Le 30 août 2023 restera dans la mémoire collective des Rd congolais comme ce mercredi noir, celui où les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur des manifestants appartenant certes à une secte pseudo-religieuse, mais qui n’en étaient pas moins des citoyens congolais. Le bilan de la répression est terrible : entre 43 et 48 morts ainsi qu’une soixantaine de blessés. La réaction du Gouvernement, immédiate, aura eu le mérite de porter à la connaissance du public, quoique en termes sibyllins, les circonstances d’une tragédie dont le peuple se serait bien passé à quatre mois des élections générales. La pression est grande sur Kinshasa. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) pense que «le nombre de morts pourrait être plus élevé» que la version officielle. Il appelle, par conséquent, Kinshasa à ce que l’enquête soit « approfondie, efficace et impartiale », soulignant qu’une telle enquête doit également examiner de manière exhaustive l’usage de la force par les forces de sécurité.
Le gouvernement central n’a pas tardé à réagir aussitôt portés à la connaissance du public les événements tragiques de Goma à la suite d’une manifestation interdite d’une secte mystico-religieuse, au nom rébarbatif de «La Foi Naturelle Judaïque Messianique Vers les Nations (FNJMN)/Agano La Uwezo Wa Neno/Wazalendo», dirigée par un certain Ephraïm Bisimwa dans la matinée du 30 août
Les adeptes d’Ephraïm Bisimwa entendaient protester contre la présence de la MONUSCO et de la force régionale de l’EAC accusées de passivité, voire de complicité avec l’agresseur rwandais par la «rébellion» du M23 interposée. L’intervention de la police et de l’armée s’est soldée par 43 morts, selon le gouvernement, dont 1 policier tué par lapidation (49, selon des sources de la société civile) et 56 blessés. 156 manifestants ont été appréhendés, y compris le leader de la secte.
RÉACTION DU GOUVERNEMENT
Dans son communiqué du 31 août, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, et intitulé «Manifestation violente de Goma», le gouvernement présente ses condoléances aux familles des victimes et soutient l’enquête ouverte auprès de l’Auditorat Militaire de Garnison de Goma.
A lire entre les lignes cette première réaction, le gouvernement semble faire endosser la responsabilité de la tragédie aux adeptes de la secte qui, bien que sachant leur manifestation interdite par le maire de la ville de Goma, n’en sont pas moins descendus dans la rue. Dans leur quête d’atteindre leur objectif, «ils ont mené des actions qui ont porté atteinte à l’ordre public et causé la mort par lapidation d’un élément de la police, entraînant ainsi une intervention des forces de l’ordre pour restaurer la quiétude et la sérénité dans la ville», écrit Patrick Muyaya.
«Dans cette perspective», poursuit le communiqué, «les services de sécurité sont formellement instruits à collaborer avec la justice militaire dans la collecte des éléments de preuve. Ceux qui ont été interpellés seront jugés en flagrance dans les prochaines heures. Ainsi, rassure-t-il, qu’aucune impunité ne sera tolérée». Sans que le gouvernement n’indique si les policiers et militaires impliqués dans la fusillade sont concernés par la procédure judiciaire.
Le 2 septembre 2023, le président de la République s’est également exprimé, apportant subtilement un rectificatif au communiqué du gouvernement. En effet, tout en souhaitant un aboutissement rapide de l’enquête ouverte, il n’a pas fait une allusion expresse à la violence imputée 48 heures plus tôt aux adeptes de la secte.
UNE DÉLÉGATION GOUVERNEMENTALE À GOMA
Ainsi qu’annoncé par les autorités de Kinshasa, une Commission intergouvernementale est arrivée au chef-lieu du Nord-Kivu le samedi 3 septembre. Conduite par le vice-Premier ministre (VPM) en charge de l’Intérieur, Peter Kazadi, elle est composée du VPM en charge de la Défense nationale, Jean-Pierre Bemba, du ministre des Droits humains et du vice-ministre de la Justice. La Commission comprend en outre l’auditeur général des FARDC.
Aussitôt arrivée à Goma, la délégation du Gouvernement a invité les familles ayant constaté la disparition d’un des leurs à «passer dans les différents centres hospitaliers qui ont accueilli les victimes blessées ou mortes aux fins de les identifier et de prendre contact avec la Commission qui siège au Gouvernorat de province».
Selon le porte-parole du Gouvernement, outre les personnes décédées – 43 au total – 56 blessés étaient soignés à l’hôpital militaire du camp Katindo, 29 à l’hôpital CBCA Ndosho et 7 à l’hôpital Heal Africa.
L’ONU prend acte de l’annonce d’une enquête
Le Bureau des droits de l’homme de l’ONU a dit vendredi prendre acte de l’annonce du gouvernement congolais relative à l’ouverture prochaine d’une enquête, à la suite d’une répression meurtrière du «carnage» de la ville de Goma qui a fait une quarantaine de morts, selon Kinshasa, et de nombreuses autres blessées, dans la répression d’une manifestation interdite.
Les manifestants, des membres de la secte «Foi naturelle judaïque et messianique vers les nations», s’étaient réunis pour demander le départ de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (Monusco).
«Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait qu’au moins 43 personnes ont été tuées, dont un policier, et 56 blessées lors de manifestations mercredi à Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo», a déclaré lors d’un point de presse à Genève, Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH), relevant que «le nombre de morts pourrait être plus élevé ».
Le HCDH indique avoir pris note de l’annonce par le gouvernement de l’ouverture d’une enquête sur ce drame. Il appelle Kinshasa à ce que l’enquête soit «approfondie, efficace et impartiale». Selon l’ONU, une telle enquête doit également examiner de manière exhaustive l’usage de la force par les forces de sécurité.
Un risque élevé d’abus dans un contexte «tendu»
«Les responsables des violations doivent être amenés à répondre de leurs actes, quelle que soit leur affiliation. Les responsables des violations doivent en répondre», a insisté Mme Shamdasani.
Les manifestations étaient organisées contre la MONUSCO, la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est, d’autres agences des Nations Unies et des organisations non gouvernementales internationales. Selon l’ONU, au moins 222 personnes auraient été arrêtées, dont des femmes et des enfants.
«Il est essentiel que les droits des personnes arrêtées soient pleinement respectés, y compris leur droit à une procédure régulière, et que les autorités compétentes garantissent au Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme, un accès continu aux personnes détenues», a fait valoir la porte-parole du HCDH.
Plus largement, les services du Haut-Commissaire Volker Türk sont préoccupés par le risque élevé de violations des droits de l’homme dans un contexte aussi tendu. Le HCDH demande donc aux autorités de veiller à ce que les futures mesures d’application de la loi dans le contexte de manifestations pacifiques respectent pleinement les normes internationales en matière des droits humains.
Une façon de rappeler que les citoyens congolais ont le droit de s’exprimer librement et de se réunir pacifiquement, y compris lorsqu’il s’agit de protester contre les Nations Unies et d’autres acteurs. «Les autorités doivent faciliter le droit au rassemblement pacifique», a fait remarquer Mme Shamdasani.
Econews