Un grand mystère entoure les rapports, généralement tendus, entre Kinshasa et Kigali. La journée du mardi 5 novembre a encore donné une preuve éloquente de cette affirmation, au regard du spectacle qui s’est déroulé simultanément à Genève (Suisse) et à Goma (Est de la RDC). Si à Genève, des échanges ont été extrêmement virulents entre le Porte-parole du Gouvernement, Patrick Muyaya Katembwe, et le représentant du Rwanda au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, à Goma, par contre, le chef de la diplomatie rwandaise, Olivier Nduhungirehe, a eu droit à un accueil respectable à la réunion du Mécanisme conjoint ad hoc renforcé qu’a présidé le ministre angolais des Affaires étrangères, Teté Antonio, aux côtés de Mme Thérèse Kayikwamba Wagner, cheffe de la diplomatie de la RDC. Le clash de Genève a donc été compensé par les chaudes accolades de Goma. Kinshasa et Kigali ne cesseront jamais de nous étonner.
La complexité des relations entre Kinshasa et Kigali continue de dérouter. Ce mardi 5 novembre en a été une nouvelle illustration éclatante, à travers deux scènes diplomatiques en apparence contradictoires, l’une se déroulant à Genève (Suisse), l’autre à Goma, en République démocratique du Congo. Entre affrontement virulent et embrassades diplomatiques, la journée a révélé toute l’ambiguïté d’un dialogue tendu entre les deux nations.
À Genève, devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, les échanges entre le porte-parole du Gouvernement congolais, Patrick Muyaya Katembwe, et le représentant du Rwanda ont été particulièrement animés.
Les accusations fusent entre les deux pays sur des sujets tels que la sécurité dans la région des Grands Lacs et les violations des droits humains.
Patrick Muyaya n’a pas mâché ses mots face au représentant rwandais, rappelant les accusations de Kinshasa concernant le soutien présumé de Kigali aux groupes armés actifs dans l’Est de la RDC, un dossier extrêmement sensible et conflictuel qui empoisonne leurs relations depuis des années.
A Genève, Patrick Muyaya n’a pas été tendre envers le Rwanda : « On ne peut pas, au vu de toutes les déclarations qui ont été dites ici, présenter les faits sans en déterminer les causes et les origines parce qu’ici, nous voulons nous assurer que la République Démocratique du Congo continue sa marche vers la protection et la promotion des droits de l’homme. Les faits qui ont été allégués tout à l’heure, évidemment, M. le Président, on ne va pas utiliser ces cadres pour nous enfoncer dans la polémique avec la rhétorique mensongère habituelle. Il est connu mondialement que le respect des droits de l’homme n’est pas toujours la question qui est suivie de près du côté du Rwanda». Avant d’asséner le coup fatal : «Il est connu mondialement que le respect des droits de l’homme n’est pas toujours la question qui est suivie de près du côté du Rwanda».
La réplique du représentant du Rwanda au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU n’a pas tardé : «La RDC n’a pas de leçon à donner au Rwanda lorsqu’il s’agit des questions portant sur les droits de l’homme». Et d’ajouter : «Le Conseil des droits de l’homme n’est pas l’instance dans laquelle des questions bilatérales doivent être abordées».
Craignant que les échanges ne virent au pugilat, le vice-président du Conseil a recadré les deux parties en ces termes : «J’aimerais vous rappeler à toutes et à tous que le Conseil des droits de l’homme et le processus de l’EPU n’est pas l’instance dans laquelle des questions politiques et territoriales bilatérales doivent être abordées. Il s’agit d’aborder des questions relatives aux droits de l’homme à la lumière du rapport et des déclarations. Ainsi, j’en appelle à tous les orateurs à exprimer leurs déclarations de manière respectueuse et à ne pas mentionner des questions bilatérales ou territoriales».
UNE SCENE CONTRASTEE A GOMA
Pendant que l’ambiance à Genève tournait à l’affrontement diplomatique, le chef de la diplomatie rwandaise, présent à Goma, recevait un accueil bien différent. Dans la ville frontalière, il participait au Mécanisme conjoint ad hoc renforcé, une structure de dialogue entre les pays de la région, présidée par le ministre angolais des Affaires étrangères, Teté Antonio.
Ce mécanisme vise à rétablir la sécurité et la coopération dans la région des Grands Lacs, durement touchée par des décennies de conflits.
À Goma, l’atmosphère était, contre toute attente, cordiale, laissant entrevoir une possible détente entre la RDC et le Rwanda. Le ministre angolais a encouragé une approche diplomatique renforcée entre les parties, exhortant chacun à des concessions et à la coopération pour faire face aux défis communs. Les échanges ont été ponctués de gestes amicaux entre les délégués de chaque pays, contrastant avec l’animosité observée plus tôt à Genève. Les images de sourires et d’accolades, diffusées dans les médias locaux, ont surpris une opinion publique peu habituée à une telle cordialité entre les deux voisins.
Cité sur le compte X de Rwanda Broadcasting Agency (RBA), la chaîne publique rwandaise, le chef de la diplomatie rwandaise, Olivier Nduhungirehe, a joué à l’apaisement : «Donc nous sommes ici (Ndlr : Goma) pour la paix, pour qu’il y ait un mécanisme de vérification de cessez-le-feu qui a été convenu le 4 août 2024 et qui doit être respecté». Il a réitère la détermination du Rwanda à «œuvrer pour la paix dans la sous-région».
UN JEU DIPLOMATIQUE OSCILLANT ENTRE HOSTILITE ET RAPPROCHEMENT
Le contraste de la journée souligne l’ambivalence des rapports entre Kinshasa et Kigali. D’un côté, les prises de position sont musclées, comme l’a montré l’échange de Genève, où le gouvernement congolais n’a pas hésité à dénoncer les actions rwandaises sur la scène internationale.
De l’autre, le cadre du Mécanisme con joint permet d’envisager une voie diplomatique de dialogue et de coopération.
Cette dynamique a cependant des limites, et l’accueil de Goma pourrait bien être un simple geste de circonstance dans une relation fondamentalement conflictuelle.
Les observateurs politiques notent que cette dualité des relationspeut être interprétée comme une stratégie des deux pays pour protéger leurs intérêts tout en maintenant des apparences diplomatiques. Kinshasa et Kigali savent qu’ils sont condamnés à coexister, malgré leurs divergences profondes, et semblent jongler entre l’affrontement et l’apaisement pour préserver un équilibre fragile. La présence de l’Angola dans les négociations de Goma, en tant que médiateur, témoigne aussi de l’importance régionale de ce dialogue et du rôle stratégique que joue l’Angola pour désamorcer les tensions.
LA STABILITE REGIONALE, UN ENJEU DE TAILLE
Les récents affrontements verbaux et les tentatives de rapprochement interviennent dans un contexte sécuritaire tendu dans l’Est de la RDC, où la population subit de graves conséquences des conflits entre groupes armés. Le soutien présumé du Rwanda à certains de ces groupes reste l’une des accusations les plus sérieuses formulées par Kinshasa, accentuant la méfiance et les tensions frontalières.
Les dialogues et rencontres, qu’elles soient conflictuelles ou apaisées, soulignent que la stabilité régionale est cruciale pour la RDC et le Rwanda, dont les économies et la sécurité intérieure sont interconnectées.
En fin de compte, cette journée chargée en diplomatie démontre à quel point les relations entre Kinshasa et Kigali oscillent entre hostilité ouverte et tentatives de rapprochement. Un équilibre délicat qui laisse une fois de plus les observateurs et la population congolaise dans l’incertitude.
Econews