Deux styles d’organisation du bureau du Président de la République font aujourd’hui encore débat. Le premier consiste en une structure verticale. Ce fut l’œuvre de l’ingénieur Bisengimana, directeur du bureau du Président Mobutu de 1969 à 1977, qui orchestra une concentrationde pouvoir et d’autoritéautour de sa personne, inégalée jusqu’à ce jour. Le deuxième style consacre une structure horizontale de pouvoir. Incarné par Maitre Nimy Mayidika Ngimbi, directeur de 1977 à 1986, il est caractérisé par un partage de pouvoir plus équilibré avec d’autres conseillers seniors du Président de la République.
Ce style est plus conforme à une démocratie éprouvée et une administration mature et moderne, mais il consacre une dispersion du pouvoir et peut ouvrir la porte àd’influences extérieures et à des forces centrifuges capables de phagocyter l’agenda du Président de la République.
L’opinion défendue dans cet article est que le premier style convient le mieux à une démocratie jeune, continuellement en proie à une crise existentielle,sous réserve que le directeur de cabinet ait des qualités avérées de leadership, d’efficacité et de compétence, mais aussi d’humilité et de probité morale. Le sieur Bisengimana n’a pas toujours faitmontre de toutes ces qualités.
Dans le contexte pré-électoral actuel, sur fond de guerre persistante à l’est du pays, les priorités du directeur de cabinet devraient inclure :
1)aider le Président de la République à mettre en ordre de bataille les FARDC pour engranger des victoires militaires à l’est,
2) assurer que l’action de l’exécutif produit des résultats socio-économiques tangibles à même d’aider le Président de la Républiqueàse faire réélire,
3) tenir à distance les mamamouchis du régime dont l’agenda entre facilement en contradiction avec l’intérêt national et les objectifs du Président de la République. Mais la priorité suprême du directeur de cabinet, pour lui-même et pour sa famille, est de faire tout cela tout en restant en vie.
Gagner la guerre dans l’est et restaurer la paix
Dans un système d’organisation verticale, aucun dossier ne peut se retrouver sur le bureau du Président de la République sans qu’il ait obtenu l’aval préalable du directeur de cabinet. Toute violation de ce principe devrait être considérée comme une atteinte à la sureté d’Etat. En outre, le directeur de cabinet devrait être le dernier à discuter avec le Président avant qu’une décision d’Etat soit prise et qu’une annonce publique en soit faite.
La stricte observance de ces principes est particulièrement importante en temps de guerre. La priorité du directeur de cabinet est d’assurer que le Président de la République a accès aux esprits les plus brillants en matière militaire, au sein des forces armées et en dehors de celles-ci. Mais l’élaboration de la stratégie militaire ainsi que les décisions tactiques sur lethéâtre des opérations devraient relever de la responsabilité exclusive du commandement militaire. Le directeur de cabinet devrait prendre toutes les mesures pour qu’aucune interférence politique ne vienne aliéner ce mécanisme de décision et de conduite de la guerre.
Le directeur devrait aussi s’assurer que le Président est constamment informé de l’évolution de la situation au front, du moral des troupes, et des desiderata du militaire du rang et du soldat au front. La meilleure façon d’assurer que les FARDC sont constamment en ordre de bataille est d’intensifier l’engagement du commandant suprême et de favoriser sa communication avec l’appareil militaire à tous les niveaux.
Lors de la guerre civile aux États-Unis, de 1861 à 1865, le Président Abraham Lincoln remplaça successivement sept généraux à la tête de la « Union Army » et de l’armée du Potomac, avant de nommer le général UlyssesS. Grant, qui vainquit l’arméesécessionniste des confédérés sous la conduite du général Robert Lee. Il existe dans l’armée congolaise des officiers capables d’annihiler la rébellion du M23. Au directeur de cabinet la mission d’identifier ces officiers et de convaincre le Président de la République qu’une victoire militaire des FARDC est possible et qu’elle est nécessaire.
C’est dans les périodes de guerre que les armées s’affermissent et se modernisent. Le raccourci du recours à l’intervention extérieurecompromet toute perspective de réforme structurelle de l’armée. Lorsque les troupes étrangères se retireront, l’armée congolaise risque de se retrouver plus affaiblie, plus démotivée et plus déstructurée qu’avant, et moins à même de préserver la sécurité nationale et l’intégrité territoriale.
Un bilan positif assurera la réélection du Président de la RépubliqueLe meilleur argument de campagne pour un président sortant, c’est son bilan. Le seul véritable bilan est celui en rapport avec la situation sécuritaire, lebien-êtresocio-économique des populations et l’état des libertés publiques. Le directeur de cabinet devrait s’assurer que l’action de l’exécutif, y compris du gouvernement, marque des points positifs dans ces trois secteurs.
Ceci n’est en généralréalisé qu’à travers des initiatives qui touchent directement àla vie des gens, comme la construction d’un hôpital ou d’une école, ou la construction d’une route ou d’un pont. Et lorsque des réalisations de ce genre existent, la communication qui doit en être faite doit être aussi massive et répétitive que possible.
En revanche, les réalisations de prestige, même si elles ont une grande visibilité, n’ont en général aucun impact concret sur la vie des gens et sont donc perçues par eux comme l’expression d’une mauvaise gouvernance.
Le directeur devrait, avec beaucoup d’ardeur, bloquer toute initiative de l’appareil exécutifqui relèverait purement du prestige et du bling-bling. Mais il devrait encourager des projets grandioses à fort impact humain.
Au début du mandat présidentiel en cours, un projet comme la construction d’une autoroute nationale de Boma à Goma aurait fait partie de cette catégorie. Conçu comme un investissement à forte intensité de main d’œuvre, ce projet aurait fourni du travail à environ un million de personnes parmi lesquelles des maçons, des charpentiers, des menuisiers, des forgerons, des mécaniciens, des électriciens, etc. Et un tel projet aurait misé sur l’expertise nationale et l’ingénierie congolaise, sauf peut-être pour des ouvrages complexes de génie civil où l’expertise internationale aurait été nécessaire.
Tenir à distance les mamamouchis du régime et rester en viePuisque dans une structure verticale, le directeur de cabinet maitrise l’agenda et l’accès au Président de la République, il devrait s’évertuerà tenir à distance ceux qui ont tendance àexercer une influencenégative sur la pensée et l’action du Président.
Certes, cela lui attirera beaucoup d’ennemis, mais nul ne devrait accepter cette responsabilité s’il n’a pas suffisamment d’envergure et de caractère pour faire face à l’adversité.Le directeur de cabinet devrait faire preuve de qualités de résilience, d’ascétisme et de stoïcisme, et s’en servir comme d’un bouclier contre les assauts des mamamouchis du régime.
Dans la mesure où ces assauts pourraient constituer un péril pour sa vie, le directeur ne devrait lésiner sur aucun moyen pour se protéger, y compris si cela devrait atteindre une certaine forme de paranoïa. Il devrait s’efforcer à rester sobre dans son style de vie, et s’abstenir de manger et de boire quoi que ce soit lors de grands rassemblements. Et lorsque des réceptions officiellessont organisées, il devrait amener son propre repas, avançant comme raison que sur le conseil de son médecin, il serait astreint à un régime alimentaire strict dont la recette ne serait connue que de son cuisinier privé.
L’exigence de préserver sa propre vie vaut n’importe quel argument au monde et la république ne saurait lui en tenir rigueur.L’attitude du directeur envers son équipe ne devrait être fondée que sur le professionnalisme et l’obligation de résultats. Il devrait être en mesure de défendre vigoureusement les conseillers sous sa responsabilité contre les assauts extérieurs venant de ceux qui voient d’un mauvais œil le succès du cabinet du Président de la République. Mais il devrait aussi être en mesure de se séparer impassiblement des conseillers qui ne seraient pas à la hauteur de leurtâche ou qui manqueraient de qualités humaines et morales que requiert la dignité de leur responsabilité.
Servir la plus haute institution de la République est une responsabilité quasi sacerdotale, et ne devraient bénéficier de ce privilège que ceux qui comptent parmi les meilleurs de leur génération, reconnus comme hautement compétents, au besoin surdoués et surqualifiés, et jouissant d’une réputation au-dessus de tout soupçon.En définitive, le style d’organisation du bureau du Président de la République peut être déterminant dans la façon dont il dirige le pays et dans sa capacitéà répondre aux attentes du peuple.
L’histoire des premières décennies de notre pays aurait peut-être pris un cours différent si, dans le cadre d’une structure de type vertical, une personnalité dotée de qualités de rigueur et de probité morale, avait été aux commandes du bureau du Président de la République.
Peut-être que le pays n’aurait pas fait l’expérience douloureuse d’une trilogie décisionnelle désastreuse de la zaïrianisation, la radicalisation et la rétrocession.
Dans les circonstances actuelles, renforcer stratégiquement le bureau du Président de la République et appliquer les principes d’une organisation verticale tels que décrits dans cet article peuvent amener un changement qualitatif important dans la conduite de la guerre dans l’est, dans la rationalisation du portfolio des projets à fort impact humain, et dans la stratégie du Président de la République pour gagner la prochaine élection présidentielle.
Par Gilles MPEMBELE, PhD, MBA Senior Avionics Engineer at The Boeing Company, Adjunct Professor at Washington University in St. Louis, Missouri