Trump savoure son pouvoir. Mais le marché obligataire – cette créature sournoise et indomptable – pourrait bien être l’ultime juge de paix.
«Les pays me lèchent le c** pour négocier des accords commerciaux», Donald Trump.
Comme cela doit être exaltant. Le monde entier est contraint de se plier en quatre. Quel sentiment de puissance !
On pense au général McDowell fonçant sur les rebelles à Bull Run, à Bonaparte chassant les Russes de Moscou… ou au Titanic, lancé à toute vapeur.
Et quel plaisir ce doit être de malmener les autres. Vous les menacez de tarifs douaniers… et puis, au dernier moment, vous décidez de faire une pause. Et puis, vous frappez le plus grand exportateur du monde, parce qu’il vous a manqué de respect !
D’un claquement de doigt – sans passer par le Congrès – vous imposez la plus grande hausse d’impôts de l’histoire américaine… sur tous ceux qui font leurs courses chez Walmart.
Et c’est vous – pas le marché, pas les citoyens, ni les acheteurs et les vendeurs – qui décidez des gagnants et des perdants.
«Compte tenu du manque de respect dont la Chine a fait preuve à l’égard des marchés mondiaux, j’augmente par la présente les droits de douane imposés à la Chine par les Etats-Unis d’Amérique à 125 %, avec effet immédiat… A un moment donné – espérons-le dans un avenir proche –, la Chine comprendra que l’époque où elle exploitait les Etats-Unis et d’autres pays n’est plus tenable ni acceptable.»
Nous pensions avoir tout vu. Mais cette histoire appelle une suite, un second acte. Après tout, dans quel genre d’histoire verrions-nous une telle montée en puissance sans qu’une chute ne s’ensuive ?
Quel monde terne et prévisible ce serait, si la brute obtenait gain de cause.
Heureusement – pour l’ironie, le sarcasme et les parieurs à contre-courant –, le scénario reste plein de surprises, de retours de flamme et de boucles de rétroaction capables de se refermer sur le Grand Chef… et de le mordre là où ça fait mal.
Et voici justement l’une de ces créatures imprévisibles : le marché obligataire – le plus rusé depuis Adam. Une bête massive, nourrie à parts égales par les Démocrates et les Républicains pendant un demi-siècle. Grâce au système de fausse monnaie des Etats-Unis… et à une succession ininterrompue de déficits – commerciaux comme budgétaires – ce sont aujourd’hui près de 37.000 milliards USD en bons et obligations qui circulent (sans même compter les dollars eux-mêmes).
Et parmi tous ces emprunteurs prodigieux, aucun n’a surpassé l’actuel Chef des Etats-Unis, Donald Trump. En 4 ans seulement, il a accompli ce qui avait pris deux fois plus de temps à son prédécesseur, Barack Obama, en ajoutant 8.000 milliards USD à la dette nationale. Aujourd’hui, il est de retour. Et il recommence. Les dépenses augmentent.
Breaking Defense rapporte : un budget de la défense à 1.000 milliards USD ? Trump et Hegseth assurent que c’est en bonne voie.
«Nous avons également approuvé un budget qui avoisine – vous allez aimer l’entendre – les 1.000 milliards USD », a déclaré M. Trump lors de sa rencontre avec le président israélien Benjamin Netanyahu.
LA DETTE AUGMENTE EGALEMENT
La Fondation Peterson rapporte : «Selon la Tax Foundation, les réductions d’impôts proposées par le président Trump et les dirigeants républicains réduiraient les recettes fiscales de 7 800 Mds$ sur la période budgétaire 2025-2034. Si elles ne sont pas compensées par des réductions de dépenses ou des augmentations d’impôts, les réductions d’impôts creuseraient les déficits de 9 100 Mds$ sur 10 ans, y compris les coûts d’intérêts connexes.»
Et cela s’ajoute aux milliers de milliards d’euros de nouvelles dettes déjà inscrites au programme.
Mais dans le firmament de Trump, une planète bancale menace de sortir de son orbite : la dette.
Les autorités fédérales peuvent interrompre les échanges avec leurs amis… ou leurs ennemis. Elles peuvent relancer l’économie à coups de stimulants. Soutenir Wall Street avec des « options de vente » ou des plans de sauvetage. Réduire le chômage en embauchant à tour de bras… Et doper les ventes en dépensant de l’argent qu’elles n’ont pas.
Mais il y a une chose qu’elles ne peuvent pas faire : contrôler la valeur de l’argent qu’elles distribuent. Ni le coût des emprunts. Et quand la planète dette devient incontrôlable, mieux vaut se méfier.
En 1993, James Carville lançait cette formule restée célèbre : « Je pensais qu’en cas de réincarnation, je voudrais revenir en président, pape, ou joueur de baseball avec une moyenne à 400. Mais aujourd’hui, je veux revenir en tant que marché obligataire. Lui, il peut intimider tout le monde. »
A l’époque, la dette fédérale américaine s’élevait à 4.000 milliards USD. Aujourd’hui ? Près de dix fois plus.
Et dans le monde entier, plus de 100 000 Mds$ de dettes sont directement ou indirectement indexés sur les rendements du Trésor américain.
Cette semaine, ces rendements ont franchi une ligne rouge : les 5 %.
The Wall Street Journal rapporte : « Les rendements des bons du Trésor ont poursuivi leur ascension après l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs radicaux imposés par Trump – dont un tarif de 104 % sur les produits chinois. Les investisseurs ont fui les obligations. Le 30 ans a brièvement dépassé les 5 % avant de reculer. Il se négociait récemment à 4,835 %, en hausse de 12 points de base sur la journée, et d’environ 45 points cette semaine, selon Tradeweb. Les rendements montent… quand les prix des obligations baissent. »
Newsweek commente : « L’effondrement rapide et brutal des bons du Trésor américain secoue les marchés financiers mondiaux et ébranle les fondements de ce qui a longtemps été considéré comme l’une des principales valeurs refuges au monde. »
Même en 1993, le marché obligataire avait montré sa force. Il avait empêché Bill Clinton de mettre en œuvre le plan de relance qu’il avait promis à ses électeurs. Les rendements avaient grimpé. Et il £ n’avait pas pu le financer.
Aujourd’hui, le marché obligataire est bien plus vaste, et bien plus puissant. C’est là que les investisseurs du monde entier expriment leur confiance — ou leur défiance — envers le dollar américain, l’économie des Etats-Unis, et la capacité de leur gouvernement à garder le cap.
Mais avec suffisamment de hausses tarifaires, de pauses stratégiques et de réductions d’impôts… cette confiance pourrait s’évaporer.
Et une forte hausse des rendements obligataires signifierait une forte hausse du coût de financement des déficits américains.
Alors, soit l’équipe Trump sera contrainte de faire marche arrière… Soit il faudra se préparer à une extinction des richesses à l’échelle planétaire !
Avec Chronique Agora