L’oubli de la guerre en RDC dans le discours d’Emmanuel Macron sur les crises sécuritaires que traverse le monde, au 19e Sommet de la Francophonie, a provoqué le départ précipité du président Félix Tshisekedi. Un faux pas qui laissera des traces dans les relations franco-congolaises.
Dans les relations tumultueuses entre la RDC, le Rwanda et la France, il ne faut surtout pas se fier aux photos de famille. Samedi 4 octobre, au 19e Sommet de la Francophonie, le cliché était presque parfait et réunissait enfin les deux frères ennemis, Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Il faut dire que depuis le retour des rebelles du M23 dans l’Est congolais, les deux pays sont à couteaux tirés. Kinshasa dénonçant le soutien de Kigali à la rébellion et la présence de soldats rwandais en territoire congolais, et le Rwanda accusant la RDC de collaborer avec les FDLR, un groupe armé qui a participé au génocide des Tutsis de 1994.
Mais depuis 2021 et la résurgence du M23, Kinshasa a une autre cible en ligne de mire : l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), une institution présidée par l’ancienne ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, que les autorités congolaises accusent de jouer le jeu Kigali.
En 2022, la délégation congolaise boude la photo de famille de l’OIF pour ne pas s’afficher aux côtés de Paul Kagame. Un an plus tard, Kinshasa refuse d’inviter Louise Mushikiwabo aux Jeux de la Francophonie et en mars 2024, la RDC boycottera les célébrations la Journée internationale de la francophonie. Dans ce contexte de tension extrême avec l’OIF, le gouvernement congolais avait laissé entendre que Kinshasa réfléchissait à quitter l’organisation francophone dont elle était membre depuis 1977.
UN OUBLI QUI NE PASSE PAS
Ce week-end, la présence de Félix Tshisekedi et de Paul Kagame était donc scrutée avec la plus grande attention, d’autant que le président français tentait en coulisse de jouer les entremetteurs pour organiser une rencontre entre les deux hommes. La photo de la grande famille de la francophonie avec Félix Tshisekedi et Paul Kagame, espacés de quelques mètres, donnait l’impression d’un possible réchauffement diplomatique dans le dossier de la crise congolaise. Félix Tshisekedi avait d’ailleurs été reçu pendant plus d’une heure par Emmanuel Macron. Tout semblait sous contrôle jusqu’au discours d’ouverture du président français qui déclarait que la Francophonie se devait de défendre l’intégrité territoriale des pays menacés et occupés comme l’Ukraine, Gaza, ou le Liban… Mais sans évoquer à aucun moment la RDC.
L’omission d’Emmanuel Macron ne passe pas dans la délégation congolaise. Sur les réseaux sociaux, on s’insurge depuis Kinshasa pour se demander comment le président Macron peut oublier le conflit de l’Est du Congo, premier pays francophone au monde. On fustige également le président Tshisekedi qui a serré la main de Louise Mushikiwabo et posé pour la photo non loin de Kagame alors que les rebelles du M23 n’ont jamais contrôlé des territoires aussi étendus au Nord-Kivu.
UNE BEVUE QUI LAISSERA DES TRACES
La présidence congolaise prend rapidement la mesure du faux pas diplomatique d’Emmanuel Macron et décide de ne pas participer aux réunions à huis clos et au déjeuner de l’OIF. Le départ précipité du président congolais ne passera pas inaperçu. Emmanuel Macron a été obligé de rétropédaler en conférence de presse, en précisant avoir été «parcellaire» dans ses citations. Et de préciser : «Il y a beaucoup de crises, de tensions, de guerres que je n’ai pas citées ».
Le président Macron en a aussi profité pour réitérer la position de la France sur la crise à l’Est du Congo : «Nous appelons au retrait du M23 et des troupes rwandaises. Nous appelons aussi à procéder au démantèlement des FDLR et de tous les groupes armés en RDC, et à l’arrêt des discours de haine».
Mais le mal est fait. La bévue du chef de l’Etat français risque fort de laisser des traces, car depuis le début de la crise du M23, le président français est accusé par les Congolais de faire le jeu du Rwanda, en refusant de prononcer des sanctions contre le régime de Paul Kagame. A Kinshasa, on comprend mal pourquoi la Russie, qui a envahi l’Ukraine, est sanctionnée, alors que Kigali, qui a des troupes sur le sol congolais, est épargné par la communauté internationale.
LA FRANCE SUR LA TOUCHE ?
Emmanuel Macron a pris la peine d’affirmer qu’il n’y avait pas «de double standard» dans la diplomatie de la France.» Mais l’oubli malheureux du conflit congolais dans un discours sur les crises de l’espace francophone est assez incompréhensible. Surtout lorsque l’on dénonce les violations de l’intégrité territoriale d’autres oays. Surtout lorsque l’on sait que Kinshasa continue de demander des sanctions contre Kigali.
Surtout lorsque l’on veut se poser en médiateur de la crise sécuritaire en RDC. Emmanuel Macron a, jusque-là, joué au équilibriste entre Kinshasa et Kigali, essayant de faire s’écouter les deux belligérants pour parvenir à un compromis politique acceptable. Le faux pas de Villers-Cotterêts, place désormais la France sur la touche dans le dossier congolais. Au moins pour un temps. Une maladresse d’autant plus regrettable que les pourparlers de Luanda sont au point mort.
Kinshasa et Kigali ne parviennent toujours pas à s’accorder sur le calendrier, entre le désengagement du M23 et des troupes rwandaises et la neutralisation des FDLR demandée par Kigali. Une nouvelle réunion est prévue entre la RDC et le Rwanda le 12 octobre par la médiation angolaise. Une chose est sûre, le Sommet de la Francophonie n’aura en rien fait bouger les lignes. Et à Kinshasa, on reparle encore une fois de la sortie de la RDC de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
Avec Christophe Rigaud (Afrikarabia)