USA VS cHINE 1

Conflit tarifaire sino-américain : entre vulnérabilité et opportunités pour la RD Congo

Alors que la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis s’intensifie, la République Démocratique du Congo (RD Congo), pivot stratégique pour ses ressources minières comme le cobalt et le cuivre, se retrouve tiraillée entre vulnérabilités économiques et opportunités inédites. Exposée aux soubresauts des marchés mondiaux et aux pressions des deux géants, la RD Congo pourrait voir sa dépendance aux exportations de matières premières se renforcer… ou saisir ce contexte tendu pour diversifier ses alliances, valoriser ses minerais et accélérer son industrialisation. Entre risque de marginalisation et promesse d’émancipation, le pays incarne le dilemme des économies africaines dans un ordre mondial fracturé, où chaque crise recèle un potentiel de transformation. Un équilibre complexe, mais crucial, pour faire de ses richesses un levier de souveraineté plutôt qu’une malédiction. Décryptage avec Nzuka Mapengo, dit « Big Master ».

« La nouvelle politique industrielle des États-Unis remet les pendules de la globalisation à l’heure. Elle représente une opportunité à saisir », alerte Papa Demba Thiam, économiste du développement.

QUAND LES ELEPHANTS SE BATTENT

Depuis son avènement, la nouvelle administration américaine ne cesse de surprendre le monde. À la manière des Cow-boys à la conquête des terres indiennes sans respect pour les vies fauchées, ou plus récemment, à la manière réfléchie et scientifique pour gagner la guerre de l’espace, l’Amérique adopte des positions qui ne cessent de surprendre. Les annonces sont retentissantes :

– L’annexion du Canada comme le 51ème Etat des USA ;

– La colonisation du Groenland ;

– La déportation brutale des immigrés en situation irrégulière ou en voie de régularisation, particulièrement ceux de l’Amérique latine :

– L’augmentation des tarifs douaniers par l’accroissement sélectif des taux de douane.

Passant des annonces à l’action, l’administration américaine vient de décréter l’augmentation des droits des douanes sur les importations en provenance de certains pays. Appliquées de manière modérée au Canada et au Mexique, ces mesures concernent désormais presque tous les produits importés principalement de la Chine et de l’Union européenne.

En effet, depuis le 2 avril, les USA ont annoncé une série de nouvelles augmentations tarifaires visant à protéger l’industrie manufacturière américaine et à corriger les déséquilibres commerciaux. Ces mesures se déclinent comme suit :

– Un tarif plancher, commun imposant un droit de douane de 10% sur toutes les importations ;

– Des tarifs spécifiques par pays, qui pourraient s’apparenter aux barrières commerciales. Pour ce faire, la nouvelle grille impose à 34% les produits chinois, à 20% les produits venant de l’Union Européenne, 24% pour ceux venant du Japon, 25% et 46% pour ceux venant respectivement de la Corée du Sud et du Vietnam.

Pour ce qui apparait comme un cauchemar pour les autres, en annonçant ces mesures, le Président américain a parlé du « Jour de la libération » et de la « déclaration d’indépendance économique » des USA.

Avec un regard de scrutateur, le grand économiste Africain, Papa Demba Thiam, affirme que ces mesures remettent les pendules de la globalisation à l’heure. Selon lui, il s’agirait plutôt d’une politique visant la réindustrialisation des États-Unis par le rapatriement de la production industrielle autrefois délocalisée vers des pays dits à marchés émergents, dont les économies se sont très vite développées sur la désindustrialisation des Etats-Unis.

Face à ces mesures, l’Union européenne n’a que ses larmes à essuyer : des annonces diplomatiques, des qualifications certes tranchantes, mais qui restent sans suite, malgré les promesses de riposter de manière appropriée. « Un coup majeur porté à l’économie mondiale ». Tels sont les propos de Mme Ursula, la Présidente de la Commission européenne. Des mesures « brutales et infondées », s’est limité à dire le Président français Emmanuel Macron.

C’est à croire que les Européens ont oublié que le règlement des différends du commerce international relève de l’Organisation Mondiale de Commerce (OMC) dont le siège est chez eux, à Genève. Aucun acte n’a été posé pour activer cet instrument majeur du commerce. Une exception, la Chine.

CHINE, SEULE PUISSANCE ECONOMIQUE CAPABLE D’UNE GUERRE DE RETORSION AVEC LES US

En effet, cette dernière a déposé une plainte officielle contre les USA auprès de l’OMC pour violation des règles commerciales. Bien entendu, la Chine, en représailles, a annoncé l’imposition d’un tarif additionnel de 34% sur toutes les importations en provenance de USA et a restreint ses exportations de certaines terres rares, indispensables à la transition énergétique et particulièrement essentielles pour la fabrication des produits exigeant une technologie de pointe.

Le monde est donc parti pour la fin du consensus de Washingtons qui avait instauré l’accalmie dans le commerce international et la globalisation. Les mesures de rétorsion de la Chine reflètent bien la fermeté de cette dernière et intensifie les tensions dans la guerre commerciale entre les deux plus grandes économies du monde.

La Chine est la seule puissance économique au monde capable de mener une guerre de rétorsion directe contre les USA, d’autant plus que son PIB estimé en 2023 dépasse celui des USA : 31.230 milliards USD contre 24.977 milliards USD (selon le CIA World factbook). On note dans le même document que la dette publique américaine représente 114% de son PIB, tandis que celle de la Chine se situe en dessous de 50% de son PIB.

Comme on le voit, dans cette guerre tarifaire, les puissances ripostent, les discours fusent, les taxes s’empilent. Mais en arrière-plan, des économies plus fragiles notamment celle de la République Démocratique du Congo risquent de faire les frais de ce duel entre superpuissances.

KINSHASA TREMBLE

La République Démocratique du Congo va se retrouver, comme souvent, prise entre deux feux. À la fois dépendante de ses exportations de minerais et de ses importations de biens manufacturés, le pays pourrait être durement touché par les répercussions indirectes du conflit. Elle sera victime de la bataille des éléphants.

La peur suscitée par cette guerre latente mais certaine est palpable à Kinshasa, car la RDC commerce avec les deux géants et se retrouve au milieu de la lutte sur le contrôle des minerais stratégiques. Les faits sont indéniables et visibles : avant-hier, la Chine a renforcé la récupération des minerais de la RD Congo pour une exportation via sa nouvelle route de la soie, tandis que, hier, les USA ont approché la RD Congo pour lui offrir une nouvelle route d’évacuation de ses minerais, le corridor de Lobito et réduisant le coût logistique des exportations des minerais et réduisant aussi son enclavement.

Avec la Chine, quelques chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2023, 57,7 % des exportations congolaises (principalement du cuivre et du cobalt) étaient destinées à la Chine. La Chine représentait 24 % des importations de la RDC durant la même année.

Avec les Etats Unis, les chiffres quoi que peu éloquents, parlent aussi. En 2023, les exportations des biens de la RDC représentaient l’équivalent de 275 millions de dollars. Les Importations de la RDC en provenance des États-Unis pour la même année, étaient pour une valeur d’environ 186,8 millions de dollars.

Mis en perspective, les exportations totales de la RDC en 2023 étaient estimées à 29,37 milliards de dollars, et les importations totales à 31,21 milliards USD.

Ainsi donc, en 2023, la Part des exportations de la RDC vers les États-Unis était de 0,94 % des exportations totales de la RDC, tandis que la Part des importations de la RDC en provenance des États-Unis se situait à environ 0,6 % des importations totales.

Ces chiffres indiquent que, bien que les États-Unis soient aussi un partenaire commercial de la RDC, leur part dans le commerce extérieur du pays est relativement modeste comparée à celle de la Chine. C’est cela qui expliquerait le regard actuel de l’Amérique sur le RD. Congo.

Ce lien fort avec ces économies en conflit exposent Kinshasa à une double pression : baisse potentielle de la demande avec en finale une inflation importée.

A Kinshasa, des voix se lèvent déjà pour annoncer une hausse certaine des prix sur les marchés, car le pays est un importateur net. En effet, une inflation importée semble inévitable. Le pays importe ses biens de consommation, équipements, produits alimentaires et pharmaceutiques, en grande partie de ces géants qui aujourd’hui se livrent à cette guerre commerciale. Si les prix à l’importation augmentent du fait des tensions commerciales, de la hausse des droits et des fluctuations du dollar auquel est rattachée l’économie congolaise, cela va se répercuter nettement sur les prix à la consommation.

ACQUIS D’AUJOURD’HUI, MENACES DE DEMAIN

A ces deux facteurs pouvant engendrer une inflation importée, on peut ajouter deux autres : l’instabilité qui va arriver à la chaine logistique d’approvisionnement du fait du contexte géopolitique mondial, qui entrainera une rareté de certains produits, ainsi que l’augmentation du coût du fret international qui s’en suivra inévitablement.

La RD Congo, avec son économie en développement mais fragile sera affectée par les conséquences de cette guerre commerciale engagée   par l’administration américaine à l’échelle planétaire. Les efforts économiques engagés jusque-là seraient en péril alors que des progrès notables ont été réalisés entre 2023 et 2024 notamment pour élever le pays au diapason des critères de convergences des économies africaines. L’inflation a été ramenée à 11% contre 23% auparavant. Les mêmes efforts ont aussi été observés dans la gestion de ses réserves de change qui sont passés pour la même période de deux (2) mois d’approvisionnement à trois (3) mois. Encore mieux, des efforts ont été faits par le Ministère de l’Economie Nationale pour baisser le prix du carburant à la pompe et pour lutter contre la crise alimentaire dans l’espace Kasaï et Katanga.  Ces acquis sont aujourd’hui menacés par les conséquences indirectes du conflit commercial sino-américain. Sans mesures d’ajustement appropriées, ces efforts risquent d’être en grande partie annulés.

D’UNE CRISE A UN LEVIER STRATEGIQUE

Aujourd’hui, quoiqu’un moratoire de 90 jours soit accordé unilatéralement par l’administration américaine pour la mise en œuvre de ces hausses tarifaires, face à ce contexte tendu, la RDC doit agir vite, mais aussi agir bien. Quelles stratégies pour une économie résiliente devrait-on mettre en place?

Papa Demba Thiam ne voit pas dans la guerre tarifaire actuelle une crise, mais « une opportunité à saisir ». Cette guerre commerciale peut devenir un tournant décisif si elle pousse la RDC à se réinventer économiquement. Malgré les défis, cette situation mondiale tendue peut offrir à la RDC des opportunités de renforcement de sa souveraineté économique, à condition de mettre en œuvre des politiques stratégiques ambitieuses.

Les pistes sont nombreuses pour ce faire, en voici quelques-unes, mais principales :

  1. Valoriser ses ressources stratégiques.

Le cobalt, le lithium, le cuivre sont au cœur de la transition énergétique mondiale. Une gestion efficace de ces ressources peut renforcer la position du pays dans les négociations internationales. Il ne suffit pas d’être propriétaire immenses gisements des minerais indispensables à la transition mondiale. Une gestion rationnelle de celles-ci, de leur commercialisation et la bonne gestion des revenus qu’elles génèrent pourrait permettre au pays de mieux valoriser ces ressources et ainsi absorber les chocs économiques de la crise annoncée. Il s’agit notamment : Renforcement du contrôle de rapatriement des recettes d’exportation ; Affectation des devises à l’acquisition des équipements et intrants de production.

Sur le plan économique, l’entrée en jeu d’un acteur majeur tel les USA représente une opportunité de diversification des partenaires et un possible rééquilibrage stratégique face à la prédominance chinoise (minerais-infrastructure). Mais ce partenariat doit impérativement s’inscrire dans un changement de paradigme, avec la mise en place préalable des conditions claires, notamment en ce qui concerne :

– La transformation locale des matières premières, si il le faut dans    des zones économiques spéciales à créer ;

– La transparence contractuelle (fiscalité, parafiscalité, cadre juridique, douanier et marchés publics) ;

– Des retombées économiques tangibles pour la population.

A défaut de le faire, La RD. Congo resterait enfermée dans une économie purement extractive, sans création de la valeur ajoutée et d’emplois indispensable pour la lutter contre le chômage et la pauvreté

  1. Réformer le cadre fiscal et minier.

– Systématiser l’évaluation des gisements miniers pour déterminer leurs valeurs réelles et ainsi limiter le bradage.

– Améliorer la transparence dans la gestion des contrats miniers.

Actuellement, seule la redevance minière est perçue à l’exportation de nos minerais.  La suppression des droits de douane à l’exportation a certes favorisé la compétitivité, mais au détriment des recettes publiques. Il est temps de repenser ce système pour que les minerais profitent à l’État, et non à une poignée d’intermédiaires devenus des rentiers. Il faut une révision de certaines dispositions ciblées pouvant conduire à augmenter les recettes fiscales sans compromettre la compétitivité et surtout, il vaut mieux encadrer la répartition des revenus issus de la vente de nos minerais.

  1. Déployer une diplomatie commerciale proactive.

Dans une économie mondialisée fracturée, face à la reconfiguration du commerce international, la RDC doit naviguer avec finesse. Il lui faut une diplomatie économique capable de défendre ses intérêts et de diversifier ses partenariats.

  1. Réduire les coûts logistiques et améliorer la facilitation.

Le port de Matadi, l’un des plus coûteux de la côte atlantique, illustre l’inefficacité d’un système logistique qui pénalise le commerce. Une révision des charges portuaires pourrait amortir la hausse des prix à l’importation. Une reforme tarifaire et organisationnelle des infrastructures portuaires permettrait de réduire les coûts à l’importation et de limiter les effets inflationnistes.

  1. Soutenir la production locale des produits de première nécessité et encourager la production et l’exportation des produits agricoles à grande valeur ajoutée.

Dernière piste proposée, mais pas la moins importante. Pour sortir de la crise alimentaire, réaffecter les devises à d’autres fins qu’à l’importation des biens de consommations et de première nécessité, la RD. Congo devra repenser sa politique agricole. Aussi bien pour les cultures pérennes que pour celles de consommation courante, il faudra encourager la production pour l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. La relance des zones de production s’impose. Le Riz à Bumba, le maïs dans le Kasaï et le Katanga. La petite expérience du Parc agro-industriel de N’kundi, menée par le ministère de l’Economie nationale à la fin de 2024, pour la sécurisation alimentaire dans le Kasaï, a prouvé que cela est possible. Il faut juste une volonté politique.

QUOI CONCLURE ?

Le conflit sino-américain n’est peut-être que le début d’une nouvelle ère commerciale mondiale, plus fragmentée, plus incertaine. Pour la RDC, cette crise n’est pas qu’un risque. Elle peut aussi être un levier ou servir  d’électrochoc.

Encore faut-il que les réformes s’accélèrent. Que les richesses du sous-sol deviennent celles du développement national. Et que le pays joue enfin pleinement sa carte dans le concert des nations.

La crise tarifaire imposée par l’administration américaine agit comme un révélateur des fragilités économiques de la RDC, mais elle constitue également une occasion de réformes profondes. Si elle parvient à structurer ses politiques économiques autour de ses avantages comparatifs (ressources humaines, ressources agricoles, ressources minières, position stratégiques), à renforcer ses capacités institutionnelles et à rationaliser ses politiques fiscales et logistiques, la RD Congo peut transformer cette crise mondiale en levier de relance.

« La plus belle femme du monde ne peut offrir que ce qu’elle a », dit un proverbe africain. Reste à savoir comment la RDC saura mettre en valeur ce qu’elle possède de plus précieux.

La résilience n’est pas une réaction, mais une construction, dit-on.

Simon-Urbain Nzuka Mapengo

Avril, 2025

L’auteur est économiste de formation. Expert douanier de son état, formé en gestion des politiques commerciales de l’Organisation Mondiale de Commerce, en mobilisation des recettes fiscales et douanières par l’ENA (France), en gestion des administrations fiscales et douanières aussi bien par la Korea Development Institute que par Harvard University.

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