Depuis des décennies, le président rwandais Paul Kagame a bâti sa légende sur deux piliers : une reconstruction post-génocide érigée en modèle et un réseau d’alliances internationales savamment entretenu. Mais aujour-d’hui, ce double édifice se fissure. Les Nations Unies, l’Union africaine, et même ses partenaires traditionnels en Occident, ne semblent plus dupes des discours de Kigali. Le Rwanda, longtemps protégé par un récit victimaire et une diplomatie agressive, est désormais désigné comme le principal fauteur de troubles dans la région des Grands Lacs. Pour Kagame, l’heure n’est plus aux manœuvres d’évitement, mais à un choix crucial : embrasser enfin la paix ou risquer de devenir un paria.
Pendant des années aussi, le président rwandais a joué de son statut de « garant de la stabilité » pour justifier l’injustifiable. Les massacres dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), le soutien aux groupes armés comme le M23, la répression politique interne – tout cela était minimisé, voire ignoré, au nom d’un réalpolitik cynique. Les rapports accablants d’experts de l’ONU, documentant l’implication directe de Kigali dans les conflits congolais, étaient enterrés sous des montagnes de dénégations et de contre-accusations.
Mais le vent tourne. En février 2025, la décision du Royaume-Uni – ancien allié indéfectible – de prendre publiquement ses distances avec Kagame a marqué un tournant symbolique. L’Union européenne, sous pression croissante, durcit progressivement son ton. Même l’Union africaine, traditionnellement divisée sur le dossier, évoque désormais ouvertement la nécessité de « responsabiliser les acteurs régionaux ». Le mantra de Kagame, qui consistait à brandir le spectre du génocide pour étouffer toute critique, ne fonctionne plus.
Le président rwandais est aujourd’hui coincé entre deux visions de son héritage. Celle qu’il a cultivée – celle d’un modernisateur intransigeant – et celle que l’Histoire retiendra peut-être : celle d’un stratège impitoyable, artisan de cycles de violence. La question n’est plus de savoir si la pression internationale va s’accentuer, mais quand.
Kagame a une fenêtre étroite pour inverser la tendance. La région des Grands Lacs mérite mieux que des guerres par procuration et des dirigeants arc-boutés sur des logiques de pouvoir du siècle dernier.
Si Kagame persiste dans l’aveuglement, il prend le risque de rejoindre la longue liste des leaders africains dont le refus du changement a conduit au déclin. Mais s’il choisit la voie de la coopération, il pourrait, paradoxalement, sauver son héritage en le réinventant.
Econews