Le Royaume-Uni, historiquement l’un des alliés les plus fidèles du Rwanda, opère un virage diplomatique inédit. Dans une déclaration datée du 25 février 2025, Londres prend publiquement ses distances vis-à-vis de Paul Kagame, l’homme fort de Kigali, marquant une rupture symbolique avec un régime longtemps épargné par les critiques occidentales. Ce revirement, aux airs de désaveu, remet en question les équilibres régionaux et isole un peu plus le président rwandais, accusé depuis des années d’alimenter les conflits en République Démocratique du Congo. La fin d’une lune de miel géopolitique ?
Depuis trois décennies, le président rwandais Paul Kagame a habilement tissé une légitimité internationale sur les cendres du génocide de 1994. En brandissant le traumatisme de ce crime contre l’humanité, il a verrouillé toute critique, justifié une répression brutale à l’intérieur de ses frontières et légitimé des ingérences déstabilisatrices dans la région des Grands Lacs. Mais aujourd’hui, le rideau se déchire. Le mythe s’effrite. Et le monde, enfin, semble prêt à regarder en face les contradictions d’un régime longtemps épargné par les règles du droit international.
Kagame a fait de la mémoire du génocide une arme de dissuasion morale. Qui oserait questionner les actions d’un leader «sauveur » d’un pays meurtri ? Cette narration a permis à Kigali de bénéficier d’une indulgence coupable. Sous couvert de lutte contre le «divisionnisme », le régime a étouffé les oppositions, emprisonné des journalistes et verrouillé le pluralisme. À l’extérieur, il a instrumentalisé la sécurité régionale pour intervenir en République démocratique du Congo (RDC), pillant ses ressources sous prétexte de traquer des «forces génocidaires». Une rhétorique usée jusqu’à la corde, mais qui a longtemps fonctionné.
Pourtant, comme le rappelle l’adage, «mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ». Sauf que les mensonges finissent par s’effriter devant l’accumulation des preuves. Les rapports d’experts de l’ONU, les témoignages de victimes et les investigations journalistiques ont documenté, année après année, le soutien rwandais aux groupes armés congolais, dont le tristement célèbre M23. Cette rébellion, qualifiée de «pantin » par ses détracteurs, a plongé l’Est de la RDC dans un cycle infernal de violences, de déplacements massifs et d’exploitation illégale de minerais.
LE M23 : UNE ERREUR STRATEGIQUE ?
En relançant ouvertement le M23 en 2022, Kagame a cru rééditer les scénarios des années AFDL où l’impunité régnait en maître. Mais le contexte a changé. Les partenaires traditionnels du Rwanda, notamment les États-Unis, le Royaume Uni et certains pays européens, commencent à desserrer l’étreinte d’un soutien inconditionnel. Les preuves de l’implication de Kigali dans les massacres de Goma ou de Rutshuru sont devenues trop criantes pour être ignorées. Même ceux qui fermaient les yeux par calcul géopolitique ou culpabilité post-génocide peinent à justifier l’indéfendable.
Longtemps considéré comme son principal allié, le Royaume-Uni vient de tourner le dos à Kagame. Dans une déclaration datée du 25 février 2025 (en encadré), Londres prend carrément ses distances vis-à-vis de l’homme fort de Kigali.
La rébellion du M23, présentée comme un mouvement « d’autodéfense», essentiellement congolaise, se révèle être un cheval de Troie au service des intérêts économiques et sécuritaires rwandais. Seulement voilà : cette fois, la communauté internationale semble moins dupe. Les pressions se multiplient pour exiger un retrait des troupes rwandaises du sol congolais et un désaveu clair du M23. Même les alliés de Kigali, conscients du risque d’un embrasement régional, appellent à la retenue.
UN TOURNANT HISTORIQUE ?
La lente prise de conscience internationale marque peut-être la fin d’une ère. Les soutiens de Kagame, jadis silencieux par pragmatisme, réalisent que la stabilité des Grands Lacs ne peut se construire sur le dos de la RDC. Les récentes résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, bien que timides, et les sanctions ciblées de l’Union européenne contre des officiels rwandais illustrent ce revirement.
Reste à savoir si ces mesures symboliques préfigurent une vraie rupture. Le Rwanda, habile joueur diplomatique, compte encore des relais influents. Mais l’accumulation des crises – sur les plans sécuritaire, économique et migratoire – rend difficile la perpétuation du statu quo.
L’HEURE DES COMPTES
Paul Kagame se trouve à un carrefour. Le temps où il pouvait invoquer le génocide pour étouffer toute critique est révolu. Les Congolais, excédés par des décennies de souffrances infligées par des proxies régionaux, exigent justice. La jeunesse africaine, connectée et informée, refuse les manipulations historiques. Et le monde, bien que lentement, commence à aligner ses actes sur ses principes affichés.
Une page noire est en train de se tourner dans les Grands Lacs. Non pas parce que Kagame aurait soudainement choisi la rédemption, mais parce que l’impunité a ses limites. L’histoire retiendra que les peuples de la région, par leur résilience, ont forcé le monde à regarder la vérité en face. À présent, il appartient à la communauté internationale de transformer cette prise de conscience en action concrète : justice pour les victimes, soutien à une paix inclusive, et surtout, la fin de deux poids, deux mesures dans la gestion des crises africaines.
A tout prendre, l’ère Kagame n’est pas terminée, mais son logiciel autoritaire et expansionniste rencontre enfin des garde-fous. Gageons que ce tournant amorce une ère où la dignité des Congolais pèsera plus lourd que les calculs géopolitiques.
Econews