J’aimerais partager avec vous cette belle leçon de géopolitique sur les «États faillis» dans le monde de Pascal Boniface, directeur de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).
Cette leçon peut, à mon humble avis, nous aider à comprendre, en ce qui concerne la RDC, trois choses :
1. L’incapacité, presque chronique, de notre État à imposer la paix et la justice sur l’ensemble du territoire national;
2. La priorité des priorités, pour la classe politique congolaise, est de soigner cet État malade en le dotant d’une armée républicaine, professionnelle, dissuasive et d’une administration moderne et efficace. Sur ce point, je suis curieux d’entendre les propositions de tous les candidats à la présidence de la République;
3. La réticence du Conseil de sécurité de l’ONU à mettre un terme, dans la précipitation, à la MONUSCO (Mission de l’ONU pour la Stabilisation de la RDC). La crainte de membres du Conseil est de partir pour revenir dans 4,5, ou 6 ans. . . Parce que, en 60 ans d’indépendance, le Conseil de sécurité en est à sa troisième mission pour suppléer à la faillite de l’État congolais : ONUC (1960-1964), MONUC (1999-2010), MONUSCO (2010-2023).
C’est le devoir sacré de l’élite congolaise de réfléchir et de trouver les voies et moyens de résoudre ces équations. Il y va de l’avenir de notre grande Nation.
« Les Etats faillis » (*)
Les Etats Faillis sont ceux dont les gouvernements ne contrôlent pas effectivement le territoire. Ce vide constitue un défi sécuritaire et une catastrophe sociétale.
Les «failed States» ou «collapsed States» constituent un double défi géopolitique. Ce sont des Etats qui ne remplissent pas leurs fonctions traditionnelles régaliennes. Un Etat, c’est un gouvernement qui contrôle de façon effective un territoire et la population qui y vit. L’Etat détient, selon la définition de Max Weber, le «monopole de la violence légitime». Un Etat failli n’exerce plus cette compétence. Son existence est donc sujette à question. Le monopole de la violence légitime est remis en cause par l’existence de guérillas, de bandes armées, de seigneurs de la guerre, de groupes paramilitaires, d’organisations criminelles ou terroristes qui imposent leur autorité sur une partie du territoire. l’Etat ne peut plus faire respecter ses règles de façon uniforme. on peut donc le définir comme un Etat qui ne peut plus assurer la sécurité et le développement de sa population et qui n’a pas le contrôle effectif de son territoire et de ses frontières étatiques. Un Etat failli ne peut donc pas assumer ses responsabilités nationales et internationales. La violence y est fragmentée et privatisée.
L’absence de contrôle du territoire est souvent le résultat d’une situation conflictuelle, d’un affaiblissement des structures étatiques, de la compétition de plusieurs groupes pour le contrôle d’une ressource. L’Etat failli entre souvent dans un cercle vicieux. Sa faiblesse est un facteur d’affaiblissement supplémentaire. Il ne peut pas lutter contre ses adversaires ; se constituent alors des zones grises propices à tous les trafics : matières premières, êtres humains, armes, drogues, espèces en danger, œuvres d’art . . . Les différents groupes tirent de l’exploitation de ces biens les moyens de leur existence. Ils privent l’Etat des moyens de rétablir son autorité en captant, à son détriment, ses ressources.
Le think tank «Fund for Peace» et le magazine» Foreign Policy» publient chaque année le » Fragile States Index» qui prend en compte douze indicateurs répartis en trois catégories : sociale, économique et politique.
En 2022, les dix «premiers» Etats faillis sont, dans l’ordre : le Yemen, la Somalie, la Syrie, le Sud-Soudan, la République centrafricaine, la République Démocratique du Congo, le Soudan, l’Afghanistan, le Tchad et la Birmanie.
La faillite étatique se caractérise par une diversité de symptômes : pression démographique, violences communautaires, émigration chronique et soutenue, inégalités de développement, déclin économique, criminalisation, détérioration des services publics, non-respect de droits de l’homme ou intervention d’autres puissances.
En résumé, lorsqu’un gouvernement ne contrôle pas son territoire de façon effective, que celui-ci est soumis à des autorités fragmentées, on peut alors parler d’Etat failli.
L’absence d’autorité centrale crée un vide de sécurité, dans lequel s’engouffrent bandes armées, groupes criminels ou terroristes.
(*) Extrait du livre «La géopolitique».
Thomas Luhaka