Alors que l’Ouganda renforce militairement sa présence en Ituri et que le Rwanda soutient l’offensive du M23 dans l’Est de la RDC, un pacte de défense entre Kampala et Kigali, scellé dimanche lors d’une rencontre entre le général ougandais Muhoozi Kainerugaba et Paul Kagame, soulève des questions cruciales : la RDC est-elle la grande perdante de cette alliance régionale ? Ce rapprochement ougando-rwandais, orchestré par le fils et héritier présumé de Museveni, alimente les craintes d’un embrasement – et d’une marginalisation de Kinshasa dans un jeu géopolitique aux enjeux explosifs.
Alors que les troupes ougandaises renforcent ouvertement leur présence en Ituri (Est de la RDC), une rencontre dimanche à Kigali entre le général ougandais Muhoozi Kainerugaba et le président rwandais Paul Kagame alimente les spéculations sur un possible realpolitik régionale au détriment de Kinshasa. Selon des informations de l’AFP, les deux hommes ont discuté d’un « pacte de défense» entre leurs pays, ravivant les craintes d’un isolement diplomatique de la République Démocratique du Congo.
Fils du président ougandais Yoweri Museveni (80 ans) et chef des forces armées ougandaises, Muhoozi Kainerugaba a annoncé samedi son intention de signer à Kigali un accord engageant Kampala et Kigali à une défense mutuelle. «Quiconque attaque l’un de nos pays aura déclaré la guerre aux deux pays», a-t-il déclaré, sans préciser si cet accord cible explicitement la RDC.
Cette annonce intervient dans un contexte explosif : les rebelles du M23, soutenus, selon l’ONU et Kinshasa, par le Rwanda, progressent rapidement dans le Nord-Kivu, tandis que l’armée ougandaise (UPDF) étend son emprise en Ituri sous couvert d’opérations contre les ADF.
LA RDC, «DINDON DE LA FARCE» ?
Ces développements relancent une question brûlante : le président Félix Tshisekedi est-il marginalisé dans un jeu d’alliances régionales ?
Alors que la RDC accuse le Rwanda d’agression et réclame un retrait des troupes étrangères de son territoire, le rapprochement entre Kampala et Kigali laisse perplexe. «Ce pacte ressemble à une manoeuvre pour verrouiller les zones d’influence dans l’Est congolais, au mépris de la souveraineté de Kinshasa», analyse un diplomate sous couvert d’anonymat.
Sur le terrain, les signaux sont alarmants. En Ituri, l’UPDF a récemment installé de nouvelles bases près de Bunia, officiellement pour «sécuriser » la frontière. Dans le même temps, le M23 et des soldats rwandais – déguisés en rebelles, selon des rapports d’experts – capturent des localités clés du Nord-Kivu, contraignant des milliers de civils à fuir.
Pour certains observateurs, le timing des discussions entre Muhoozi et Kagame n’est pas anodin : «Ils coordonnent leurs stratégies pendant que la communauté internationale reste silencieuse », dénonce un responsable congolais de la Société civile.
Figure montante de la scène politique ougandaise, Muhoozi incarne un virage agressif. Ses déclarations belliqueuses sur les réseaux sociaux – il a déjà menacé d’«envahir Nairobi en deux semaines» – et sa proximité avec Kagame interrogent sur l’avenir des relations entre la RDC et ses voisins.
Son statut de successeur désigné de Museveni donne un poids particulier à ce pacte, perçu comme une tentative de pérenniser l’influence ougando-rwandaise dans la région.
KINSHASA SOUS PRESSION
Face à ce double front militaire et diplomatique, le gouvernement congolais multiplie les appels à l’aide. Mais l’Union africaine reste divisée, et le soutien international limité à des condamnations verbales. « Tshisekedi est pris en tenaille entre les rebelles, les armées étrangères et les calculs géopolitiques de ses voisins. Ce pacte pourrait sceller une nouvelle donne régionale défavorable à la RDC », avertit un analyste de sécurité basé à Goma.
Alors que les capitales occidentales scrutent ces développements, la question reste entière : Kampala et Kigali préparent-ils un redécoupage de facto de l’Est congolais ? La réponse dépendra de la capacité de Kinshasa à rallier un soutien continental ferme – et à éviter d’être le grand perdant d’un jeu d’échecs dont les règles semblent écrites ailleurs.
Depuis la fin de janvier, le groupe armé antigouvernemental M23 s’est notamment rendu maître – avec ses alliés rwandais – des grandes villes de Goma et Bukavu, après avoir déjà conquis depuis 2021 de vastes pans de cette région riche en ressources naturelles. En 2021, l’armée ougandaise s’est déployée dans le nord-est de la RDC pour assister les forces congolaises contre les rebelles des Forces démocratiques alliés (ADF) affiliés au groupe Etat islamique.
L’OUGANDA ACCUSE DE SOUTENIR
LE M23 L’Ouganda a été accusé par des experts de travailler aussi contre les intérêts de la RDC en soutenant le M23, lui permettant d’utiliser son territoire comme voie d’approvisionnement – des accusations fermement rejetées.
Une source diplomatique estimait la semaine dernière auprès de l’AFP que l’Ouganda compte entre 8.000 et 10.000 soldats en RDC, dont environ 1.000 envoyés à la fin de janvier. Kampala ne donne pas de chiffre exact. Paul Kagame et Yoweri Museveni ont été de proches alliés durant les années 1980-1990, dans la conquête du pouvoir dans leurs pays respectifs, avant de devenir de farouches rivaux, s’accusant mutuellement d’espionnage, d’enlèvements et de soutien à des groupes rebelles.
Le Rwanda avait fermé sa frontière avec son voisin du Nord en 2019, accusant l’Ouganda d’enlever ses ressortissants et de soutenir des rebelles cherchant à renverser M. Kagame. La frontière a été rouverte en 2022 après une rencontre entre Muhoozi Kainerugaba et Paul Kagame, dans un réchauffement des relations diplomatiques entre les pays.
Des analystes craignent que l’escalade dans l’Est de la RDC ne conduise à une répétition de la situation de 1998, lorsque l’Ouganda et le Rwanda soutenaient des groupes rebelles dans la région. Cela a déclenché ce que l’on a appelé la deuxième guerre du Congo (1998-2003), impliquant de nombreux pays africains et entraînant des millions de morts par la violence, les maladies et la famine.
HUGO TAMUSA