Rien ne va plus entre le ministre d’Etat et Ministre de la Justice et Garde des Sceaux et l’ensemble du corps judiciaire de la République Démocratique du Congo. Dès sa surprenante nomination (il viendrait de l’opposition politique) et son investiture à la mi-juin, le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux Constant Mutamba est le seul membre du gouvernement qui, à ce jour, s’est signalé par des décisions et déclarations qui, en définitive suscitent un profond malaise au sein de la Magistrature en général. Entre des accusations d’une corruption généralisée et des verdicts dignes de prise à partie, en passant par des libérations massives de détenus de la prison centrale de Makala et le dépôt des «projets de lois» à l’Assemblée nationale outrepassant leur examen en Conseil des ministres, c’en était trop. Et les magistrats ont fini par élever le ton, certains menaçant même de traduire le ministre en justice pour outrage à magistrat.
«Pourquoi la Justice congolaise est-elle qualifiée de malade ?
Quelle thérapie face à cette maladie, après ceux (Etats généraux, NDLR) tenus en 2015 ?» Le Ministre d’Etat, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux a informé le Conseil du gouvernement de l’organisation prochaine des états généraux de son secteur.
Constant Mutamba a indiqué que neuf ans après, et sans vouloir remettre en cause les conclusions et recommandations pertinentes des assises tenues il y a presque dix ans, il sera question d’évaluer le niveau de mise en œuvre de celles-ci tout en formulant des actions concrètes au regard de l’état actuel de la Justice.
URGENCE D’UNE THERAPIE SANS COMPLAISANCE
Selon lui, il devient urgent de «faire un diagnostic sans complaisance des maux qui rongent notre justice afin de lui administrer une thérapie de choc à travers des réformes profondes». Conscient du rôle majeur de la justice dans la stabilité des Institutions et la consolidation de la paix, il entend engager un processus de réforme partagé par tous les acteurs à l’issue des états généraux de la Justice.
Les états généraux projetés se dérouleront en deux phases, dont l’organisation préalable des consultations populaires à travers les provinces regroupées en pôles en vue d’impliquer tous les acteurs à la base d’une part, et les travaux en Sessions plénières et en Commissions spécialisées, d’autre part.
Il n’en reste pas moins qu’au-delà des bonnes intentions affichées par le ministre de la justice en conseil du gouvernement, Constant Mutamba s’est attiré les foudres d’une grande partie des membres de la Magistrature, causées par ses sorties médiatiques au cours desquelles il n’a de cesse de s’en prendre aux magistrats corrompus et se mettant, ce faisant, en porte-à-faux avec la déontologie du secteur judiciaire qui ne lésine pas sur le délit d’outrage à magistrat.
Avocat de son état, Constant Mutamba est parfaitement conscient qu’en dépit des accusations d’un populisme destiné à le rapprocher du chef de l’Etat et de sa famille politique, les justiciables congolais lui restent acquis, et l’encouragent dans sa croisade pour une justice débarrassée de brebis galeuses dont l’action néfaste jette un voile sur la minorité des magistrats honnêtes et intègres qui ont du mal à émerger dans un environnement judiciaire profondément vicié.
LE CORPS JUDICIAIRE AUX AGUETS
Cependant, le corps judiciaire n’est pas prêt à accorder un blanc-seing aux réformes du jeune ministre de 36 ans. A la suite du Syndicat national des magistrats du Congo (SYNAMAG), le SYMECO (Syndicat national de la Magistrature du Congo) est revenu à la charge. Il estime que «le Ministre de la Justice et Garde des Seaux ne peut, en aucun cas, se substituer, pire encore, s’établir en en administrateur principal de la Justice en érigeant des tribinauX populaires auxquels il joue à la fois le rôle du Ministère public en ordonnant publiquement des arrestations, en attaquant certaines décisions en cassation, et en instaurant des commissions ministérielles qui posent certains actes du Parquet».
En ce qui concerne les libérations des détenus de la prison centrale de Makala et de Kisangani dont certains ont passé des années entières sans jugement, le SYMECO s’insurge contre leur libération conditionnelle en l’absence de Procureurs généraux. Selon le syndicat, cet état de choses va à l’encontre de l’article 150 de la Constitution qui stipule que «le Pouvoir Exécutif ne peut donner d’injonction au juge dans l’exercice de ses fonctions, ni statuer sur les différends, ni entraver les cours de la justice, ni s’opposer à l’exécution d’une décision de justice».
L’INEVITABLE ALTERNATIVE
Avocat de son état, le ministre de la Justice se trouve devant une alternative qui ne manquera pas de laisser des traces après son passage. Ou il va jusqu’au bout de sa logique qui consisterait à débarrasser la Magistrature de juges et procureurs véreux après des enquêtes sans équivoque, ou il recule devant un probable tollé d’un corps puissant dont les membres se réclamant souvent de leur proximité avec la présidence de la République. Auquel cas, il ne reterait plus à Constant Mutamba qu’à ses replier dans les replis d’une opposition qu’il est censé avoir quitté.
MWIN M.F.