Dossier Samcrete : Kinshasa sous la menace d’un coûteux arbitrage

La société de BTP Samcrete Engineers & Contractors estime le préjudice qu’elle s’apprête à réclamer à la RDC. Cette manœuvre fait suite à ses démêlés avec les autorités sur le projet routier entre Mbuji-Mayi et Kananga. La somme pourrait s’élever à plus de 200 millions de dollars.

Samcrete Engineers & Contractors pose les premiers jalons de son futur arbitrage contre Kinshasa. Faisant grief aux autorités congolaises du blocage de leur chantier routier entre Mbuji-Mayi et Kananga (province du Kasaï-Central), la société égyptienne de BTP a sollicité ces derniers mois des cabinets de conseil pour se préparer à l’éventualité d’une action judiciaire, qui semble de plus en plus inéluctable. En jeu, une demande de dommages et intérêts, dont le montant reste encore à définir, et qui pourrait s’élever à plus de 200 millions de dollars.

Le 24 novembre, le directeur général de Samcrete, Sherif Nazmy, a adressé une lettre au Fonds de promotion de l’industrie (FPI), l’instance congolaise avec laquelle le contrat a été signé, pour réclamer la mise en place d’un comité de médiation. Une solution de la dernière chance avant le lancement d’un arbitrage devant la Chambre de commerce internationale (CCI) de Paris, alors que la demande est, jusqu’à présent, restée lettre morte côté congolais.

Un projet né sous les meilleurs auspices

Ce projet avait pourtant débuté sous les meilleurs auspices, le contrat ayant été signé en février 2021 en présence du président congolais Félix Tshisekedi et de son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Les deux chefs d’État s’étaient personnellement impliqués pour la concrétisation de cette route de 188 km, disposant d’un financement d’environ 300 millions de dollars apporté aux deux tiers par la banque panafricaine Afreximbank. La réalisation de ce chantier, auquel s’ajoutent plusieurs autres projets d’infrastructures, devait sceller le rapprochement diplomatique et économique entre Kinshasa et Le Caire.

Deux ans et demi plus tard, ces bonnes relations sont mises à mal par le conflit opposant Samcrete aux autorités congolaises. L’ambassadeur égyptien en poste à Kinshasa, Hesham Abdel Salam Elmekwad, qui suit le dossier de près, a récemment réclamé des explications officielles au cabinet du président Tshisekedi, lequel a ensuite demandé au ministre des infrastructures et des travaux publics, Alexis Gisaro Muvunyi, de trouver une solution avec la partie égyptienne. En vain jusqu’à présent.

Le revirement de l’Inspection des finances

L’entreprise reproche à Kinshasa de bloquer, depuis presque un an, près de 114 conteneurs nécessaires aux travaux sur le site du port de Matadi (Kongo-Central), ainsi qu’à Lubumbashi, rendant impossible la poursuite du chantier. Selon des documents internes à la société, plus de 13.000 fûts de bitume sont immobilisés à Matadi, faute d’autorisation des douanes pour les acheminer jusqu’à Mbuji-Mayi.

Autre grief de Samcrete : en octobre, l’Inspection générale des finances (IGF, placée sous l’autorité directe du président Tshisekedi) a bloqué le paiement par le Fonds de promotion de l’industrie de la deuxième tranche de 27 millions de dollars due à Samcrete au titre du contrat, alors que cette même instance l’avait validée peu auparavant, le 14 septembre, dans une lettre adressée à la banque du FPI, la Sofibanque.

Le montage financier de la BAD

Depuis, Samcrete accuse les autorités congolaises de chercher à saper leur chantier pour le confier à des tiers. Les premiers soupçons sont apparus fin 2022, près d’un an après la signature du contrat, lorsque les Égyptiens ont appris l’existence d’un financement de la Banque africaine de développement (BAD) pour un projet de corridor routier reliant la RDC à l’Angola, qui concerne pour partie la route confiée à Samcrete, et plus précisément le tronçon entre Kananga et Kabeya-Kamwanga (137,5 km).

Interpellée par Samcrete, la BAD a déclaré qu’elle n’avait pas connaissance du contrat avec la société égyptienne, confirmant ainsi implicitement qu’elle n’avait pas mené de processus de due diligence en amont. Le montage financier avancé par la BAD comporte un mélange de dons et de prêts pour un total d’environ 166 millions de dollars, auxquels s’ajoutent 13,3 millions de dollars du gouvernement congolais. Un montant largement inférieur à celui du chantier de Samcrete, qui avoisine les 300 millions de dollars pour 50 km supplémentaires, mais jugé irréaliste au regard du prix des matières premières et de l’enclavement de la zone concernée. Contactée par Africa Intelligence, la BAD n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Un chantier « catastrophique »

En plus de l’intervention de la BAD dans ce dossier, l’entreprise égyptienne s’est montrée particulièrement agacée en apprenant l’existence d’une lettre du directeur adjoint du cabinet du ministre Alexis Gisaro, Tobie Kayumbi Nkongolo, actant le remplacement de Samcrete par deux autres entreprises de BTP, Safrimex et JMC, pour la remise en état urgente du tronçon de 45 km entre Mbuji-Mayi et Kabeya-Kamwanga. Une décision motivée, selon Alexis Gisaro, par l’état « catastrophique» du chantier.

Le même ministre se montrait beaucoup plus conciliant, quelques mois plus tôt, dans une lettre au directeur général du FPI, Bertin Mudimu Tshisekedi – lequel qualifiera de « mascarade » la décision de remplacer Samcrete dans une missive révélée par Africa Intelligence. Reconnaissant l’existence de projets concurrents, entre celui financé par la BAD et le chantier mené Samcrete, Alexis Gisaro enjoignait le patron du FPI de « prendre les dispositions idoines pour une révision du contrat signé avec l’entreprise Samcrete », afin de déporter cette dernière sur une autre route, en l’occurrence celle reliant Mbuji-Mayi à Pania-Mutombo, sur 223 km. Dans la même missive, le ministre se disait « conscient que ce changement d’axe routier provoquera des besoins d’ajustement avec Samcrete ». Une proposition rejetée par l’entreprise égyptienne, qui l’a jugée impossible à lancer avant deux ans, faute d’études techniques, de tracé et de design industriel.

Plusieurs acteurs du dossier pointent le rôle joué en coulisses par deux membres de l’exécutif pour la mise en œuvre de ce schéma dont sortent grands vainqueurs Safrimex et JMC. Il s’agit de Nicolas Kazadi, le ministre des finances, et d’Aristote Mutombo Lwimbu, le chargé de mission pour le Grand Kasaï du président Tshisekedi, dont il est d’ailleurs le cousin. Les deux hommes sont réputés proches du président de Safrimex, l’homme d’affaires libanais Ibrahim Issaoui, à qui doit revenir la construction des 30 premiers kilomètres du tronçon entre Mbuji-Mayi et Kabeya-Kamwanga.

Avec Africa Intelligence