«En RDC, Félix Tshisekedi prend le risque d’une révision de la Constitution». C’est le titre de Christophe Rigaud paru sur le site Afrikarabia. Le président congolais, note l’analyste qui s’est spécialisé dans l’histoire tumultueuse de la région des Grands Lacs, a annoncé vouloir modifier la Constitution qu’il juge «obsolète» et «pas adaptée aux réalités du pays». Une initiative qui n’est pas sans danger pour la cohésion de sa majorité, et qui pourrait réveiller une opposition moribonde, poursuit-il. Christophe Rigaud a pris cependant le temps d’interroger Alphonse Maindo, professeur de sciences politiques à l’Université de Kisangani. Contrairement à l’UDPS, le parti au pouvoir, qui motive la révision ou changement de la Constitution pour donner plus de marges au Chef de l’Etat, le prof Maindo balaie cette thèse : «La Constitution donne déjà beaucoup de pouvoir au Président pour agir ». Décryptage avec Christophe Rigaud.
Fin de suspens à Kisangani. Le ballon d’essai sur une possible révision constitutionnelle lancé par le patron du parti présidentiel, Augustin Kabuya, a été validé par le président lui-même lors d’un meeting dans la capitale provinciale de la Tshopo. Félix Tshisekedi a enfoncé le clou, affirmant que l’actuelle Constitution n’était «pas bonne» et avait été «rédigée à l’étranger par des étrangers». Pour le Chef de l’Etat, la loi fondamentale «n’est pas adaptée aux réalités du pays» et souhaite qu’une commission soit mise place dès 2025 pour réfléchir à sa révision. Dans l’oreille des Congolais, ce débat récurrent est une petite musique qu’ils connaissent trop bien.
En 2016, Joseph Kabila, au crépuscule de son dernier mandat, avait été accusé de vouloir changer la Constitution pour s’offrir un troisième mandat et s’accrocher au pouvoir. Si Félix Tshisekedi n’a donné aucun détail sur les articles susceptibles d’être révisés, tout le monde pense à une possible modification du nombre des mandats présidentiels, limités à deux, et à la durée des mandats, fixée à 5 ans. Ces dispositions étant verrouillées, seul un référendum permettrait de pouvoir les modifier.
Sur ce point, Félix Tshisekedi n’a pas vraiment rassuré depuis la tribune de Kisangani, puisque le chef de l’Etat a précisé que sur le nombre de mandats et leur durée, seul le peuple pouvait en décider. La porte est donc ouverte à une consultation populaire. Le président par intérim du parti présidentiel souhaite clairement toucher aux articles verrouillés. Il y a deux semaines, il a lancé une très opportune «campagne de sensibilisation » pour promouvoir un projet de révision de la Constitution. Pour le patron de l’UDPS, la Constitution est responsable de la trop lente installation des institutions après les élections et laisserait moins de temps au président pour gouverner.
«C’EST UN PRETEXTE POUR GARDER LE POUVOIR LE PLUS LONGTEMPS POSSIBLE»
Pour Alphonse Maindo, professeur de science politique à l’Université de Kisangani et proche de l’opposition, les arguments d’une Constitution qui ne serait « plus adaptée aux réalités congolaises » ne tiennent pas la route. « C’est du déjà vu et entendu. Tous les dictateurs africains ont déjà utilisé les mêmes discours. Le parti unique de Mobutu avait été créé avec le même argument. On a le plus souvent révisé des Constitutions pour créer des partis uniques. C’est un prétexte pour garder le pouvoir le plus longtemps possible ».
Quant à une Constitution qui bloquerait l’action du Chef de l’Etat, le politologue estime «qu’on n’a pas besoin de changer la Constitution pour résoudre les problèmes du Congo, qui sont connus de tous. On oublie les priorités d’aujourd’hui. Une partie du pays est occupée par les rebelles du M23 et les forces armées rwandaises. Il y a aussi l’Ituri qui est ingouvernable, en coupe réglée par les miliciens. Il y a les problèmes économiques, l’accès à l’éducation, à la santé, à des infrastructures pour se déplacer, à de l’emploi pour les jeunes… De tous ces problèmes, je ne vois pas en quoi cette Constitution ne serait pas adaptée. C’est un faux diagnostic. Le Constitution donne déjà beaucoup de pouvoir au Président pour agir ».
«UN FAUX PROBLEME»
Pourtant, dans le camp présidentiel, on multiplie les arguments qui justifieraient de modifier la loi fondamentale. Selon les caciques de l’UDPS, le texte actuel permettrait de pouvoir renoncer à une partie de la souveraineté de la République démocratique du Congo (RDC). Un raisonnement qui fait mouche chez de nombreux Congolais, alors que la rébellion du M23 occupe de vastes territoires du Nord-Kivu et que la population redoute une « balkanisation » de l’Est congolais par les rebelles et leur parrain rwandais.
«C’est un article de la Constitution de 1964, nous explique Alphonse Maindo, dont un des rédacteurs était le propre père du président actuel. Une disposition que l’on retrouve encore aujourd’hui dans la dernière Constitution. Mais on se trompe. Cela veut simplement dire que le Congo pourrait, par exemple, renoncer à sa monnaie pour une monnaie commune, comme l’Union européenne. Ou alors renoncer aux contrôles frontaliers pour la libre circulation des biens et des personnes dans un espace comme l’East african community (EAC), ou comme la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CIRGL). C’est un faux problème ».
RETOUR A LA CRISE PRE-ELECTORALE DE 2016 ?
Le débat sur la révision de la Constitution peut-elle faire retomber la RDC dans l’instabilité ? En 2015-2016, la crise politique autour de l’intention de Joseph Kabila de briguer un troisième mandat interdit par la Constitution avait tendu le pays pendant de longs mois et plongé la capitale dans un cycle de manifestation-répression très violente qui avait causé la mort d’une centaine de personnes. L’initiative du président Tshisekedi de toucher à la Constitution n’est pas sans risques. Il y a tout d’abord le danger de réveiller une opposition moribonde qui pourrait se saisir de cette occasion en or pour se remobiliser autour d’une cause commune. « On parle de révision de la Constitution, mais pour moi, ce sera une nouvelle Constitution, s’inquiète Alphonse Maindo. Ce type de projet risque de crisper la population et de favoriser les rébellions et tous les mécontents du régime en place. Félix Tshisekedi donne de l’eau au moulin de tous ceux qui souhaitent la chute de ce régime par des moyens légaux ou non ».
FUTURES CRISPATIONS AU SEIN DE L’UNION SACREE
Réviser la Constitution, ou initier un référendum pour modifier la durée ou le nombre de mandats présidentiels, risque également de faire imploser l’Union sacrée (USN), dont la composition hétéroclite est des plus fragiles. Certains des alliés politiques incontournables de Félix Tshisekedi comme Vital Kamerhe, Jean-Pierre Bemba ou Sama Lukonde, dont les ambitions présidentielles ne sont un secret pour personne, seraient alors tentés de quitter le navire.
Pour l’instant, aucun des caciques ne s’est exprimé sur le sujet. Une prudence qui montre l’embarras de ses piliers de la majorité qui viennent à peine d’entamer le second mandat de Félix Tshisekedi. Pour ménager la cohésion de sa coalition, Félix Tshisekedi sera sans doute amené à faire durer le suspens d’une révision de la Constitution tout au long de son mandat. Pour le politologue Alphonse Maindo, le chef de l’Etat a peut-être un autre scénario en tête : «Créer une crise politique qui pourrait lui permettre de provoquer des négociations et un «glissement» du calendrier électoral, comme Joseph Kabila en 2016, et gagner ainsi quelques mois, ou quelques années de plus au pouvoir ».
Avec Christophe Rigaud (Afrikarabia)
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