Déroute de Congo Airways : et si on avait écouté Désire Balazire…

Il y a quelques années, Désiré Balazire Bantu, ancien directeur général de Congo Airways, s’était confié au journaliste Floride Zantoto pour dénoncer la mauvaise trajectoire que prenait la compagnie aérienne nationale, après son départ de l’entreprise sur base d’un rapport tendancieux de l’Inspection générale des finances (IGF). En expert averti, Désiré Balazire alertait sur l’urgence de recadrer le management de l’entreprise pour sauver Congo Airways de la déroute. Malheureusement, il n’a pas été écouté. A ce jour, ses prédictions se vérifient. En raison des difficultés d’exploitation, les avions Congo Airways ont été cloués au sol, en attendant une hypothétique relance. De quatre avions hérités en 2014 de la gouvernance Matata Ponyo Mapon, alors Premier ministre, Congo Airways n’a pas été en mesure de rébouveler sa flotte. Si on avait écouté Balazire en son temps, on n’en sera pas arrivé à pleurer la déconfiture d’une compagnie aérienne, désormais en « mode avion », c’est-à-dire sans réseau. Remake de l’entretien avec Floride Zantoto.

Pourquoi avoir créé une nouvelle compagnie Congo Airways alors que les lignes aériennes congolaises pouvaient bien être ressuscitées de ses cendres ?

Les lignes aériennes congolaises (LAC en sigle) étaient fort endettées avec des procès dans plusieurs pays. En outre, la société avait quasiment cessé de voler après 1999 et ne vivait principalement que des royalties et de l’assistance au sol. Il n’était pas prudent d’injecter de ressources dans cette société au risque de perdre du temps dans les procès à cause des saisies au lieu de se consacrer à l’exploitation.

C’était alors une nécessité de créer une compagnie aérienne afin de désenclaver les provinces. Le pays a une superficie de 2.345.000 km2. De l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud, il faut deux heures à vol d’oiseau. Donc, le transport aérien est le moyen le plus rapide de déplacement de la population.        

Congo Airways a été lancé en 2014, curieusement c’est avec des avions de seconde main que le gouvernement a préféré répondre aux besoins pressants de mobilité de l’époque ? Pourquoi pas des avions neufs ?

C’est exact. Le besoin était pressant. Il fallait non seulement déplacer la population mais aussi assurer le transport à des tarifs accessibles. Les privés, jouissant du monopole, avaient abusé en pratiquant des tarifs prohibitifs. L’Etat n’avait aucun instrument de contrepoids.

La solution de recourir aux avions d’occasion répondait à deux impératifs, à savoir : le besoin urgent de désenclavement des provinces ; le temps d’attente de livraison des avions neufs.

Pour les avions monocouloirs de 160 à 180 sièges, le temps d’attente de livraison varie entre cinq à sept ans et pour les avions de 70 à 120 sièges, la livraison intervient entre douze et vingt-quatre mois.

Deux airbus et deux bombardiers pour la flotte de Congo Airways. Auprès de quelle entreprise aérienne ces avions ont-ils été achetés et combien ont-ils couté au trésor ?

Les deux airbus A320 ont été achetés à Alitalia à USD 24,5 millions la pièce ; les deux Q400 ont été achetés à Air New Guinea à USD 15,0 millions la pièce.

Parlez-nous brièvement de cette entreprise aérienne auprès de qui le gouvernement a acheté ces avions ?

Les deux sociétés ont mis en vente leurs avions et Congo Airways les a achetés.

Quelle était la durée de vie de ces avions au moment de leur achat ?

Un A320 a été fabriqué en 2007 mais mis en service en 2008 et l’autre fabriqué en 2008. Au moment de l’achat en 2015, les avions avaient sept ans d’âge en moyenne. Les deux Q400 ont été fabriqués en 2010. A l’acquisition en 2016, ces avions avaient six ans d’âge.

Quelle est alors la durée moyenne de service d’un avion ?

La durée moyenne de vie d’un avion est de vingt-cinq ans. Cette durée correspond à la durée de vie des moteurs. Toutefois, certaines compagnies peuvent continuer à exploiter les avions sur une très longue période en les remotorisant (changement des moteurs) et en assurant une bonne maintenance de la cellule et des composantes.

Lors de leur exploitation, un des bombardiers avait effectué un vol sans succès et cet avion serait resté cloué au sol jusqu’à ce jour. Que s’était-il passé ?

Cet avion avait connu un problème d’hydraulique à Isiro. La panne avait été réparée dans les vingt-quatre heures qui suivaient et après cela, il volait normalement.

Ces avions avaient-ils subi une certification internationale avant leur mise en service ?

L’avion n’a pas besoin d’une certification internationale pour sa mise en service. L’autorisation de l’autorité de l’aviation civile suffit.

Congo Airways avait entrepris de vols régionaux vers le Bénin, le Cameroun et l’Afrique du Sud, pourquoi cet arrêt brusque ?

L’arrêt de l’exploitation du Bénin et Cameroun était dû au faible taux de remplissage. La société n’avait pas assez de fonds de roulement pouvant la permettre d’investir dans la durée. La rentabilité des lignes est aussi fonction de la durée en vue d’arracher une part du marché aux concurrents. Pour l’Afrique du Sud, c’est à cause de pandémie à COVID-19 et des variants qui se sont suivis.

L’exploitation des lignes de Congo Airways ont-elles été imposées par le gouvernement ?

Les lignes exploitées par Congo Airways figuraient dans son business plan approuvé par le Gouvernement. Phase 1 : réseau domestique ; Phase 2 : réseau régional (Afrique) ; Phase 3 : réseau intercontinental.

Il s’est avéré que sur le réseau domestique la quasi-totalité des lignes étaient déficitaires.

Pourquoi les investissements pour augmenter le niveau d’activité de Congo Airways n’ont pas suivi après sa mise en service ?

C’est le manque de volonté politique.

S’agissant des compagnies aériennes nationales, reçoivent-elles généralement des subventions de l’Etat ? Si c’est le cas, qu’en était-il de Congo Airways ? Quelle était la situation à votre époque et quelle est la situation à ce jour ?

En Afrique, les compagnies aériennes reçoivent les subventions de l’Etat. Pour Congo Airways, la mobilisation des subventions de l’Etat a été très faible après 2016. Elle n’a pas dépassé 12% de fonds inscrits au Budget de l’Etat en faveur de la compagnie aérienne nationale.

Les Etats africains ont pris l’engagement à l’Union Africaine de soutenir le transport aérien car il a été fortement impacté par la COVID-19. Des lobbyings ont été effectués auprès de différents gouvernements par l’association des compagnies aériennes africaines (AFRAA) et l’association des compagnies aériennes des pays de la SADC (AASA).

En outre, des initiatives étaient prises pour des appuis budgétaires et financiers par la Banque Africaine de Développement et AFREXIM Bank. Congo Airways n’a bénéficié d’aucun appui de l’Etat afin d’atténuer les effets de cette crise.

De 2014 à 2016, la société était en phase de sa capitalisation et aucun problème n’a été enregistré grâce à une forte volonté politique d’accompagnement de ce projet.

Qu’est ce qui est à la base des difficultés auxquelles fait face aujourd’hui Congo Airways ? Est-ce un problème de leadership ?

Congo Airways n’a pas connu un problème de leadership. Les difficultés auxquelles la compagnie fait face sont les suivantes : l’exploitation des lignes déficitaires sans contrepartie conséquente ; le prix élevé du carburant par rapport à la moyenne de la sous-région; le coût élevé des services (maintenance, pièces de rechange, pilotes, redevances aéronautiques, loyers, etc.) ; la concurrence déloyale.

Les dernières mesures sur le tarif de vols commerciaux ont-elles aggravé la situation ?

La baisse de tarifs des billets d’avion a privé Congo Airways de 40% de ses revenus. La décision est purement politique.

Quelle est votre réaction sur la proposition du gouvernement de créer une nouvelle compagnie aérienne Air Congo ?

Cette décision ne répond à aucune logique économique. Comment l’Etat peut-elle créer une autre compagnie nationale pendant qu’il y a une compagnie nationale créée avec des fonds publics et qui a fait ses preuves. Cette compagnie est certifiée IOSA, membre de l’IATA (Association des Transport aérien international).

Il y a peu, le personnel des organisations internationales, des ambassades occidentales et des agences des nations unies étaient interdits de prendre les avions congolais. Pour se rendre à Goma ou à Lubumbashi, ils devraient passer par certains pays africains. Ce n’est plus le cas avec Congo Airways.

Si l’Etat n’arrivait pas à trouver de fonds pour Congo Airways, d’où tirera les fonds du capital de nouvelle compagnie aérienne?

A l’époque, le Gouvernement avait refusé l’offre d’Ethiopian en vue de permettre à Congo Airways de faire ses preuves. L’Afrique du Sud a emboîté ce pas. Quel est ce pays africain dans lequel Ethiopian Airlines a investi en joint-venture pour l’essor de la compagnie aérienne de ce pays. La stratégie se fait uniquement en fonction des intérêts d’Ethiopian. Ça sera le cas pour la République démocratique du Congo. Le pays offre un marché potentiel avec ses 90 millions d’habitants et sa position géographique afin de faire de Kinshasa un hub.

Le Gouvernement devrait s’interdire d’induire la Haute Hiérarchie du pays en erreur. Le peuple pourra-t-il comprendre qu’après le discours du Président de la République sur l’état de la nation prononcé en décembre 2019 devant le parlement réuni en congrès qu’il se soit félicité du programme d’acquisition de huit avions neufs par Congo Airways, «une première depuis plus de trente ans», que ce projet soit abandonné au profit d’une nouvelle société à créer avec Ethiopian Airlines ?

Le développement du pays se fait par la consolidation des actions. L’abandon des projets de l’Etat à travers de nouvelles initiatives constitue à la fois une perte de ressources et une perte de temps.

Propos recueillis par Floride Zantoto