Etat de siège, notamment dans les territoires de Rutshuru et Masisi où les populations vivent le calvaire sous occupation, et, attendent être enrôlées pour participer aux élections;
- Procéder à la démilitarisation des sites miniers et mettre en place des mécanismes visant à lutter contre la fraude et la contrebande minières; 9. Evaluer, en urgence, toutes les opérations militaires menées ainsi que tous les accords de coopération militaire conclus avec les organisations internationales, sous régionales et régionales et les pays voisins;
- Promulguer et publier au journal officiel la Loi sur la réserve Armée de la Défense nationale; 11. Accorder une mesure de grâce à tous les acteurs de la société civile et défenseurs des droits humains arrêtés et condamnés pour avoir critiqué les méfaits de l’Etat de siège.
Fait à Kinshasa, le 15 août 2023
Les participants-membres de la Commission (liste en annexe),
Le Rapporteur principal,
Honorable Prince Kihangi Kyamwami