La flambée des prix du gaz divise l’Europe

La hausse atteint 300% pour l’ensemble de l’Europe, ce qui pousse les décideurs européens à chercher des solutions fiscales de court terme. Les solutions de plus long terme sont en revanche complètement ignorées…

L’Europe espère que l’hiver ne sera pas froid. Alors que le continent lutte contre la pandémie de Covid-19, qu’il est confronté à une crise croissante de l’électricité et qu’il est engagé dans une bataille interne sur la portée de son action en matière de changement climatique, l’Europe doit maintenant faire face aux prix du gaz naturel les plus élevés depuis des décennies.

Les hausses de prix sont attribuables à de multiples causes, et elles pourraient avoir d’énormes répercussions sur les efforts déployés pour lutter contre le changement climatique, voire sur le paysage politique global.

Il est difficile de chiffrer exactement les augmentations de coûts, car chaque nation européenne taxe l’énergie à des taux différents et a des accords d’achat variables pour les livraisons de gaz naturel.

En France, de nombreux consommateurs ont traditionnellement opté pour le chauffage au gaz en raison des prix élevés de l’électricité. Ce calcul pourrait s’avérer coûteux cet hiver.

Aux Pays-Bas, les prix devraient atteindre près de huit fois le niveau de 2020. Le gouvernement grec a calculé que l’hiver 2021-22 coûtera aux consommateurs 100 Mds€ supplémentaires en énergie.

Dans l’ensemble, les prix du gaz en Europe ont augmenté de 300%, frôlant les 80 € par mégawatt/heure, contre 20 € en moyenne ces dernières années.

Cette tendance a poussé les dirigeants européens à chercher des solutions. Avec la montée de l’inflation, qui touche tout, de la nourriture à l’électronique, la crainte est que les populations qui ont besoin d’utiliser leur voiture pour aller travailler suffoquent sous la flambée des prix de l’essence, tandis que ceux qui télétravaillent de chez eux voient leur facture de chauffage exploser. Avec, dans les deux cas, toutes les conséquences politiques que cela pourrait entraîner.

Des réactions politiques variées

En France, l’explosion des prix de gaz, mélangée avec une continuation ou même une aggravation des mesures anti-Covid, sera un boost pour la campagne d’Eric Zemmour. Il a été un fervent critique des restrictions liées au Covid, et des politiques environnementales qui augmentent le prix des combustibles fossiles. Si le pays devait connaître un hiver rude et coûteux, et si l’extrême-droite devait unir ses forces, alors Paris pourrait chanter un autre air politique en avril prochain.

Le gouvernement français a réagi à la crise en deux temps. D’abord, en réduisant les taxes sur les fournisseurs d’énergie, puis en remettant des chèques de 100 € aux personnes à faibles revenus pour qu’elles puissent se procurer du gaz ou de l’essence.

Ailleurs en Europe, les gouvernements tirent également la sonnette d’alarme. La Grèce, l’Italie, le Portugal, la Slovénie et l’Espagne ont également mis en place des réductions d’impôts ciblées pour faire face aux prix de l’énergie.

Le gouvernement espagnol tente d’assurer aux consommateurs que les prix de l’électricité devraient bientôt tomber sous les niveaux de 2018, et souligne simultanément au Conseil européen que l’UE devrait envisager des achats communs de gaz naturel afin d’accroître son pouvoir de négociation.

L’Allemagne s’est opposée à de telles fins, notamment parce qu’elle est sur le point de terminer un nouveau gazoduc avec la Russie, ce qui la place dans une position plus confortable.

Quel rôle joue la Russie ?

Entretemps, les législateurs du Parlement européen ont demandé à la Commission européenne d’enquêter sur le rôle de la Russie dans la flambée des prix, dont elle bénéficie. Le président russe Vladimir Poutine avait d’abord promis d’augmenter les livraisons de gaz à l’Europe, avant de revenir sur cette décision peu après. Poutine accuse plutôt les politiques vertes de l’Europe d’être à l’origine de ses problèmes actuels.

S’il est vrai que la Russie profite financièrement de la flambée des prix, il est aussi politiquement trop facile pour les États européens de rejeter toute la responsabilité sur Poutine. Le stockage de gaz européen est à son plus bas niveau depuis dix ans ; les stocks de gaz de l’UE-27 et du Royaume-Uni n’étaient qu’à 72% de leur capacité, contre 94% en 2020.

Il est probable que l’UE a misé sur le fait que les restrictions liées à la pandémie dureraient plus longtemps, mais que, avec la reprise des concerts et de l’industrie manufacturière, la demande a dépassé ses propres projections. Une autre raison du stockage historiquement bas est le fait qu’en 2020, les prix du gaz naturel ont atteint un niveau bas record, ce qui signifie que son stockage est devenu plus coûteux que son achat.

En outre, l’énergie éolienne a enregistré de mauvais résultats en 2021, ce qui a accru le besoin de centrales à gaz pour produire de l’électricité. Selon Bloomberg, 80% des exportations quotidiennes de la Russie sont déjà pompées vers l’Europe occidentale.

Les règles environnementales augmentent la pression

Pendant ce temps, l’UE met en place de nouvelles règles environnementales pour renforcer ses ambitions dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat de 2015. Ironiquement, alors que les gouvernements européens réduisent les taxes et subventionnent les citoyens pour qu’ils achètent du gaz, l’UE prépare des mécanismes de tarification qui augmenteront le prix de l’utilisation des combustibles fossiles.

Toutefois, si certains Européens de l’Ouest améliorent l’isolation de leur logement et adoptent des pompes à chaleur, la majeure partie du continent européen est loin d’atteindre les objectifs ambitieux de réduction de la consommation d’énergie fixés par Bruxelles.

La Pologne a déjà demandé l’annulation ou le report de certaines politiques de lutte contre le changement climatique en raison de la flambée des prix du gaz. A titre de référence, les températures les plus basses en Pologne peuvent atteindre -25/-30°C. En comparaison, les températures les plus basses aux Pays-Bas se situent autour de -3°C. En Belgique, où se trouvent les institutions européennes, les températures descendent rarement en dessous du point de congélation.

Quelle que soit l’intensité de l’hiver en Europe, une chose est sûre : alors que le parti vert allemand est toujours en pourparlers pour former une coalition gouvernementale depuis les récentes élections parlementaires, que la France se prépare à une course présidentielle controversée et que le Conseil européen se dispute sur la politique énergétique, les humeurs politiques vont certainement devenir glaciales dans les mois à venir.

Bill Wirtz (Chronique Agora)