Les Conglomérats, une concurrence déloyale pour les PME : la lecture du prof Noël Tshiani

Prof Noël Tshiani K. Muadiamvita

Au deuxième jour du 10e Forum Makutano, la question de l’impact de grands conglomérats sur les petites et moyennes entreprises (PME) a été au cœur des débats autour de la question posée au professeur Noël Tshiani Muadiamvita : « Est-ce que les  conglomérats constituent une concurrence déloyale pour les PME ? 

Dans un contexte économique dominé par de puissants groupes financiers, le professeur Noël Tshiani a mis en lumière les risques de concurrence déloyale auxquels sont confrontées les PME, insistant sur l’urgence de définir une stratégie de développement financier adaptée.

Intervenant lors d’un panel d’experts, Noël Tshiani, spécialiste en économie et finances, a soulevé des préoccupations majeures quant à la montée en puissance des conglomérats qui, selon lui, évincent souvent les petites entreprises locales. Il a ainsi plaidé pour une « Stratégie de développement du secteur financier soigneusement et consciencieusement conçue », autour d’un plan structuré en dix points, visant à garantir un environnement de marché plus équilibré, équitable et accessible aux PME.

Voici sa lecture des faits.

Econews

Prof Noël Tshiani à Makutano 2024 : « Est-ce que les  conglomérats constituent une concurrence déloyale pour les PME ? » 

Madame la Modératrice,

Très Chers Compatriotes,

Distingués Invités et Participants,

Avant de répondre à la question, Il est primordial de retenir que l’objectif d’un système financier est de mobiliser des ressources à mettre à la disposition de ses clients afin de répondre à leurs besoins financiers. Ces clients sont : (a) les entreprises privées ou publiques évoluant dans des secteurs différents; (b) les ménages ou les individus; (c)  l’Etat, le gouvernement, les institutions publiques ou les collectivités territoriales décentralisées; (d) les petites et moyennes entreprises ou les PME et enfin (e) les organismes nationaux et internationaux. Un système financier fonctionnel est celui qui permet à chacune de ces différentes catégories de clients de trouver de solutions satisfaisantes à ses besoins financiers. En d’autres termes, un mauvais système financier ne permet pas à chacun des intervenants ou à chacun des acteurs du marché de trouver de solutions idoines à ses besoins.

Cela étant, s’il faut anticipativement répondre à la question, je peux affirmer qu’il n’y a pas de concurrence déloyale entre les conglomérats et les PME car les banques choisissent leurs clients en fonction de leurs objectifs de maximisation des profits, de minimisation des risques et d’allocation des ressources disponibles dans un environnement incertain. Si les conglomérats répondent à ce profil recherché par les banques, c’est eux qui s’accapareraient de la part du lion des financements bancaires. Mais si ce sont les PME qui répondent à ce profil, elles ne souffriraient d’aucune discrimination de la part des banques car ces dernières sont à la recherche des clients crédibles et présentant un profil de risque acceptable permettant de minimiser le risque de non remboursement.

Quel est le diagnostic du système financier congolais?

Le système financier de la RDC est composé des 15 banques presque toutes étrangères, quelques compagnies d’assurance, et des institutions financières non bancaires parmi lesquelles les microfinances. Le système bancaire est confronté à plusieurs défis parmi lesquels l’insuffisance d’institutions solides et capables de financer tous les secteurs de l’économie et soutenir le développement du pays; un environnement juridique, politique et macroéconomique peu rassurant; un nombre limité de clients de qualité; l’instabilité monétaire  dans un contexte de dualité de la monnaie et la pauvreté généralisée de la population.

Le secteur financier en RDC reste donc très sous-développé. Les prêts des banques au secteur privé représentent seulement 9 % du produit intérieur brut (PIB) de $70 milliards de la RD Congo en 2023, soit l’une des plus faibles contributions au plan africain où la moyenne se situe  entre 25 et 28% du PIB comme on peut l’observer sur le tableau des indicateurs clés.

Les micros, les petites et moyennes entreprises ainsi que les ménages à faible revenu n’utilisent pas suffisamment les services financiers formels qui sont très limités et inaccessibles à la grande majorité des ménages et des PME dans une très grande partie du pays. Et pourtant, le recours à ces services financiers est une condition essentielle, indispensable à une croissance économique durable dont bénéficieraient aussi les PME et les couches les plus pauvres de la population. Une offre durable de services financiers et leur utilisation responsable favoriserait le développement économique en rendant possibles des investissements dans la santé, l’éducation, les activités génératrices de revenus et les Petites et Moyennes Entreprises. A ce jour, 74 % d’environ 50 millions d’adultes sont toujours exclus du système financier formel et partant, sont limités dans la création et le développement de leurs activités économiques, y compris les PME.

La politique monétaire pratiquée par la Banque Centrale du Congo est le plus grand assassin des PME et de l’économie. Le taux directeur de la BCC actuellement de 25% par an est l’un des  élevés d’Afrique et du monde. Avec un tel niveau de taux directeur, les taux d’intérêt des banques commerciales se situent entre 30 et 40% par an. Aucune PME ou entreprise ne peut emprunter et survivre pendant longtemps à ce niveau de taux d’intérêt.  Par conséquent, le plus grand défi du gouvernement et de la Banque Centrale du Congo doit être d’une part de revoir la politique des taux d’intérêt et d’autre part de repenser le système financier national pour qu’il devienne un soutien à l’économie, au secteur privé, aux conglomérats, aux ménages, aux individus et a l’Etat dans la recherche des financements ou des solutions appropriées à ses problèmes afin d’espérer atteindre une croissance économique rapide, équilibrée et durable.

Quelles sont les pistes de solution ?

Les solutions aux défis que je viens d’identifier ne peuvent être méthodiquement réalisées qu’à travers la mise en œuvre d’une Stratégie de développement du secteur financier soigneusement et consciencieusement conçues pendant plusieurs années par une équipe de professionnels experts dans les domaines des banques et de la finance.

Voici quelques grandes lignes en luminaire d’une telle stratégie de développement du secteur financier qui comprendrait plusieurs composantes complémentaires telles que :

1) la réforme monétaire permettant d’enterrer la circulation du dollar et de favoriser l’émergence d’une monnaie nationale crédible qui serait assise sur des fondamentaux irréversibles telles des émissions monétaires sur base des réserves internationales et des réserves en or et d’autres matières premières stratégiques ;

2) une réforme profonde de la Banque Centrale du Congo pour qu’elle soit plus audible et plus crédible, et qu’elle joue le rôle de catalyseur pour le développement de ce secteur qui semble être un orphelin;

3) un soutien ouvert aux banques commerciales existantes pour qu’elles aient plus de muscles financiers au-delà des fonds propres de $1,6 milliards (trop petits pour faire la différence) et un actionnariat diversité incluant aussi les congolais de façon à contribuer de manière  accrue au financement de l’économie ;

4) l’implication de l’Etat et de la Banque Centrale du Congo pour l’émergence de trois à quatre grandes banques (publiques ou mixtes) dans des secteurs différents : banque universelle, banque de l’habitat, banque de financement de l’agriculture, la Cadeco (restructurée en banque universelle pour prendre avantage de son réseau d’agences dans tout le pays), et une grande banque de financement des investissements ou banque de développement qui absorberait le FPI, la Sofide et serait suffisamment capitalisée pour obtenir la notation AAA de la part des agences de notation comme Standard and Poor, Fitch ou Moody’s. Ceci lui permettait de lever facilement des ressources sur les marchés financiers pour financer de gros projets de développement.

5) la mise en place d’un marché financier incluant entre autres la bourse des valeurs mobilières et de certaines institutions spécialisées telles que le leasing ;

6) la mise en place d’une institution ou d’un mécanisme d’assurance des dépôts bancaires pour maintenir la confiance du public dans les banques après les pertes sèches enregistrées par les déposants après les faillites et liquidations de la BIAC, de la Banque Congolaise, de la Banque de Kinshasa et de la Banque Congolaise du Commerce Extérieur ;

7) la création ou la mise en place d’un véritable centre financier qui comprendrait tous les institutions, produits et services financiers et occuperait le quartier allant du centre financier actuel jusqu’à Batetela; c’est ici l’occasion d’envisager la mise en place de la Bourse des Valeurs Mobilières et de la Bourse des Matières Premières. Ceci s’accompagnerait du développement du marché primaire et secondaire ainsi que du marché de la dette avec la mise en place des institutions et politiques y afférentes.

8) Lutte contre les abus des banques et institutions financières notamment à travers la mise en place d’une institution ou d’une direction de protection des consommateurs pour mener des enquêtes sur les dénonciations et sanctionner les institutions récalcitrantes.

9)  l’aide aux PME à bénéficier des financements des banques commerciales à travers les actions ci-après : a) assistance technique et accompagnement par une institution dédiée; b) facilitation pour l’obtention d’une pièce d’identité telle que la Carte d’identité ; c) opérationnalisation de la Centrale de Crédit et des risques au niveau de la BCC ; et d) la création d’un fonds de garantie pour soutenir les PME à travers des garanties partielles des risques; et e) octroi des allègements fiscaux pour encourager les PME à se formaliser, sans la menace immédiate d’une fiscalisation excessive. 

10) la mise en place d’un système de paiement fonctionnel réunissant les caractéristiques de rapidité, de sûreté, de fiabilité et de couverture nationale : ce système de paiement doit inclure non seulement le partage par toutes les banques du pays des distributeurs automatiques, mais aussi la compensation des chèques et autres instruments financiers.

Je m’arrête ici. On pourra approfondir certaines de ces questions dans la partie des questions et réponses.

Je vous remercie pour votre attention

Professeur Noël K. Tshiani Muadiamvita

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