L’initiative présidentielle ne permet aucune réinvention politique alors même que les principaux concernés, partis comme citoyens, restent dans l’expectative. Par Claude Patriat, Université de Bourgogne – UBFC. Décryptage.
La réunion de tous les partis politiques à l’initiative du chef de l’État, mercredi 30 août, dans le souci de «relancer» un élan d’ampleur, fait penser à ce trait de Jules Renard dans ses Carnets (1898) : «Quand on n’a plus à compter sur rien, il faut compter sur tout». Après un été où le temps politique lui aussi semblait figé dans une brume de chaleur, cet effort présidentiel se lit comme une fin de parenthèse dans un champ politique en attente.
Après une première année de second mandat brûlante d’une contestation sociale violente attisée par des oppositions refusant tout compromis, chacun semble revenu à ses moutons. À droite comme à gauche, on fixe obstinément les yeux sur l’horizon 2027 dont on attend, après le départ d’Emmanuel Macron, qu’il remette la vie politique sur ses «vrais» rails, ceux occupés par les vieux partis de gouvernement.
Impasses
La droite erre, désorientée, dans un labyrinthe où s’affrontent les ombres antagonistes du populisme et celles du tropisme centriste. La gauche épuise ses faibles forces pour tenter de sortir vivante de l’impasse dans laquelle l’ont plongée ses insuffisances passées et le radicalisme de la France Insoumise. Profitant de cette inertie, l’extrême droite incarnée par le RN poursuit quant à elle son agenda, en marchant sans bruit, discrète depuis l’épisode des retraites.
Or, rien n’interdit de penser que les Français pourraient se lasser de cette guerre de tranchées sans autre horizon que de revenir en arrière, soit à des jeux partisans clairement condamnés.
Des Français désabusés
Au fil des années de contestation sur fond de crises – «gilets jaunes», Covid, puis réforme des retraites -, une séparation s’est instituée entre l’État et la société, mettant en grande fragilité le système représentatif et la légitimité des gouvernants. Il faudrait donc inventer un nouveau rapport au politique pour réconcilier les Français et les partis.
Mais ce nouveau rapport des citoyens à l’État, n’était-ce pas le cœur même de la proposition dont se réclamait Emmanuel Macron en 2017 ? N’était-ce pas le sens profond de sa démarche ? Condamné aujourd’hui à une politique des petits pas, étroitement borné par une majorité relative, le projet a fait long feu.
Entre un jeune premier président entamant une réforme en profondeur du système social, et un néo-président devant se contenter d’un ajustement paramétrique de l’âge du départ en retraite, il y a à l’évidence un fossé. Encore lui fallut-il avoir recours à toutes les ressources constitutionnelles pour parvenir à ses fins, quitte à provoquer un surcroît de fièvre des opposants contre sa gouvernance. Il s’agit pour lui, à présent, de reprendre l’initiative et de tracer la voie de son second mandat.
Gouverner, c’est tenir
Dans son interview au Point du 24 août 2023, Emmanuel Macron réaffirme d’abord sa ferme volonté de présider «jusqu’au dernier quart d’heure ! » Pas d’abandon de poste, mais pas non plus de retour au projet de départ : de la continuité tenace, intégrant les nouvelles contraintes qui pèsent sur l’Europe et la France.
Il interprète la crise de la démocratie comme une crise de l’efficacité qui se conjugue et se cumule avec le dérèglement géopolitique, le dérèglement climatique et le dérèglement technologique : cette exaspération des usages numériques, nivelant les paroles et les valeurs, contribuant à saper l’autorité politique. Mais en face de ce rude constat, le président ne propose plus de révolution ni de réformes radicales. L’heure n’est plus aux grands chantiers, si l’on excepte cette place centrale accordée à l’École pour reconstruire le vivre ensemble : la voici qui devient le cœur de son projet, au point d’élargir pour elle la grammaire gaullienne du pouvoir, en la faisant rentrer dans le «domaine réservé» présidentiel.
Mais de réforme des institutions, sujet de tensions contradictoires, il n’en est plus question; de remédiation à la crise du système représentatif, non plus.
L’heure est à la quête d’un consensus apaisé, Emmanuel Macron confirmant sa volonté de poursuivre la recherche œcuménique de compromis de circonstance avec les oppositions en constituant des «majorités de projets», voire en organisant un référendum.
Est-il vraiment convaincu de l’efficacité de cette démarche ? Rien n’est moins sûr : l’affaire des retraites a montré les limites d’une stratégie d’ouverture. Mais l’important, c’est de garder l’apparence du dialogue, et s’il ne réussit pas, que la faute en soit portée sur des opposants s’entêtant dans le refus obstiné ou dans la surenchère.
La carte du temps
Emmanuel Macron a choisi de jouer la carte du temps, de laisser celui-ci faire son travail d’éclaircissement, sinon de clarification. La Nupes, sur fond d’élections européennes, montre les limites d’une entente électorale de circonstance et semble engagée dans un processus d’autodissolution; la droite cherche un passage au flanc de la majorité présidentielle dont elle veut se distinguer tout en récupérant ses voix le moment venu.
Et dans son propre camp, le maintien à Matignon d’Elisabeth Borne, longtemps proche du parti socialiste, permet au président de contenir le tropisme prématuré et droitier de certains de ses ministres…
Le remaniement lui a d’ailleurs permis d’élaguer quelques branches devenues encombrantes pour mieux installer des fidèles inconditionnels aux commandes des ministères sensibles.
Profonde mutation
À l’heure où l’économie française fait preuve d’une santé enviable et où il est tout à fait possible de laisser du temps au temps, l’opposition systématique érode image et confiance. Et si d’aventure, à l’occasion de l’utilisation de l’article 49.3, une censure était adoptée par les oppositions réunies pour l’occasion, une voie serait ouverte à Emmanuel Macron pour sortir de la nasse où on le tient enfermé. Plutôt que de dissoudre immédiatement, confier le poste de Premier ministre, comme la constitution le prévoit, à l’un des chefs d’opposition : à charge pour le censeur de dégager une majorité et de proposer un gouvernement de cohabitation.
L’affaire mettrait en évidence l’incapacité de formuler et conduire une proposition alternative, autorisant le président à en appeler au peuple pour trancher la question. Mais sauf accident on n’en est pas là : jusqu’aux élections européennes, l’horizon politique risque fort de n’être qu’un horizon d’attente.
Inconscience ou impréparation ?
Après avoir accompli la première phase de son ambition et décapité les partis de gouvernement qui monopolisaient la scène en alternance, puis entamé l’exécution de ses premiers engagements, le président Macron s’est rapidement trouvé d’abord freiné, puis véritablement empêché.
Malgré une majorité plus que confortable à l’Assemblée nationale, il s’est heurté au mur étanche formé par l’absence totale de culture de compromis de la classe politique française, puis par la montée de la défiance sociale suractivée par les réseaux socionumériques et amplifiée par les populistes.
Inconscience ou impréparation ? Emmanuel Macron n’a pas été en situation de choisir les chemins qui auraient pu l’aider à contourner l’obstacle : l’utilisation des ordonnances en matière sociale, par exemple, était certes un moyen de gagner du temps, mais pas de rompre avec les méthodes verticales de ses prédécesseurs. Plus grave, le refus de transformer « En Marche » en véritable mouvement politique capable de faire face aux autres en développant un corpus socialement et politiquement partagé pèsera très lourd dans le déficit électoral.
Enfin, tarder à entamer, puis enterrer la réforme des institutions et du système démocratique, c’était se priver des moyens d’une remédiation en profondeur. Les élections sénatoriales, puis les élections locales mettront cruellement en évidence la faiblesse de son enracinement territorial. D’une certaine manière, ce président, sans doute élu trop tôt et désarmé face à des opposants solidement assis dans leurs bases locales, s’est aussi empêché d’empêcher…
Le projet macronien était pourtant porteur d’une vraie tentative de sortir la politique française de son manichéisme stérilisant. Comme l’a très bien montré dans ces colonnes Speranta Dumitru, Emmanuel Macron s’inspirait du libéralisme égalitaire théorisé par John Rawls. Ces idées font d’ailleurs écho à la pensée d’Emmanuel Mounier et des socialistes français : promouvoir un développement centré sur la personne et son autonomie, donner à chacun la capacité de choisir les moyens de se réaliser.
Devrons-nous aller attendre sous l’orme qu’on oublie cette occasion manquée?
Claude Patriat
Professeur émérite de Science politique, Université de Bourgogne – UBFC