Ce petit pays de la région des Grands Lacs devrait réélire triomphalement le président Paul Kagame. Le champ politique est verrouillé, mais le régime demeure populaire pour avoir contribué à la réconciliation nationale après le génocide d’il y a trente ans.
Le suspense est insoutenable : Paul Kagame, le président du Rwanda, petit pays enclavé de la très instable région des Grands Lacs en Afrique centrale, sera-t-il réélu à l’issue du scrutin de ce soir avec 98 ou bien 99 % des voix ? En 2017, il avait obtenu 98,79 % des suffrages face au leader du seul parti d’opposition autorisé, Frank Habineza (0,48 %) et un obscur indépendant.
Tous les deux apportent encore leur caution à ce scrutin qui verra vraisemblablement le Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame et ses alliés rafler parallèlement la quasi-totalité des 53 sièges en jeu aux législatives de cette ancienne colonie allemande puis belge.
Une domination qui s’explique notamment par un système politique verrouillé, avec des médias sous contrôle et des opposants poussés par les arrestations arbitraires à résider en Belgique, au Canada, au Mozambique, ou en Afrique du Sud, où ils risquent néanmoins d’être enlevés, agressés voire tués par le long bras du régime, souligne Human Rights Watch.
Des indices de développement en progression spectaculaire
Mais Paul Kagame jouit aussi d’une authentique popularité pour avoir contribué au relèvement du pays au sortir du génocide, au moins 800.000 victimes, perpétré par le régime hutu en 1994, dans lequel l’Etat français a reconnu, avec le rapport Duclert en 2021, avoir une «lourde responsabilité » sous l’ère Mitterrand. La réconciliation entre Hutus et Tutsis semble avoir fonctionné, ce que certains qualifient de «miracle rwandais», grâce à un plan de développement cohérent fondé sur des investissements publics massifs financés par l’aide internationale.
En conséquence, le Rwanda bénéficie d’une croissance annuelle de 7 % depuis quinze ans, période pendant laquelle la mortalité infantile a été divisée par quatre et la proportion de la population vivant avec moins de 2 dollars par jour est passée de 75,2 % à 52 %, selon l’ONU. L’espérance de vie a progressé de vingt ans depuis l’arrivée au pouvoir de Paul Kagame, à partir d’une base, il est vrai, déprimé par le génocide. Elle a atteint 67,1 ans l’an dernier.
Le régime a aussi extirpé la corruption grâce à des peines dissuasives et une réduction de la bureaucratie ; on peut enregistrer une firme en trois jours. Les services publics, santé, transports, éducation, eau et électricité sont bien plus fonctionnels que chez les voisins, le quartier d’affaires et les centres de conférence à Kigali bluffent les visiteurs, tout comme les rues propres et sûres et le climat des affaires est jugé sûr par les investisseurs.
Bref, dans une région truffée d’Etats faillis, le Rwanda constitue un îlot de paix et de sécurité, ce qui avait d’ailleurs servi d’argument en 2021 au gouvernement britannique de Boris Johnson, pour y programmer l’envoi de 52.000 demandeurs d’asile en accord avec Kigali, moyennant une avance de 280 millions de dollars. Accord dénoncé comme contraire aux Droits de l’Homme par le Conseil de l’Europe, puis jugé illégal par la cour suprême de Londres avant d’être déclaré «mort et enterré» par le gouvernement travailliste de Keir Starmer dès son entrée en fonction.
Un manque de ressources
Pour autant, explique Thierry Vircoulon, spécialiste de la région à l’Institut français des relations internationales (IFRI), «derrière la croissance spectaculaire, sans doute enjolivée, se pose la question de la soutenabilité de ce modèle de développement, puisque l’aide internationale se tarit peu à peu», même si elle représentait encore 8 % du PIB l’an dernier.
Le pays reste un des plus pauvres de la planète, avec un salaire moyen de 150 dollars, et manque de ressources pouvant se substituer à l’aide étrangère, hormis le tourisme grâce aux superbes paysages et parcs à gorilles, ou les exportations de thé et café de petites exploitations agricoles pesant pour la moitié du PIB. L’économie rwandaise souffre de son enclavement et de l’étroitesse de son marché intérieur, avec seulement 14 millions d’habitants, même si la population a doublé depuis le génocide. Un manque de ressources qui pousse Kigali à utiliser des rebelles, notamment le groupe M23, déstabilisant le Burundi et la République démocratique du Congo voisins pour profiter du trafic de coltan (minerai rare) et d’or dans la région du Kivu au Congo.